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vendredi 19 décembre 2014

Chassez le naturel critique complètée


Chassez le naturel. J'ai déjà évoqué dans un article précédent les différentes versions vues de ce spectacle. Il reste en images subliminales des traces des anciennes versions qui viennent influencer les nouvelles propositions, telle cette envolée de manteau au-dessus de la scène d'Alloue ou cette rencontre entre deux explorateurs (à peine esquissée dans la nouvelle version) qui contrastait avec ce qui précédait par le ton très mondain que prenait la conversation....

1 an et demi sépare les deux dernières représentations. Des glissements, des nuances, il y en a, certes (notamment au niveau du dialogue imaginaire avec Rousseau) mais finalement moins que je ne pouvais l'attendre. La pièce a moins évolué pendant cet endormissement qu'entre les deux versions données au Théâtre de la Bastille. Il faut reconnaître que tout fonctionne bien. Il y a le juste dosage entre le texte / les textes philosophique(s), la part d'humour, de danse, et celle d'émotion.

On retrouve les deux parties distinctes entre la nature selon la pensée du XVIIIème siècle, notamment Rousseau, et l'argumentation contemporaine de Bailly. Un transfert subtil se fait entre la nature source de vérité et origine parfaite de l'humanité et la destruction opérée par l'homme sur le monde qui l'entoure et notamment les animaux (les seuls animaux présents sont des chouettes, par le bruit et des gibiers de chasse en forêt sous forme de silhouettes peintes en noir). Le texte sur le brontosaure achève cette affirmation que l'homme est le seul monstre encore présent, capable de détruire. Il y a un parallèle entre le côté prédateur de l'être humain et son goût pour la guerre.

Le texte est dense, parfois difficile. Jacques Bonnaffé joue alors de ruse pour le faire passer : exercice de respiration sur un texte de Rousseau, pseudo- cours de philosophie (avec commentaires critiques), clins d’œil à l'actualité avec des petits coups de griffes, l'air de rien. Le public suit, complice.

Ce qui fait la plus grande force de ce spectacle, c'est l’alliance de la danse et du texte, c'est la répartition entre les deux acteurs-danseurs. Chacun est à la fois danseur et acteur. L'essoufflement de Jacques Bonnaffé influe sur sa diction, et, à d'autres moments, sa diction suppose l'adaptation du mouvement. Le rythme vient du martèlement des pieds, du claquement des mains, des déplacements ou des arrêts. Quant à la danse, elle ne cherche jamais vraiment à se faire imitative ou narrative. Elle va dans l'étrangeté, dans ce que les « animaux ont de différent avec nous ». Les personnages présents sur scène ne sont à aucun moment des simulacre de singes, mais des êtres qui jouent sur l'impossibilité de les classer. Des formes surgissent entre l'animal et l'humain, distordues, à la limite du déséquilibre, ou n'existant que par une partie de leur corps. Les mouvements sont très calculés et ajoutent à l'humour par leur soudain décalage ou leur adresse au public.

Quand le danseur, Jonas Chéreau, semblant vivre en accéléré l'évolution de Darwin, passe de cris inarticulés à une parole construite et raisonnée, sa voix reste dans une neutralité d'observation 'de laboratoire.

Si le discours est très scientifique et très érudit (citation en grec ancien), les costumes et les accessoires sont burlesques et valent surtout pour la dérision qu'ils proposent. Comment peut-on prendre au sérieux des clowns ? Et pourtant. Il est vite évident qu'il s'agit d'une forme de détournement pour nous conduire à nous poser la vraie question de la place de l'animal dans le monde et de la place de l'homme dans la société.

La pièce va connaître à nouveau quelques dates qu'il ne faut absolument pas laisser passer.

mercredi 17 décembre 2014

suite du dossier sur la lumière et les lumières : la lumière et l'architecture


Lumière et architecture



L'architecture utilise abondamment un vocabulaire lié à la lumière, dans la mesure où cet art recherche l'alliance du plein et du vide et que les progrès au fil des siècles, du Moyen Age à nos jours, ont toujours amené une plus grande importance de la lumière, à la luminosité, du jour (des rares fenêtres des églises romanes aux dômes ou aux pyramides tout en verre du XX ème siècle).

Le mot luminaria du latin classique correspondait à une fenêtre.

Les lucarnes ( ouvrage en saillie sur un toit donnant du jour aux combles) et autres lucarnons des constructions suivent un chemin étymologiques similaires.

Une lanterne est le dôme vitré éclairant par en haut un édifice, ou la tourelle ajourée surmontant un dôme.

Autre forme d'ouverture née à cette époque : les fenêtres rondes (oculus – œil en latin – ou œil de bœuf – une traduction quasi littérale) associent la lumière avec l'organe qui nous permet d'y accèder.

Il s'agit, dans tous les cas, de rendre la pièce lumineuse, clartive (dit-on dans l'est de la France).

A ce propos, il faut souligner les différents sens de cet adjectif « lumineux ». On peut le comprendre comme qui reçoit de la lumière, qui renvoie de la lumière ou qui émet de la lumière.

Un jour peut aussi bien être la lumière qui pénètre dans le bâtiment, la pièce, que, par métonymie, le vide laissé dans la pierre ou dans la maçonnerie ou dans des éléments mal joints de la construction et par lequel la lumière s'infiltre. On rencontre parfois une expression peu usitée un jour de souffrance   dont le sens est « une petite ouverture destinée à fournir un peu d'éclairage – exemple les oculi ». On peut penser au travail de James Turell sur le jour qu'on peut voir dans la sorte de trou (de jour) qu'il oriente vers le ciel à l'image du compluvium des maisons romaines.

On emprunte à l'italien la formule a giorno pour parler d'une pièce éclairée par la lumière du jour ou avec un éclairage qui reproduit cette impression.


lundi 15 décembre 2014

Hotel modern : la grande guerre - critique


Hotel modern est une compagnie qui s'est spécialisée dans le théâtre d'objets. Elle a connu un succès mérité, il y a quelques années, avec « la grande guerre ».

De nombreuses traces persistaient sur Internet et j'avais étudié le pièce (à partir d'archives) avec David Lescot, spécialiste du théâtre de la guerre. Inutile donc de vous dire la joie que j'ai éprouvée, en avril quand j'ai appris que Hotel modern interviendrait pour deux représentations à Reims, dans le cadre des cérémonies de commémoration. Un collègue très branché « centenaires » m'a rejointe.



Enfin, voir en vrai ce que je ne connaissais que par photographies ou micro-enregistrement. Pas trop loin de la scène : je veux voir le résultat, mais je veux aussi comprendre les moyens. Surprise : le texte lu en direct est en français. Ils sont 4 sur le plateau. 3 qui se partagent la lecture et les manipulations, un 4ème qui assure les bruitages. Les textes ne diffèrent guère de ceux qu'on entend d'habitude. L'intérêt vient des moyens rudimentaires mis en œuvre pour recréer les tranchées, les villages en feu, les bombardements, les destructions, la mort, la boue, la putréfaction. Tout est filmé en direct par les manipulateurs et projeté sur un écran qui occupe le fond de scène. Les mains apparaissent parfois comme des personnages à par entière au milieu des figurines, sans créer un sentiment de gêne. La manipulation se fait « à vue ». La projection alterne couleurs et noir et blanc, pour donner un point de vue ou un autre. Je regarde à peu près autant l'écran que les objets ou les mouvements des interprètes. Le décalage entre ce qui est utilisé et ce qui est produit me fascine, rendant plus puissant l'effet obtenu. Cela fourmille d'imagination, de créativité, d'observation, de recherche. A la fin on nous invite à venir sur le plateau pour une meilleure prise de conscience du travail. On peut même parler avec les manipulateurs ou s'exercer à un mouvement des figurines.

