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mardi 29 octobre 2013

revenir à Hannibal et Jacques Bonnaffé


Hannibal ! J'éprouvais un peu de réticence à venir voir ce texte. Souvenir pesant des grandes pièces historiques lourdes et encombrées. Personnages de marbre des tragédies classiques, rigidifiés dans leurs toges de lin, même relookés façon Gauthier (le couturier, pas l'écrivain). Personnages grandiloquents et versifiant jusqu'à l'assoupissement (de Hugo ou de Rostand). J'avais oublié que le XIXè siècle avait aussi produit Lorenzaccio, et que certains auteurs tout comme Musset avaient osé la dérision et le portrait à l'acide. Voilà la surprise première de cet Hannibal de Grabbe qui brosse en prémonition un portrait de notre Europe. Il y a assurément une forme de Brecht (avec l'humour trop souvent négligé de cet auteur) dans Hannibal. Pas de grandes phrases mais des allusion à l'aigre-doux, à peine murmurées, que le spectateur perçoit parce qu'il les espérait. Et la mise en scène va dans ce sens. C'est très drôle parce que très ironique (au sens actuel) pas au sens tragique. Étonnamment cette drôlerie surprend les spectateurs qui ne savent pas que les grandes pièces ou les grands sujets n'interdisent pas le rire. Indiscutablement aussi Jacques Bonnaffé est le comédien qui profite le mieux de ce qu'offre une telle écriture. Il en joue passant d'une nuance à l'autre, laissant croire le pardon quand il condamne à mort et assumant la mort d'un frère dans une fête paillarde, sans sur-jeu, dans un naturel qui fait que le personnage (bien que très distancié) semble échapper à la caricature dans laquelle finissent par s'abîmer beaucoup d'autres. (Gisgon et Prusias surtout). Si la plupart des personnages ressemblent aux plaques peintes qui constituent le décor, Hannibal donne l'impression d'être de chair, animé d'une lucidité omnisciente et agité de sentiments contradictoires, jouant autant de la vérité que de l'auto-dérision qui le conduit consciemment dès le début à l'issue. Il y a tout le temps jeu d'Hannibal qui semble un marionnettiste ou un metteur de scène de sa propre histoire et tout le travail de Bonnaffé se développe heureusement autour de cet axe.

Hannibal-Bonnaffé diffère de celui de mes études humanistes. Je l'ai découvert à un âge où l'on rêve de héros, dans les textes de Tite Live ou de l'abbé Lhomond. Pensum de traduction où l'on choisit le premier mot sur le Gaffiot, par paresse ou par révolte.

Hannibal, lié à la mort de Jean Le Poulain (comédien dénigré, mais très grand metteur en scène et qui le premier m'a fait découvrir le théâtre contemporain et la liberté de création qu'offre la direction d'acteurs. Combien de fois à l'âge adulte, n'ai-je pas repensé à  lui dans mon travail). Je devais passer l'après-midi un oral de traduction. J'ai ouvert l'enveloppe devant le journal télévisé de 13 h. Le journaliste annonçait la mort de Le Poulain, l'enveloppe indiquait « Portrait d'Hannibal ». Mon temps de préparation était plus occupé de savoir quelle forme prendrait l'hommage au metteur en scène que la vie d' Hannibal. « Et pater in se », « et les traits de son père que l'on retrouvait en lui », déficience de notre langue face à la concision du texte latin, déficience de la télévision à montrer de Le Poulain autre chose que le guignol des pièces de boulevard. Ce fut mon dernier contact avec le vrai Hannibal, que je redoutais avec des fantasmes de pueri romani.

L'image d' Hannibal semble d'ailleurs avoir été celle-là. Il ne fait pas partie des grands preux des légendes du Moyen Age. Il faut attendre le baroque pour le voir resurgir, triomphant dans les jardins de Versailles, ou sur une toile Jouy « Le char de l'aurore » qui orna des salons d'apparat. Pourquoi réapparaît-il si tardivement, et transfiguré : devenu chef glorieux, alors que les texte romains en faisaient La Bête terrassée par l'aigle romaine, et ce bien avant que Napoléon lui demande de l'aide d'outre-tombe pour ses campagnes d'Italie... Et le voici chez Grabbe en héros politique et romantique. … Et le voici parce que Bonnaffé l'interprète chargé inconsciemment des personnages passés que le comédiens a joués.



Faut-il relire Tite-Live ? Faut-il lire ce qu'en pense le comédien (site de la compagnie Faisan) ?