HANNIBAL
Le théâtre de Gennevilliers propose
actuellement une pièce d'un auteur allemand Grabbe ; mise en
scène par B. Sobel avec J . Bonnaffé dans le rôle
titre : Hannibal.
Étrange pièce que cette pièce, d'un
auteur allemand du début du XIXème siècle, mais qui nous surprend
à peine, nous les spectateurs du début du XXIème siècle. Le
théâtre de la fin du siècle dernier nous a habitués aux
raccourcis, aux ellipses. Nous pensons inévitablement à Brecht ou à
Piscator. Les scènes se succèdent dans des lieux et dans des temps
éloignés. Pas question de ces lourdes tragédies empesées qui
avaient fait la gloire du XVIIème ou des opéras de marbre inspirés
de l'Antique. Le texte est moderne et semble avoir été écrit il y
quelques années à peine. Pas d'histoire suivie, mais des coups de
projecteur sur des temps forts. Pas la guerre ou les textes traduits
pendant une scolarité humaniste, mais des scènes de la vie
quotidienne, ou des scènes que l'histoire a préféré oublier,
parce qu'elles révèlent trop la faiblesse humaine. Une scène
d'amour pour évoquer en filigrane la guerre qui commence en Italie,
une répétition d'atelane, pour confronter Hannibal à la mort d'un
proche et à la fourberie des Romains...
Une succession de scènes donc où
chaque comédien trouve son morceau de bravoure, son instant de
gloire.
La scénographie s'articule autour d'un
immense escalier qui occupe tout le plateau. Les personnages en
descendent vers le public, comme si venant de l'Histoire avec un H
Majuscule, ils plongeaient vers leur intime, vers leur nature
profonde, dans un tréfonds où tout peut être dit.
Les différents éléments qui
complètent cet escalier sont disposés et retirés à vue, parfois
avec un jeu.
Les personnages représentent une jolie
palette de ce que la politique et l'univers rassemblent dans tous les
temps et tous les pays. La plus surprenant est le personnage
d'Hannibal. Nous sommes très éloignés du foudre de guerre des
textes latins, celui qui faisaient trembler d'horreur les Romaines,
un Hitler de version latine, que le Moyen Age n'a pourtant pas retenu
au titre des preux. Nous sommes très loin aussi du héros glorieux
des jardins de Versailles ou de celui du Louvre que Girardon faisait
copier à ses élèves. C'est une des particularités des pièces de
Grabbe. Il prend le parti de représenter des héros dans leur
faiblesse, dans leur retour à l'humanité après la gloire, dans
leur existence profonde, la seule véritable, ainsi le Napoléon des
100 jours, l'Hermann de la soumission à Rome ou Hannibal déjà
perdu avant d'être parvenu à Rome. Il bouleverse la chronologie
pour en extraire les temps où les héros se fissurent, où ils sont
atteints dans leur chair, leur sentiments, leurs doutes, leurs
espoirs.
J. Bonnaffé prête son corps de
danseur autant que de comédien à Hannibal, lui conférant une
humanité et une félinité de fauve africain qui manque au
hiératique personnage de Girardon. Il est vraisemblablement le seul
comédien actuel capable de dire sur le même souffle, la même
respiration, une intention (je vole le mot à Rauck) et son
contraire. Il y a de l'abandon dans sa force et une reprise
d'autorité dans sa faiblesse. Sa main droite dans la dernière scène
a une force d'expression qui vaut à elle seule d'assister à la
représentation.