Quand nous sortons, mon collègue me dit « je ne suis jamais rentré dans un spectacle au théâtre. »

Moi je n'y suis rentrée que dans la mesure où j'ai joué le jeu du « je sais que ce n'est pas vrai, mais faites comme si... Faites moi croire que vous croyez que je suis dupe... » J'ai regardé le travail d'artiste, mon collègue a regardé l'écran. IL n'a pas assisté à un théâtre d'objets, il a suivi un film d'animation. Nous avons vu deux représentations différentes. En tant que spectateur de cinéma (d'animation), il a été happé par l'image de l'écran, en tant que spectatrice consciente, je suis restée en partir extérieure. La présente de l'écran a créé une part de distanciation qui m'a mise en position critique. J'ai admiré le travail élaboré et mon esprit aiguisé par la nécessité d'aller au-delà m'a conduite à penser « ah oui, c'était cela. Ils ont bien retrouvé comment me le faire éprouver », sans me laisser piéger par l'image conventionnelle finalement, très apparentée à un documentaire comme on en voit beaucoup.

Qui de nous deux était sur le bon parcours ? Il reste vrai que ce spectacle qui ne se jouera très peu en France est à ne manquer sous aucun prétexte....

samedi 13 décembre 2014

Merlin ? enchanté !


Après-midi d'été. Bretagne... Pas la mer. Non, la forêt.... Elle a vu hier Tristan et Iseult dans les ruines d'un château...son et lumière, de l'autre côté des douves ... sur les gradins. La mort des amants... Les fusées multicolores zébrées d'orage. La pluie pour sortir trop tôt... avant que la barque qui les emmène n'aie totalement disparue derrière la tour ronde...Le tonnerre qui surpasse la musique de Wagner et vole l'émotion. Il avait fallu courir quand elle voulait marcher au pas de l'amour éternellement bref.

Elle n'a pas eu envie d'aller à la plage malgré le ciel redevenu serein... Sur un tract de l'office de tourisme, un parcours.... parcours souvenir, hommage, pèlerinage... Pas la plage, non, la forêt... Celle de Brocéliande et de ses sites qui parlent à l'imagination : fontaines, étangs , chemins, tout rappelle la légende arthurienne. Il y aurait même un arbre d'or.... Elle ne connaît pas grand chose de la légende... un peu par le Film Excalibur.... chevauchées, musique celtique et paysages d'Irlande...Quelques connaissances en surface, surtout issues de films anciens, à la magie simple mais efficace. Merlin, Lancelot, Galaad qui a vu le Graal et en est mort parce que les dieux n'aiment pas qui cherche à les égaler... et que la mort récompense ceux qui touchent à l'immortalité.



Elle arrive au milieu de nulle part... Un amas de pierres.... Des milliers de papier à l'écriture malhabile volent partout. Un côté favella ou rue de d'après-carnaval....Elle en prend un et le déchiffre : un vœu d'enfant, aussi beau qu'impossible. Une classe a dû venir là... Un autre attire sa main, plus grand, plus coloré, avec un crayonnage de couleurs. « Merlin, je voudrais devenir princesse ». … Un jeune homme est à côté d'elle... Un jeune homme qu'elle n'a pas entendu arriver.. un jeune homme si frêle qu'un souffle de vent l'époussetterait... jeune... si jeune qu'il ne doit guère être plus vieux que ceux qui ont écrit les papillotes... blond comme on ne l'est pas... avec des yeux de lumière... Un jeune homme en même temps si quelconque qu'elle ne pourrait le décrire...



Sacrilège... il prend le papier, le lit, rit, un rire d'enfant, de cascade d'hiver, de vent dans un attrape-rêve, un rire qui appartient aux souvenirs de nos tout premiers temps. Il prend le dessin et s'en va...Elle n'a pas bougé. Un coup de vent malmène les vœux enfantins... Le ciel a pris des tons de nuit. Elle se souvient d'une légende lue sur un panneau quelques sentiers avant. Le Val sans retour où Morgane emprisonnait les chevaliers égarés. Elle n'est pas un chevalier et Morgane ne la poursuivrait pas, mais elle a déjà subi l'orage hier... Alors elle se presse, son plan délavé et détrempé ne peut plus la guider. Elle se fie aux pancartes et regagne plus vite qu'elle ne pensait sa voiture...reprend la route, arrive à un château, celui de la Dame Blanche...la pluie drue l'oblige à s'arrêter. Prendre le temps d'une visite.



Des personnages en costumes l'accueillent. On faisait des photos dans le parc, pour des cartes postales...l'ambiance est au Moyen Age... Des panneaux sur les murs des couloirs ou de la salle évoquent la légende arthurienne. Merlin, avec son bon visage de vieillard chenu et espiègle, lui sourit. Elle s'attarde sur le panneau. Un petit encadré : « Merlin, selon certains ouvrages, peut apparaître également sous la forme d'un jeune homme blond. ». Elle se rapproche des responsables de l'exposition. Ils ne semblent pas connaître cette version. Le texte a été écrit par un groupe de chercheurs de plusieurs pays concernés par la légende... On s'aperçoit alors qu'elle est trempée. On va chercher une serviette au poste de maquillage, on lui propose une boisson chaude, un siège... Elle raconte qu'elle a été surprise par l'orage dans la forêt à... au.... près de..... Elle décrit les pierres, la clairière, les papillotes. Tout de suite on la rassure. Elle n'était pas perdue. Elle était au tombeau de Merlin....

mercredi 10 décembre 2014

Vous lirez bien un poète d'aujourd'hui ?

Voilà, je voulais vous livrer les critiques de deux spectacles merveilleux vus ces derniers jours. Mais j'ai encore eu une très agréable surprise : et me voici avec trois spectacles à vous raconter... Trois spectacles à ne pas manquer....Et je vais en voir un quatrième demain soir à Ivry... Il me manque du temps, on ne peut pas se limiter pour de tels spectacles à "ouais, c'est bien", il me faut vous dire pourquoi ils feront partie des bons souvenirs de cette saison. ET quelques livres aussi dont il faut vous parler. Alors j'ai choisi de vous laisser la possibilité de découvrir un poète rencontré il y a un peu plus d'un an et que j'ai eu l'occasion de croiser plusieurs et de voir en lecture... Outre le personnage, si spontané, discret et si sensible, il y a le poète inventif, minimaliste et pourtant si riche dans ses résonnances.


Allez donc faire un tour sur son site...
www.pierresoletti.fr

lundi 8 décembre 2014

les fourberies de Scapin , de Molière, vues par Jean Sclavis et Emilie Valantin


Il y avait trop peu de monde ce soir à la représentation. Une salle de confidence. Le spectacle en eut encore plus de valeur, valeur de cadeau. Et ce sentiment d'être des privilégiés. Les Fourberies de Scapin. Encore ! Il y avait longtemps que je n'avais pas regardé les fourberies. Je connais la pièce par cœur, j'ai dû en monter quelques scènes, toujours les mêmes, elles rassurent les responsables de structures accueillant des enfants et des adolescents. Je m'ennuie aux fourberies. Si une fois une bonne surprise, il y a vingt ans de cela. La première scène était hilarante, impression vite déçue, le jeu des comédiens n'étaient pas travaillé, ils jouaient vraiment faux et la suite fut un long calvaire.... J'ai subi les fourberies à toutes les sauces : western, cirque, en costume façon banlieue, en copie d'époque, souvent avec des grands noms. Et aujourd'hui, je redécouvre ce que ce classique a de drôle et d'éternel. Il est tout seul, pendant plus d'une heure. Qui, Scapin, Jean Sclavis (le frère de Louis?). Il est à lui seul tous les personnages et leur interlocuteur. Les autres ? Des marionnettes. 1,30 m, presque des adultes, qui marchent, qui ont des mouvements d'humain, des expressions. On se prend parfois à les voir respirer ; Je n'avais qu'une fois cette sensation, à Salzbourg, pendant une représentation de la Flûte enchantée.... Il y a une telle osmose entre les marionnettes et le comédien que notre imagination refuse de n'y voir que des pantins. Jean Sclavis fait toutes les voix en direct. Chaque personnage a ses intonations, sa tessiture, son accent, son passé. Hyacinthe chante même comme un personnage de l'opéra baroque. Souvent le comédien utilise d'un jeu de scène, de position pour dissimuler son articulation à la place d'un personnage. Les entrées et les sorties de scène sont celles des marionnettes et modifient celles du manipulateur (au double sens) puisque Jean Sclavis et Scapin sont ceux qui tirent les ficelles.

