Après plusieurs mois sans
représentations provocatrices de réflexions (à part un Guignol à
Lyon- joli moment obtenu malgré l'employée de l'office de tourisme
qui refusait de me renseigner parce que j'étais une adulte et qu'il
est impensable qu'un adulte assiste à un spectacle pour enfant...)
Après un temps de vide donc, me voici
avec plusieurs choses (je ne sais pas si le mot « pièce de
théâtre » convient) à commenter.
Le bouleversant Vortex de Phia
Ménard … (voir article)
Et aujourd'hui Le stéréoscope des
solitaires de Juan
Rodolfo Wilcock, dans une mise en scène de Ingrid von Wantoch
Rekowski .
La
représentation a lieu dans un espace réduit, comme Vortex (la
comparaison s'arrête là). Tout se concentre sur la piste d'un
cirque historique, 4 musiciens sont installés à 4 points cardinaux
dans les gradins.
On
rentre par groupes de 6 personnes, pour faciliter la fluidité. Je ne
pense pas que nous dépassions la soixantaine de spectateurs.
Je
suis tentée de mettre entre guillemets tous les mots que j'emploie.
Y
a-t-il spectacle ? Y a-t-il installation ? Y a-t-il des
acteurs ? Des danseurs ? Y a-t-il des spectateurs ?
Seuls les musiciens ont une existence repérée et repérable, même
s'ils adoptent des gestes de robots très stéréotypés et pauvres
de signification.
Réglons
tout de suite ce qui concerne la musique : il s'agit d'une
composition contemporaine très crissante et qui tire parti des
grincements pour les cordes, de la rupture soudaine pour les
cuivres. Intéressante. (dans un autre contexte)
Et
revenons à notre cheminement de spectateur (?). On entre directement
dans un amoncellement de cartons blancs qui a dû demander un travail
colossal. Une piste se crée, très étroite entre les piles ;
elle guide et égare dans un espace chaotique. Des objets, rares,
sont placés ici ou là. On ne saurait dire s'il s'agit de récup (il
existe des créations merveilleuses issues de ce principe de
modification d'objets abandonnés) ou si ce sont de vrais objets
laissés à l'abandon à moitié cassés et vaguement rafistolés..
On les retrouve parfois à l'intérieur des cartons par un jeu
d'ouvertures rectangulaires, aléatoires et variables.Ce sont souvent
les mêmes (une cuillère aplatie, un tortillon de métal, une râpe
à fromage). Quelques uns sont éclairés. On reste dans des tons
allant du marron au noir, passant par le gris. Monde de l'étrange ?
Pour dire que les personnages sont brisés ? La métaphore
serait trop banale et trop facile. Quelques autres objets relatifs
au temps, encore métaphore usée et plaquée...
Au
hasard d'un angle on découvre un comédien affublé d'un masque
magnifique. Il est figé, statue dont on sent qu'elle va s'animer. Il
y a un pingouin, une chèvre, un rat, une grenouille, un renard d'une
grande beauté. Face d'animal et corps d'humain au costume déterminé
(long manteau, pull et sac à dos..) On pense à Grandville ou à des
personnages de Benno Besson, Porras ou Arias... Mais vite le
souvenir s'interrompt. Il y a aussi un autre personnage, sans masque,
dans une combinaison fluide blanche. A la sortie, elle sera dans les
conversations « le caniche », alors que les autres seront
« celui qui avait un masque de.... » Une inversion ?
Le seul à avoir une apparence humaine est un animal et ceux qui
sont travestis sont sentis humains cachés par un masque.
Que
faire avec eux ? Font-ils partie de l'installation ?
Faut-il s'attendre à une amorce de jeu ? Une complicité ou une
opposition. Ils sont simplement là, se déplaçant dans le
labyrinthe ? Nous faut-il les découvrir ou les éviter comme
dans pacman ? (le même lieu avait servi pour les terres
sensorielles de Julie Rothhahn où la rencontre était voulue et
programmée). On s'évite aussi entre spectateurs...
Le
texte, limité à une douzaine de nouvelles, est présent sous forme
de photocopies au format A5 en pile sur des cartons ou cloués sur
les mêmes cartons. C'est au spectateur de les lire (en silence
merci, il y a de la musique), bousculé, encombrant un passage,
interdisant la circulation des autres. La lumière est parcimonieuse,
la police est petite. Il est peu agréable de lire. Je retombe
toujours sur les 4 mêmes textes, intéressants, mais avais-je besoin
de toute cette installation pour en savourer la finesse, le
surréalisme ?
Lasse,
je me replie sur les gradins déjà partiellement occupés. Vu de
plus haut les cartons donnent l'impression d'une ville. Des
variations de lumière y simulent l'écoulement des jours (Voilà
pourquoi la lumière me manquait quand je voulais lire...). Assez
vite, il n'y a plus dans le labyrinthe que les comédiens masqués et
le caniche. Brusquement je me dis que cela pourrait créer du jeu,
avoir une existence. Et si …
Ma
réflexion est interrompue par ma voisine qui me demande « vous
croyez qu'on peut partir ? » Déjà entendu pour John
Foss. Nous nous levons. Arrêt, comme la statue du commandeur, la
metteur en scène se tient devant la seule issue possible. Nous nous
rasseyons le plus naturellement possible. Elle descend et va
déambuler quelques minutes avec les comédiens puis remonte sur les
gradins et s'assoit. La musique s'interrompt. Silence
Silence
et nouvelle fixité dans le labyrinthe. Silence en bas et silence
dans les gradins, un silence qui dure dans la gêne, la culpabilité
d'avoir voulu échapper ? D'être assis au lieu de s'égarer
dans le micro-labyrinthe ?
Un
applaudissement, seul, unique, qui ne trouve pas d'écho. C'est
Ingrid von Wantoch Rekowski qui applaudit, un siège me sépare
d'elle. Un autre applaudissement de l'autre côté, puis d'autres, de
soulagement.
C'est
fini ? Cela a-t-il commencé ?