Elle chante.
Elle est chanteuse.
Chanteuse professionnelle.
Elle se produit sur
scène. Sur la scène des petits villages, pendant les repas des
anciens, à la campagne, dans les soirées d'après vide-grenier.
Elle fait aussi les thés dansants...
Sa gloire, elle la tire
de participations anciennes à une émission d'après-midi depuis
longtemps déprogrammée. Une émission que seuls les inactifs
pouvaient regarder, il y a 30 ans.
Son répertoire est leur
reflet. Ses chansons ont selon les uns le parfum de lavande des
grands-mères endormies ou l'odeur de naphte d'un passé embaumé.
Elle invite à des danses dont les dictionnaires parfois se
souviennent.
Elle rit et semble
s'amuser. Un accessoire dérisoire, boa vert, cape étriquée rose
fourrée de petits nœuds lui donnent l'impression qu'elle est Dalida
ou Régine.
Elle chante tout de la
même voix de miel. Les rythmes, les ruptures s'émoussent dans une
bienheureuse harmonie. On ne sent pas la différence entre Eddy
Mitchell et Patachou ou Mireille. Pour Edith Piaf, elle essaie de
rouler les R, pour donner une couleur locale...
Joue-t-elle un double
jeu ? S'y est-elle laissé prendre ? Croit-elle encore ?
Ou lutte-t-elle derrière le masque ?
Le public la regarde un
peu, l'écoute moins. Les conversations se poussent de la voix pour
couvrir le bruit. De temps en temps, elle monte la sono. Parler
devient impossible, alors on se fait signe : « dès
qu'elle a fini, on reprend ce qui nous intéressait ». Le
soulagement explose plus que les applaudissements.
Elle est tragique.
Risiblement tragique ? Atrocement tragique ?
Elle est chanteuse, comme
les femmes qui sont danseuses parce qu'elles se produisent dans un
Peep-show.