L'interprétation au niveau du décor, le port de Naples,( on voit le Vésuve qui fume au loin) permet de gérer les personnages quand ils sont nombreux. Les scènes finales qui regroupent l'ensemble des personnages sont remarquables au niveau esthétique.

Si le jeu du comédien est extraordinaire que dire des marionnettes ? Elles sont à la fois très réalistes et suffisamment caricaturales pour ne pas devenir, malgré la vie qui émane d'elles, des humains. La créatrice Emilie Valantin a eu le génie de faire pour chaque personnage un visage qui exprime tous les sentiments que le personnage est censé éprouver, une modification de position du visage ou un éclairage différent orientent vers une intention ou une autre.

C'est un spectacle magnifique.

Je vous conseille un passage sur le site de la compagnie....

compagnie Emilie Valantin...

vendredi 5 décembre 2014

Chassez le naturel critique


Une chance pour ceux qui ne l'ont pas vu les années passées : Le théâtre des quartiers d'Ivry programme du 11 au 13 décembre, une reprise de « Chassez le naturel » ;

J'ai eu l'occasion de suivre l'évolution de cette pièce et je me réjouis de voir ce qu'elle est devenue après un repos assez long. La première découverte fut une lecture mise en espace au festival d'Alloue de l'opuscule de J.C Bailly, puis une version associant la danse et le texte « Nature aime à se cacher » au théâtre de la Bastille – allusion à une citation du philosophe grec Héraclite, enfin une dernière version, à nouveau au théâtre de la Bastille « Chasser le naturel ». La dernière version en date, celle qui sera présentée le week-end prochain, me semble la plus intéressante, la plus aboutie et la plus ouverte. Elle s'est enrichie de textes d'autres auteurs que Bailly, notamment des textes de Rousseau, et de poètes contemporains. La première partie est issue d'un travail mené par Jacques Bonnaffé dans le cadre des commémorations de Rousseau. On sait combien la nature avait d'importance pour ce philosophe des lumières. La seconde reste le texte de Bailly. Les textes trouvent une cohérence qui les fait résonner.
Le thème de base est la place des animaux dans le monde, dans la société, de ce que nous faisons d'eux, de notre besoin de les assimiler, notamment les singes, à nous dans leur comportement. Comment nous en sommes arrivés à réduire à notre vision, alors que les animaux valent surtout par les différences qui existent entre eux et nous. Je schématise à l'extrême la pensée de Bailly.
La danse ne vient donc pas doubler le texte mais crée une propre partition, ou cacher et montrer se confrontent.

Si dans le début, on distingue bien le dialogue comédien/danseur, la suite confond les deux interprètes en dansant parleur et parleur dansant. Il y a autant à voir qu'à entendre, entendre en texte et entendre en sons, en rythmes. Je garde le souvenir de passages très drôles, très iconoclastes, d'autres plus sensibles....

Bref je serai dans la salle jeudi pour cette reprise, avec bonheur.


mercredi 26 novembre 2014

la lumière et les arts (suite)


Le jour correspond à un symbole de beauté : beau comme le jour. On peut se souvenir que le dieu grec Apollon personnifiait à la fois le soleil et la beauté, son surnom Phoebos le qualifiait de « brillant, lumineux ».



Les manuscrits du Moyen Age s'enrichissent d'enluminures, (illuminations en anglais), qui apportent couleurs et lumières aux ouvrages.



Le jour (le vide qui laisse la place à la lumière, à la transparence) fait la qualité des tissus d'une grande finesse, de la dentelle. Il est d'ailleurs intéressant que la période la plus florissante de la dentelle corresponde au siècle de Louis XIV (le roi Soleil) ou au siècle des Lumières, comme si on voulait porter le jour sur soi (vêtements ajourés). Le renouveau actuel de la dentelle s'apparente à un travail en architecture, les denteliers contemporains cherchant une maîtrise du vide comme matière, du jeu des lumières dans le travail. Beaucoup de mots, aujourd'hui obsolètes, liés à la dentelle tirent leur origine de l'étymon leuk : luche, lucher, luchage (donner du lustre, du brillant à la dentelle). Il existe également un tissu de coton, encore trouvable en magasin, la lustrine (tissu de soie à l'origine, puis de coton, glacé sur une face). Ce tissu a servi autrefois pour les manchons des employés de bureau, puis pour la photographie (les tissus qui recouvraient les premiers appareils photographiques ont été longtemps faits en lustrine).

Dans un tout autre domaine, celui du théâtre, le feu est le cachet touché par un comédien à chaque représentation. Le terme spécifique des contrats à la Comédie Française s'est élargi à l'ensemble des théâtres. Le fait d'être exposé à la lumière constituait le preuve du travail....

On comprend aussi facilement les expressions les feux de la rampe ou les lumières de la rampe, le feu des projecteurs comme des périphrases pour évoquer le théâtre.



Un ouvrage publié voit le jour (comme un être humain à sa naissance).



Le toréro entre dans l'arène dans un habit de lumière, allusion aux couleurs très claires qui doivent mettre en valeur ses mouvements dans le cercle très éclairé de l'arène ou référence au culte solaire à l'origine de la corrida ?



Et que dire de la multiplication de spectacles sons et lumières, des feux d'artifices, et autres feux de joie, des fontaines lumineuses sinon qu'ils prouvent l'importance festive et artistique de la lumière.



Qui, en employant le mot splendeur ou resplendissant pour un tableau, une sculpture ou une œuvre musicale, se souvient du sens de briller que ces mots avaient en latin ? Ou que le brio de l'exécutant ou de l'exécution est aussi une allusion à cette même lumière ?

Cette lumière qui caractérise toujours un personnage dont la réputation ou le talent brillent (comédien, danseur, sportif) en fait une étoile, une star.


lundi 24 novembre 2014

la lumière et les arts 1 (étymologie et expressions)


Voici la suite de l'étude de vocabulaire commencée avec les étymons. J'ai recherché domaine par domaine les utilisations des étymons liés à la lumière.

La lumière et les arts



Deux arts majeurs reposent sur le rapport à la lumière : la peinture et la photographie (qui forme son nom sur la racine photo – lumière), mais d'autres arts vont utiliser des métaphores liées au champ sémantique de la lumière.



Le mot lumière désigne la manière de représenter les parties éclairées dans une oeuvre peinte, une gravure ou un dessin. On parle souvent ainsi de la lumière de Rembrandt ou la lumière de Renoir. L'utilisation du clair-obscur lui donnera toute sa valeur esthétique.

La lumière est aussi la représentation picturale de la lumière : une touche de lumière, une échappée de lumière matérialisent dans le jeu des couleurs un point plus lumineux. On sait que les peintres du XVII ème et du XVIIIème siècle affectionnaient cette mise en lumière, cette clarté donnée à l'horizon qui contribuait à l'effet de profondeur et de perspective. (comme Hubert Robert ou Kaspar David Friedrich)

Un courant de peinture le luminisme ( qui prône l'accentutation du contraste ombre/lumière) regroupe les peintres luminaristes qui s'attachent à produire des effets de vive lumière dans leurs œuvres.



On appelle lustre l'enduit brillant, issu de la vitrification de poudre, sur un émail cuit


vendredi 21 novembre 2014

la nouvelle carte de Julie Rothhahn


Une nouvelle carte ? Quelle nouvelle carte. Quand j'ai réservé ma place en septembre, il faut toujours réserver sa place très tôt pour une intervention culinaire de Julie Rothhahn, je ne m'étais encore posée aucune question. Ses interventions font partie des « inclassables «  proposés par le Manège, cela n'empêche que les places disponibles sont immédiatement prises d'assaut. Un pari, dont on est pratiquement certain de sortir enrichi. (voir à ce sujet un article paru il y a presque un an : Empreintes une performance du public). Il faut dire que la jauge est toujours relativement petite.

Deux mois pour se forger une idée, parce que la perspective du spectacle intrigue, tout en vous laissant la certitude que vous ne trouverez pas.

Une nouvelle carte ? Une carte de géographie ? Une carte de restaurant.

L'attente se fait dans le hall du Manège, mais la soirée se déroule dans le cirque. L'ordre de départ est donné, on se rend en file indienne dans l'autre bâtiment. Entrée sage, dans une profonde pénombre. On devine vaguement des formes.... Nous occupons des gradins hauts du cirque sur un demi-cercle environ. Des sons, des musiques, de la lumière, de la fumée... sur la piste se dessinent des zones au milieu du brouillard.... Nouvelle carte : des continents à explorer. Nouvelle carte : à explorer gustativement. Coup d’œil au programme,c 'est l'incomparable Pascal Ferrat qui a participé au projet avec ses élèves du lycée hôtelier. Lui à qui il suffit de dire impensable ou irréalisable pour qu'il dise « pari tenu » a dû s'en donner à cœur joie.

Nous descendons sur la piste devenue territoire à dévorer. Un continent « cumulus » où l'on se munit d'une carte accrochée à un ballon blanc et l'on part en nuage ? En ballon pour cinq semaines de découverte... La carte est tamponnée à chaque escale. Visa d'un « exploit ».

Me revoici plongée dans mes questionnement sur « manger » et sur sa représentation. On me demande de manger et c'est le propos essentiel de cette intervention. Un rapide tour de l'univers et je m'organise en exploratrice rationnelle. Je vais voyager du salé au sucré... A chaque escale de mon vol,je mange quelque chose. Je ne vous livrerai pas tous les secrets qu'un habitant (élève des classes supérieure du lycée) vous dévoile avant de vous servir.

Me voici vraiment en plein au centre des interrogations qui m'agitent. Je mesure combien mon passage par « les arts du goûts » et ma réflexion actuelle me facilitent l'accès aux tables. Autour de moi des gens regardent avec suspicion, reniflent de loin, reculent devant un aspect … Le voyage est autant la visite d'un nouvel univers qu'un voyage en soi, à la limite de ses habitudes et de sa capacité à affronter l'étrange. On dévore les feuilles d'une forêt, on gobe des méduses, on nage dans un bouillon bleu effervescent, on se brûle à des nuages épicés, on suce la banquise, on plonge dans des œufs végétaux, on puise la lave blanche et parfumée des volcans, on colorie une mappemonde.

Une fois que l'on a mis le produit dans sa bouche, passant outre l'aspect dérangeant de la première impression, le goût revient et l'on peut expérimenter la texture qui a troublé notre approche.

Chacun part sur son propre circuit, les rencontres se font éphémères et superficielles, sur les premières impressions, c'est avant tout un parcours solitaire de naufragé volontaire. Après un abord aux continents éclairés, on se réfugie dans la pénombre pour être avec sa sensation qui ne peut être celle des autres et que les mots ne sauraient transmettre.

Il m'a manqué un peu de texte, un cheminement un peu plus narratif. C'est mon côté théâtreuse...

Il est vrai que cela aurait obligé à une extériorisation qui n'avais pas sa place ici.

La faim et la curiosité satisfaites, on se demande déjà ce que Julie Rothhahn pourra trouver l'an prochain...

Manger est un art, un art qui se partage, mais contrairement aux autres arts, il se partage de l'intérieur.






mercredi 19 novembre 2014

La piscine de Roubaix bis

Je viens de découvrir qu'il existe un lieu très semblable à la Piscine de Roubaix au niveau architectural, mais qui est encore consacré aux activités thermales et aquatiques. Une enquête pour les jours qui viennent....

lundi 17 novembre 2014

attention mots fermentés

Courses au supermarché, une de ces méga-surfaces qui foisonnent dans la périphérie des grandes villes. Courses rapides, vendredi entre le travail et un spectacle programmé tôt. Les indispensables à la vie : pain, eau, fromage, fruits, quelques légumes, un livre, un magazine. Au rayon librairie, un couple, elle et lui, et une jeune adolescente, 6ème / 5ème. Agités dans le rayon des usuels. Ils retournent les dictionnaires, examen de l'intérieur, mais surtout examen de l'extérieur : une couverture de dictionnaire,  c'est primordial ! L'intérieur, ce ne sont que des mots et les  mêmes en plus ! On sent des professionnels de l'achat en grande surface, méfiants sur le dictionnaire comme sur les yaourts ou sur la viande hachée. Ils faut apprendre à la fille à ne pas se faire avoir... Soudain, elle, la femme, pousse un cri : "Ah les salauds ! c'est un dictionnaire de l'année dernière ! Viens, on va à C.... On ne va pas se faire refiler un dictionnaire périmé."

lundi 10 novembre 2014

Roubaix accueille Camille Claudel et les autres

Une exception dans ce blog consacré à l'écriture et à la voix, au théâtre et à la danse. Une invitation à un spectacle qui n'appartient pas au domaine du vivant, mais Est-ce vrai ?
La Piscine de Roubaix accueille des sculptures de Camille Claudel, dans une scénographie qui leur permet de donner toute leur force.
Pour moi, une nouvelle rencontre avec cette sculptrice déjà croisée il y a quelques années et l'occasion de sortir de leur oubli quelques textes. Un autre vécu et un autre échange.
Et comme toujours quand je passe un peu de temps dans le Nord, la surprise d'un mode de pensée et de vivre différent de celui du reste de la France : une visite improvisée de l'Hôtel de Ville fermé, les salles qui s'ouvrent pas miracle, un huissier puis un photographe qui se transforment en guides, avec ferveur ; une adjointe qui vient vérifier que l'on s'occupe bien de nous. L'huissier, qui aurait dû nous interdire l'entrée, lançant un "bonne visite et bon retour chez vous" dans un sourire de famille qu'on quitte après une longue semaine dans la maison ancestrale...
La piscine : un lieu féérique. Merci à ce monsieur passionné de vélo rencontré il y a un an et qui m'avait assuré que je serais sensible à cette magie... Brève rencontre mais où la complicité avait remplacé la cérémonie. Et à nouveau cette sincérité dans les rapports, pas une sincérité et une aménité de façade, mais quelque chose de profond, l'impression d'être de retour parmi les siens. Ne parlez pas de milieu social, culturel ou de vieilles racines nationales. Je ne sais d'où vient cette spontanéité et cette générosité dans les rapports avec Patrick, Samia, Mohamed ou Alain.... (leur badge parlaient d'eux d'une autre façon, qu'il ne fallait pas écouter). Un moment pour parler, pour aider, pour se confier un bout de vie, d'histoire, de passé.... Incroyable un premier jour d'exposition... 
Plus tard je parlerai des sculptures, pour l'instant il est important de rendre hommage à ces inconnus qui ont été si proches un éclair de seconde.

vendredi 7 novembre 2014

Je suis le vent de Jon Fosse suite

Je viens de me procurer le texte de la pièce.
Didascalie préliminaire :
" Je suis le vent    se joue sur un bateau imaginaire et à peine suggéré. Les actions sont également imaginaires et ne doivent pas être exécutées, mais suggérées."


Une base pour une réflexion plus documentée et plus nourrie sur ma déception lors de la représentation de cette pièce. A un moment où je me bats contre le rapport entre l'attente et le reçu au théâtre. Et sur les apriori qui faussent les jugements...
A bientôt donc.

lundi 3 novembre 2014

dossier la lumière et les lumières : les étymons 3


  • Un étymon indo-européen bhel- / bhleg – (briller) nous a donné une grande quantité de termes, souvent de formation populaire, ce qui explique son manque de visibilité. Si en allemand, on peut lui rattacher le mot Blitz (l'éclair – qui en français vient de la racine clar-), en français il se cache dans le radical flam- (flamme, enflammer, flambe, flambard, flambeau, flamber, flamboyer, flamboyant, flammèche, inflammable, inflammation, oriflamme...), dans le radical flag- (flagrant, conflagration, déflagration), dans le radical fulg- ( fulgurant, ou son évolution populaire foudre, ainsi que les mots qui en découlent).



  • Enfin, un dernier étymon dji, emprunté aussi à l'indo-européen aussi, (orthographe non transcriptible avec notre alphabet), qui désigne aussi la lumière dans ce qu'elle est manifestation divine et qu'on retrouve dans un radical sanskrit d(e)i qui a le sens de briller. Elle apparaît en grec dans le nom du Dieu suprême, Zeus, qui est la lumière par excellence – il est le maître de la foudre. L'étymon donnera le mot deus en latin (le dieu), et parallèlement le mot dies (le jour) et l'adjectif diurnus (qui se passe de jour) et l'adverbe diu (longtemps). Deux racines que nous retrouveront dans le suffixe -di des noms des jours de la semaine, et l'adjectif diurne. L'italien giorno et l'espagnol dia sont également des enfants de cet étymon.



Ces formations à partir d'étymons parallèles a obligatoirement créé des doublons, deux mots de formation semblable mais à partir de racines différentes :

lucifer – phosphore

translucide – diaphane

élucider – éclairer

lumineux - phénoménal

Je passe sous silence, un radical ard- du latin qui a aussi un rapport à l'origine avec la lumière, parce qu'il est trop rattaché dans notre langue à la notion de feu au sens physique, ainsi qu'un étymon cand- (qui nous reviendra par l'intermédiaire de l'italien dans chandelle ou candélabre, mais dont l'évolution naturelle a donné encens ou incendie)


dossier la lumière et les lumières: les étymons 2

Suite du dossier commencé la semaine dernière sur les étymons de la lumière... Il y aura une suite la semaine prochaine....




  • Les mots light en anglais, et Licht en allemand, malgré leur vague ressemblance, ne dérivent pas de cet étymon. Ils proviendraient d'un étymon celtique.





  • Il existe un autre étymon -clar- (dont le sens premier est lié à la parole et au son). On le trouve notamment avec le mot latin clarus (sonore). claro en latin signifie : je dis que ( cf notre « déclarer » en français). Par un glissement de sens, on arrive à ce qui frappe aussi notre vue avec « éclat ».
  • un étymon scintill- qui a évolué parallèlement en français par une voie populaire ( étincelle, étincelant, étinceler, étincellement) et par une voie savante liée au travail des humanistes de la Renaissance (scintiller, scintillant, scintillation, scintillement) – Si les mots de formation populaire ont gardé le double sens (propre et figuré), les mots de formation savante n'ont pas de sens figuré (moral), on peut parler d'une idée étincelant, pas d'une idée scintillante.
  • Un étymon splend- (splendeur, splendide, splendidement, resplendissant, resplendir, resplendissement) qui a servi en latin à la formation de 13 mots ... qui ont disparu avec lui.


Des familles de mots naissent aussi du grec (qui lui aussi a beaucoup plus de termes que nous pour évoquer la lumière – au sens propre comme au sens figuré).


  • Un étymon phae(n)-, qui comme un grand nombre d'étymons proche temporellement de l'indo-européen, à plusieurs formes (Il existe normalement 3 degrés de voyelles en indo-européens qui donnent auprès de la consonne d'origine ph- une forme en a, en forme en o, et une forme en i/e ou une disparition totale de la voyelle). Les mots racines grecs donneront donc en français des radicaux : pha(n)- (dans épiphanie par exemple, et avec évolution de l'écriture du ph- initial ; fantôme, fantasme, et leur famille), pho- (dans photo, phosphore...), phae- (dans phénomène – on a ici une formation par suffixe identique de celle de lument : radical qui désigne le côté lumineux et suffixe indiquant le moyen d'être, de devenir... , phénoménologie ). Cet étymon bénéfice d'une double acception : Briller et apparaître (dans la mesure où le fait d'être éclairé rend visible)


Cet étymon lié à la lumière a connu une évolution de sens qui l'a conduit dans les emplois contemporains vers l'idée d'apparence, d'aspect, de visibilité...




dossier la lumière et les lumières : les étymons 1

Je commence ici la publication d'un dossier assez long sur la notion de lumière, étude faite à travers le vocabulaire qui s'y rattache. L'étude était destinée à devenir une base de réflexion pour un groupe de chercheurs sur la lumière au théâtre.  Il manque la partie collective de cette réflexion. J'essaierai de la compléter au fur et à mesure...
Bon début de lecture donc...




LA LUMIERE  ET  nous




Les étymons



  • On trouve en indo-européen : leuk(s). Sur cette racine seront formés deux mots latins :


lux (la lumière naturelle)


lumen (la lumière artificielle, le moyen d'éclairage)


De ces deux mots naîtront la quasi totalité des termes français liés à la lumière.


S'apparentent aussi à cet étymon :


Lucifer (la dernière étoile du matin, celle qui apporte le jour – dont le doublon grec existe : Phosphoros)


un verbe d'état luceo, es, ere, luxi, luctum (être lumineux, luire), qui donnera l'adjectif lucidus, et un verbe luceso (commencer à briller)


le substantif lucor (lueur)


Aucun verbe transitif direct pour dire éclairer quelque chose ne semble exister sur cette racine en latin, on trouve davantage de composés sur lu- : illustro, as, are, avi, atum ou illumino, as, are, avi, atum. Le fait que verbes appartiennent à la première conjugaison semble attester de leur fréquente utilisation et de leur formation d'origine populaire.


Beaucoup de verbes ou d'adjectifs qui n'ont pas connu de survie en français dérivent de cette branche : circumluceo, diluceo, dilucesco, interluceo, per/pellucidus, praelucidus, relucesco, translucesco...


Diluculare désigne le fait que la lumière décline au crépusule et anteluculare qu'elle apparaisse au lever du jour.


D'autres comme elucesco parviendront jusqu'à nous (élucider).


Le mot lucerna (la lampe à huile)


Plus étonnant, le surnom d'une déesse de la lumière dans la nuit luna (la lumineuse) qui donnera son nom officie à notre satellite. Je me permets à ce niveau une parenthèse pour un rapprochement avec la nom grec de la Lune : Séléné qui tire son origine de σελας (éclat de lumière)


De lumen dérivent dès le latin


luminosus (un adjectif au sens similaire à celui qu'a le français lumineux)


luminaria (les flambeaux – on pense à nos luminaires)


illuminare et illuminatio, onis


et eluminatus (privé de lumière)


Sur la racine luks (avec affaiblissement de la consonne K, s'est formée la famille de lustr- (avec une confusion parfois avec un mot lustrum, purification et un verbe lustro purifier), qu'on reconnaît dans le verbe illustro, as, are, avi, atum (sens proche de celui du mot français) et illustramentum (ornement).




lundi 27 octobre 2014

manger 6


Je poursuis ma rumination sur « manger ».

Dans quelles pièces ai-je vu des gens manger ?

Le festin est très fréquent dans les opérettes et les opéras-bouffes. Je tiens tout de suite à préciser que je renie totalement la période de ma vie où je les fréquentais assidûment.

Me reste d'avoir découvert Offenbach. Un grand maître de la dérision et peut-être plus engagé politiquement que beaucoup d'humoristes d'aujourd'hui. Dans beaucoup d’œuvres de la fin du XIXème siècle, le repas est une des étapes obligées de l'opérette et de l'opéra. Du « libiamo » de la Traviata à l'acte dans la taverne de Carmen. Peut-être une façon de canaliser les choeurs vers un jeu plus facile dans une période où la mise en scène n'existe pas. Peut-être un beau morceau de bravoure pour les compositeurs ou les librettistes.

Alors je me remémore quelques repas : le repas de noce de la Perichole, un repas dans les Mousquetaires au couvent, une scène dans la Vie parisienne, oui je suis beaucoup chez Offenbach (il y a aussi Varney). Mais il faut croire que Offenbach avait, avec ses complices, une obsession de la nourriture (il a écrit un hymne au jambon de Bayonne et un autre aux côtelettes).

Pourtant tous ces repas parlent plus de la boisson que de la viandes (pour utiliser un mot du moyen âge) : « ah quel repas j'ai fait, j'en demeure stupéfait, j'ai vu troupe respectable défiler sur ma tables les meilleurs vins des plus grands crus ». «Ce que je ne m’explique guère c'est pourquoi l'on boit à Paris le mauvais vin dans des grands verres et le bon dans des petits ». « Ah ! quel dîner, je viens de faire !Et quel vin extraordinaire !J’en ai tant bu… mais tant et tant, que je crois bien que maintenant
Je suis un peu grise… » « Pour avoir bien bu, j’ai bien bu…Faut maintenant payer mon dû,Faut se marier, et, ma foi,ne sais à qui, ne sais à quoi ! » On l'a compris il s'agit surtout d'évoquer la griserie associée à l'époque à la notion de fête.
Tout cela ne nous mène guère vers mon ancienne idée de cannibalisme ..
Il y a bien le cadeau offert par Monsieur Jourdain à sa belle marquise. (peut-on imaginer qu'elle mange plus que les plats qu'on lui sert et qu'elle est en train de se nourrir du bourgeois naïf ? ) ou encore le repas d'anniversaire dans Festen, où chacun semble dévorer l'autre au nom des souvenirs qu'il ne faut pas avouer, mais que chacun remâche depuis toujours.... Alors cannibalisme au second degré ?

mercredi 22 octobre 2014

manger 5

Suite de ma rumination.
Il semblerait que je ne sois pas la seule à m'interroger sur "manger".
Outre Sweeney  Todd qui devrait être joué sur plusieurs scènes françaises et qui est à la base de ma réflexion : "comment théâtraliser le ressenti d'adolescents sur cette farce autour de la comédie musicale ? , j'ai découvert ce week-end que le festival de théâtre du Val de Marne (Les théâtrales Charles Dullin) va proposer deux créations sur un thème assez similaire.
Tout d'abord "Mangez-le si vous voulez", ou comment parler d'un meurtre dans une cuisine ...
Ensuite "Modeste proposition", le comédien reçoit les spectateurs dans une boucherie, entre performance et texte. Pourront-ils manger ce qu'il leur a concocté à partir du pamphlet de Jonathan Swift (le papa de Gulliver) : Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres d'être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public.
Décidément le cannibalisme fait recette en 2014...
Peut-on encore regarder son hamburger dans les blanc des oignons ?

je suis le vent critique


Vue il y a quelques jours, cette pièce de Jon Fosse Je suis le vent raconte de façon indirecte et détournée un drame en mer... avec des personnages déconstruits, sans passé, sans histoire, sans état civil. Pourquoi se sont-ils rencontrés et comment, cela n'apparaît pas. Ils existent dans l'instant de leur parole uniquement, et encore ils n'en sont pas certains. Leur paroles cherchent toujours à trouver une vérité qui leur échappe, vérité des événements, vérité leurs sensations, de leur identité. La résolution de leur interrogation se fait grâce à une révélation qui était présente en filigrane dans les premiers échanges de la pièce et qui deviennent lumineux dans la noirceur des derniers échanges. (peut-être un petit coup d'éclairs de ténèbres – un jour, j'expliquerai ce nom). Nous sommes dans une pièce très caractéristique de l'écriture de Jon Fosse et de beaucoup d'auteurs contemporains. (je vous renvoie à des essais de Jean-Pierre Ryngaert et Joseph Danan).

Le dialogue entre les personnages repose sur un système de questions répétées, d'assertions, contredites par le personnage lui-même, puis reprises et auquelles l'interlocuteur (mais le mot convient-il) répond toujours par un acquiescement. Et là commence un des problèmes de la version vue il y a quelques jours. Le texte surabonde de « oui », approbation d'une affirmation de l'autre, auto-confirmation d'un raisonnement, d'une pensée qui se cherche. On les a tous très bien entendus, tant ils étaient tapés, accentués au détriment du reste du texte, peut-être poétique... Ce martèlement des « oui » gommait toute intention, et les autres mots sonnaient faux, dépourvus d'intention. Le jeu proprement dit s'en trouvait décharné. Je sais qu'il ne faut pas attendre un théâtre classique quand on va voir du Jon Fosse, c'est pour cela, en partie, qu'il est un de mes auteurs préférés. Mais...entendre des comédiens qui parlent faux est un supplice. Quant au jeu, il s'agissait vraiment d'un jeu, destiné à masquer une carence de mise en scène. J'ai déjà eu l'occasion de parler d'un jeu qui repose sur une action sur une structure, une installation. (voir dans les articles de mai), mais dans cette pièce le jeu sur une structure n'apporte rien. Elle tient de la performance pure et existe en parallèle à la pièce. A la limite, on pourrait croire que la performance est interrompue par la pièce. Les 2 comédiens déplacent de grosses caisses en plastiques (casiers de pêche ou gigantesques lego) qui forment une sorte de pont de navire, puis un énorme cube, puis des colonnes, puis un escalier qui mène au sacrifice. Ce jeu disparaît à quelques moments : quand les personnages partagent une bouteille (on repasse en jeu hyper-réaliste) quand ils mangent (on ne voit plus les comédiens partis derrière le cube- mais on entend les bruits traditionnels d'un repas), quand il y a une tempête (une soufflerie apparaît sur scène). Il me semble qu'il s'agit plus d'une agitation que d'une action...et qu'elle nuit au mouvement du texte.

Dans la salle, le public réagit étrangement. Nous sommes très peu nombreux, une cinquantaine, vraisemblablement moins. L'attente qui précède le début du spectacle se fait à voix feutrées, tout résonne dans la salle vide. La scène ouverte laisse voir la scénographie, et comme l'attente est longue les esprits ont déjà bien échafaudé des pistes de lecture. TEtonnamment, la pièce commence dans la quasi obscurité sur le plateau, rejetant le public. C'est d'ailleurs ce qui m'a frappée le plus, les manifestations de la salle. Pendant les premières minutes, un antagonisme violent se met en place. Il y a ceux qui sont sur scène et ceux qui sont dans la salle. Entre eux, la haine et la tension qui précède le choc de deux bandes dans un quartier difficile. Après avoir entendu les premiers mots sur le plateau, la salle s'écoute elle, le moindre bruit (chute d'un programme, éternuement, toux, conversation furtive) est une attente d'un mouvement plus ample et plus belliqueux qui se tournera vers la scène. Elle cherche à savoir jusqu'à quel point elle est « une ». Trop sage, elle se replie dans la léthargie. Une seule tentative, presque suivie : un spectateur lance à un moment où les comédiens sont cachés derrière un énorme monolithe de caisses bleu marine «  si on profitait qu'ils sont planqués pour se casser ? ». Amorce de départ de ses voisins, espoir des plus éloignés rendus à la vie par le mouvement libérateur qui point. Retour des comédiens, déception, engourdissement.

Heureusement il n'y a pas eu de rappel. Je n'ai pas retenu le nom du metteur en scène, ni des comédiens, était-ce utile ?

mercredi 15 octobre 2014

manger 4


Suite de manger. J'avais cherché vers l'art mais j'ai à nouveau oublié de garder mes deux pieds dans la réalité. L'art aujourd'hui divise les populations plus radicalement que les niveaux sociaux. Souvenir à nouveau de la horde de gueux, qui ne manquaient pas d'argent et d'un homme croisé il y a quelques années aux Resto du cœur et qui demandait à échanger ses portions contre une place de théâtre. Nous revenons à l'idée que l'art de manger tient moins à ce qui est mangé qu'à la ffaçon dont on le mange.

Quel est aujourd'hui le spectacle de la nourriture pour le quidam ? Il faut exclure les banquets littéraires ou poétiques, de moins en moins nombreux et où la nourriture est un catalyseur e l'unité du public, un moyen de favoriser l'écoute et la disponibilité poétique.

Pour la plupart des spectateurs, l'image du spectacle de la nourriture est celle véhiculée par la télévision, c'est à dire les différents monster chief ou le meilleur charcutier, héros de la chiffonnade culturelle. Le spectacle du « manger » est celui de la préparation médiatisée, avec une exhibition des sentiments et des sensations directes, primaires, immédiates. On se retrouve dans le domaine de la performance, de la mise en lumière de l'échec et de la réussite. L'échec aboutissant souvent à la mort télévisuelle du perdant. Le jeu sous-entend une forme de cannibalisme.

Je vais peut-être pour cet exercice scolaire de représentation de la nourriture et de l'acte de manger partir sur un jeu autour du cannibalisme. A voir...

lundi 13 octobre 2014

Manger 3

Je poursuis ma rumination. Est-ce aussi manger ? Il me faudrait l'avis d'un zoologue : ruminer est-il digérer ou au contraire manger ? De toute façon, je suis en train de nourrir ma pensée...
La Cène .... Est-ce la scène par excellence ? Dans ce cas, il faut regarder manger et l'art est à ce moment-là ....Se nourrit-on de voir les autres manger ?
Abandon provisoire, je pars manger en poésie...

dimanche 12 octobre 2014

manger 2

Suite de l'article publié hier, avancée sur ma réflexion ou recul ....


Les repas spectacle donnés par Louis XIV à sa cour. Voir manger le roi... comme les performances aujourd'hui qui englobent le public dans la sphère du jouer... Louis XIV était-il un performer ?
Quid de Grimod de la Reynière ?
Envoyer le regard en arrière ? Faut-il regarder qui mange .... La curée ou le repas de la meute à Cheverny... Bonsoir capitaine Haddock.

vendredi 10 octobre 2014

Manger est-il un art ?


Une question, pas une réponse, une rumination qui sert à une recherche qu'on me demande autour du théâtre et de la nourriture, à propos d'une comédie musicale : Sweeney Todd, le barbier, ancêtre de Jack L'éventreur, a trouvé un moyen idéal de se débarrasser des personnes qui disparaissent dans sa rue, tout en faisant des bénéfices. Un peu comme la « grand-mère » de François Morel qui a consommé son mariage avec « pépé ».



En amont aussi se trouve mon travail dans une compagnie médiévale, plus proche de la horde, et qui m'a conduite sur les traces des queux des grands seigneurs... Un univers où cuisine et alchimie se côtoyaient sans vergogne , comme dans les laboratoires contemporains des cuisiniers aux plats moléculaires... et qui proposaient une nourriture autant pour le corps que pour l'immatériel.



Il me faudra présenter une scène de 15 mn autour du sujet. Je n'ai jamais vraiment participé à un banquet théâtral et je ne crois pas que ce soit la solution, trop attendu et beaucoup trop difficile à monter. Autre chose ? Encore trop tôt...



Mais la question : manger est-il un art ?

J'ai assisté il y a quelques années à un débat philosophique sur le thème. J'étais restée sur ma faim... Seule la notion d'esthétique au moment de la préparation et du service avait été abordée. Il me semble qu'on avait parlé davantage de cuisiner que de manger.

Se nourrir est indubitablement un art dans la mesure où elle s'adresse à l'un de nos sens, comme la musique ou la peinture s'adresse à un sens. Et il devrait y avoir un jumeau au verbe manger (déguster pourrait peut-être aller) comme il y a voir et regarder, entendre et écouter.

Reste à savoir comment nous abordons cet art spécifique.

Difficile dans le cas de Sweeney Todd d'expliquer anthropophagie comme un art, même si on trouve ce thème dans d'autres pièces de théâtre : la cuisse du steward de Ribes ou Miam-miam de Jacques Deval.

Difficile aussi de parler d'art devant un sandwich de gare ou de supermarché. Mais certains plats ou certains repas nous laissent un ravissement Un potjevlesch à l'embarcadère d'Herfaut, une saucisse à la bière à Munich , une cacasse à cul nul à l'orée d'une forêt ardennaise autant que tel soufflé de topinambour à la crème d'ail et aux escargots... ou tout autre qui vous plaira... Une poésie en alexandrins ou un poème en vers libres...Il y a synesthésie. L'art de manger est peut-être davantage dans la façon dont on aborde le plat que dans ce qui le constitue, dans l'ésotérisme, les symboles et l'inconscient qui se mettent en place pendant la mastication...

Retour à mes bâfreurs médiévaux qui croyaient que mordre à pleines dents dans des épaules de moutons ou ingurgiter des merguez piquées sur des tiges de métal à forme d'épées était historique.. et méprisaient de goûter du bout des doigts des morceaux de poulet accompagnés d'une sauce à la sauge...Une de leur grandes inventions : le tranche-cul : du pain de campagne et deux lamelles de reblochon (pour faire des fesses..) C'est moyen-âgeux... (mot employé volontairement). L'art de manger ?

Je remâche ma question … Il faut trouver un projet pour la scène à partir de Sweeney Todd...

vendredi 26 septembre 2014

atttendre le théâtre


Travail de recherche l'autre jour au sein d'un atelier sur le conte. « Quand doit-on lancer le traditionnel il était une fois ? »

Les avis divergent. Le plus vite possible, pour indiquer que l'attention est requise. Le plus tard possible pour mettre le public en écoute.

Ne pas juger. Mon avis de théâtreuse est obligatoirement faux. Souvenir de contes dits il y a un peu plus de dix ans. Contes écrits par un écrivain local, doué mais au style trop peu théâtral déjà pour les pièces que je jouais, alors pour les contes.... Beaucoup trop d'adverbes, d'accumulations d'adjectifs, de passés simples, de subjonctifs, de tropes. Les mots s'empiergeaient dans ma bouche, se fracassaient en avalanche à la moraine de mes dents. Sensation alors de vide, d'échec. Certitude d'avoir déçu le rêve devant des yeux d'enfants interrogateurs et ceux d'adultes fatigués par la longueur. Un jour j'avais tout bousculé, insurrection de comédienne. L'enfant qui jouait avec moi m'avait dit à la fin de la scène, oubliant son texte, « j'aime bien ton histoire. » La pièce s'était poursuivie. J'avais évité les foudres de l'auteur à la fin, adulé par une journaliste d'entrefilets.

Le débat lancé entre les conteurs sur ce il était une fois m'interroge. Par rapport au conte certes, mais aussi par rapport à mes recherches sur les spectacles de la voix et du texte, et par rapport au théâtre en général.

Quand les comédiens, diseurs ou lecteurs des spectacles de poésie que je fréquente, retardent le moment de l'arrivée des mots, je me sens en impatience. Suis-je plus attentive ? Je suis surtout dans un rituel de préliminaires. J'ai l'impression de participer à ce retardement. Le comédien montre souvent qu'il reconnaît la présence du public, mais qu'il l'ignore par jeu. Le contre-jeu du public consiste alors à essayer de se faire reconnaître, de façon plus ou moins extériorisée. « Attendez, je m'installe. » « Dépêche-toi, nous nous sommes prêts à t'écouter. » La désinvolture affichée sur scène génère une montée en tension avide que les premiers mots apaiseront. Souvent le rituel se reproduit dans la suite de la lecture. Il appartient aux marques dans ce type de spectacles de la co-présence physique du comédien et du spectateur. Temps de repos, de trêve, temps de reprise en main par le comédien. « eh arrête de faire autre chose, tu es là pour t'occuper de nous ! » « Alors écoutez »

Et au théâtre ? Il y a eu pendant longtemps une mode qui consistait à faire entrer le public dans une salle où les acteurs étaient déjà installés, en position figée, ou en action (visiblement ou non). On était un peu plus en avant de l'absence de rideau de scène. Et c'est à cela que me renvoie aussi la question. Y a-t-il création d'une attente ou au contraire création d'un désintérêt ? J'arrive souvent très en avance. Je suis myope, il me faut être près. J'avoue que parfois après une tentative pour essayer de comprendre ce que font ces gens qui s'agitent sur scène, je me mets à discuter avec mes voisins ou à lire. Je n'ai, je crois jamais eu la sensation de jouer au jeu de l'ignorance. Peut-être parce que les êtres en action ne sont pas des comédiens mais des personnages en action, ce qui est totalement différent du cas précédent, ou du cas du conteur. C'est moi qui suis cachée aux personnages par le rideau de scène et qui apparaîtrai dans la pièce par mon négatif quand la lumière s'éteindra et que la pièce commencera. Et je n'ai parfois plus envie que la pièce commence.

Souvenir d'une représentation d'un spectacle circulaire de Robert Lepage, dans un cirque. Tout une première partie se joue avant le vrai début de la pièce : présentation de machines extraordinaires et de tours de magie autour de la figure du magicien Robert Houdin. Cette partie a été conçue par un magicien et ombromane. L'installation du public dans un cirque est très compliquée, les gens se font inévitablement face, détourner leurs regards est une nécessité. La scène tourne, chacun la voit évoluer. Elle est une sorte de prologue de l'autre, qu'elle évoque, mais ne supplée pas.

Souvenir aussi d'une représentation en bi-frontal, avec des personnages au centre, qui sont dans l'attente, attente jouée. On ne peut empêcher des regards qui se perdent, des fuites du jeu. Le public se dépêche de s'asseoir sur les gradins. Soulagement général, quand les premiers mots dans le noir qui s'installe dissipent le malaise.

Je ne sais pas quand on doit dire Il était une fois.

jeudi 25 septembre 2014

Marceline Desbordes Valmore 2

A nouveau un  conseil de lecture. Un texte très intéressant, étrange pour l'époque. A lire en  parallèle du Dormeur du Val de Rimbaud, du Déserteur de Boris Vian  et de la mauvaise réputation de Georges Brassens. J'aime beaucoup le télescopage des textes. Il en sort souvent plus que d 'une longue exégèse.
Donc sur Gallica : Le déserteur de de Marceline Desbordes - Valmore, avec un clin d'œil à Claire...


Bonne lecture ...

mercredi 24 septembre 2014

le grignoteur et le décoreur


A Vernière sur Isère, on se connaît tous, la ville n'est pas grande. A l'entrée du village dans une vieille maison qu'il a retapée, il y a Macedo. Il est grignoteur, enfin ça doit être quelque chose comme ça. Il conduit une espèce de grue, vous savez, qui grignote les immeubles qu'on veut détruire dans les cités trop vite construites. Seulement des immeubles à grignoter, il n'y en a pas à Vernière. Il n'y en a pas beaucoup non plus en France. Il voyage beaucoup, à ses frais, c'est autant de moins à gagner, mais il veut travailler, ne serait-ce que quelques jours. Il ne faut pas des mois pour grignoter une tour. Son quotidien c'est le train, les hôtels pas chers où l'on partage la chambre à trois, mais on est si fatigué après une journée sur un chantier. Ses loisirs, un pack de bière qu'on partage le soir sur la pelouse du parking à côté des chaussures de sécurité blanches de poussière et de ciment. Avec sa femme, il entretient des relations téléphoniques. Pour le reste, il n'est pas marin et travaille rarement dans les ports, aucune fille ne l'attend jamais. Quand il va à Grenoble, pour s'inscrire au chômage entre deux grignotages, les gens de Vernière le plaigne et admire son courage et sa ténacité. C'est dur aujourd'hui d'avoir un emploi précaire, heureusement que l'état aide un peu.



A Vernière sur Isère, on se connaît tous, la ville n'est pas grande. Dans un autre quartier, dans une vieille maison qu'il a retapée, il y a Benoît. Il est décoreur, enfin ça doit être quelque chose comme ça. Il monte et démonte les décors, vous savez, pour les pièces de théâtres, parfois il les répare. Seulement des pièces de théâtre on n'en joue pas à Vernière. Il ne s'en joue pas tant que ça en France non plus, surtout de celles qui ont besoin d'un décor construit. Il voyage beaucoup à ses frais, c'est autant de moins à gagner, mais il veut travailler, ne serait-ce que quelques jours. Un pièce ne reste jamais très longtemps dans une ville. Son quotidien, c'est le train, les hôtels pas cher. Ses loisirs, un pack de bière qu'on partage le soir au fond de la scène, longtemps après le départ des derniers spectateurs, quand on a remis tout en place pour le lendemain ou tout démonté pour un transport dans la nuit vers un autre théâtre. Avec sa femme, il entretient des relations téléphoniques. Pour le reste, il n'est pas marin et travaille rarement dans les ports. Tard dans la nuit, au moment où il quitte le théâtre, les bars n'offrent que les ronflements des derniers soûlards. Quand il va à Grenoble, pour s'inscrire au chômage entre deux décors, les gens de Vernière pensent qu'il pourrait chercher un emploi plus sérieux qu'intermittent. Ses droits au chômage, c'est un peu compliqué, même s'il cotise comme Macedo. A Pôle  emploi on lui a proposé une formation de grignoteur, paraît qu'il en manque…...

Un petit fabliau écrit il y quelque temps, parce qu'hier un ami conteur a du accumuler les papiers et les tracasseries pour avoir le droit à un os à moitié rongé...