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lundi 22 octobre 2018

areleve-re, brave soldat


Une petite ville de la banlieue de Douai, Cuincy, et un soirée de mi-octobre, une date parmi d'autres dans le calendrier des commémorations de l'Armistice de 1918. Pourquoi en parler, parce que cette petite ville s'est offert la présence d'un comédien connu en lui laissant carte blanche. La salle est comble. Le comédien est Jacques Bonnaffé. Nous sommes dans le Nord et il pédale local... Un spectacle d'un peu plus de 2 heures terminé par une Ovation debout.
Après une présentation par une élue qui met en parallèle, les récompenses du comédien, son rôle de chroniqueur en poésie sur France Culture et ses choix qui l'éloignent d'une politique carriériste, la soirée « areleve-te, brave soldat » peut vraiment commencer.
Le spectacle se divise en deux parties qu'un faux entracte improvisé délimitera.
Le première partie se passe en bas de la scène éclairée qui donne à voir un décor et les accessoires d'une autre pièce.
Jacques Bonnaffé, assis à un bureau, manipule son ordinateur pour faire entendre des textes enregistrés accessibles sur le site Cafougnette. Des extraits d'un ouvrage de Jules Mousseron « les Boches en pays noir », texte qui avait déjà été présenté à l'auditorium du Centre historique minier de Lewarde au moment de sa diffusion sur CD. Jacques Bonnaffé est, je pense, le seul comédien à passer un enregistrement alors qu'il est présent, alors qu'il pourrait lire le texte. Il en profite pour commenter, traduire quelques expressions, reprendre une phrase. C'est contraire à toute règle consensuelle de représentation et pourtant ça fonctionne. Le public en redemande. Une petite anicroche dans la manipulation, un ennui technique, il y va d'une plaisanterie. Le ton est donné nous sommes dans la performance. Je ne parle pas du show ou du récital, mais de la performance du texte, au sens théâtral.
Les auteurs sont là : Mousseron, bien sûr, Genevoix, Aragon, Darras... « Elitaire et pomme de terre », comme l'annonce la devise qu'il s'est forgée. Les guerres aussi se mélangent : 14-18 (avec déjà l'annonce de la réconciliation de 1963, « aujourd'hui on ne dit plus Boche »), 39 45 (avec la bataille de Dunkerque) et toutes les guerres qui de nos jours encore poussent les populations sur les routes. Un poème de Mousseron parle de l'exil forcé de la 1ère guerre mondiale, on pense au cortège de « En mai fait ce qui te plaît », 20 ans plus tard et aux migrants plus récents. On pense au film « Dunkerque ». Jacques Bonnaffé prend d'ailleurs soin de rappeler les dates, de montrer leur peu de distance. Les textes sont noirs, denses, solides, prégnants mais il trouve toujours un moyen pour les détourner quelques secondes, en trébuchant sur une phrase, en commentant « Genevoix ne m'aide pas dans sa transcription du chtimi... ». Martin, un personnage de Ceux de 14 rejoint Cafougnette. Ils sont du Nord, et encore plus frères de ceux qui écoutent.
Jacques Bonnaffé prône la supériorité des mots sur les images et c'est pourtant son image qui soutient la lecture, vient relancer l'écoute... C'est flagrant quand, parti à la recherche d'un passage dans un livre, il se tait, ne donnant plus à voir que son enveloppe. Il est ailleurs et dans un autre temps (rupture du « temps commun » de la performance). Immobile, de profil, concentré sur sa recherche, il a oublié le public. Le public, lui, reste silencieux, en attente, l'image est forte de cet homme en train de lire, un peu de ce qu'il vit passe..., ou un peu de son action (nous sommes vraiment dans la Performance). Puis il a trouvé le passage, la lecture à voix haute reprend... nous partageons à nouveau le même temps.
Le seconde partie est un extrait du spectacle « Les vieilles carettes » (voir article publié en août 2018). Si certains auteurs sont ceux qui avaient été dits à Vassivière, de nouveaux viennent les rejoindre : Raymond Queneau et Valérie Rouzeau notamment. « élitaire et pomme de terre » et Jean-Pierre Verheggen pointe le bout d'un poème.
Cette seconde partie ne détonne pas avec la première bien que constituée par un spectacle officiel, qui tourne avec une base presque fixée, tant chaque mot, chaque passage, chaque phrase, chaque geste, a été étudié, travaillé au calibre des enseignements pris dans les performances. La seconde partie n'a que la couleur d'une « performance », elle est un chef d'oeuvre de composition (on sait l'excellence du comédien dans ce type de rôle) et de minutie. C'est le minuscule détail de la toile de Brueghel l'Ancien.
Comme toutes les performances, cette soirée n'est pas reproductible.... Elle ne pourra être qu'imitée.

lundi 1 octobre 2018

la voyageuse (critique)


Me voici à devoir parler de la troisième soirée à laquelle j'ai assisté au festival Paroles de conteurs de l'Ile de Vassivière.
C'est aussi celui qui me pose le plus de problèmes et qui m'a le plus dérangée pendant sa représentation. J'ai, à plusieurs moments, éprouvé l'envie de partir, de m'échapper.

Une femme seule parle du cruel dilemme qui l'écartèle : poursuivre une carrière d'écrivain qui s'annonce bien ou s'occuper davantage de sa jeune enfant, qu'elle a surnommée «  Cappuccino ».
Elle évoque en parallèle les événements de sa vie professionnelle qui l'appelle régulièrement partout dans le monde et ses retours brefs, irréguliers dans son petit appartement où elle retrouve sa fille. L'enfant qui est en école primaire s'intéresse à sa mère peut-être plus que la mère ne s'intéresse à la fille, toujours entre deux écritures, deux lectures. Il y a pourtant de l'amour entre les deux et le souvenir de l'amour que portait la mère à sa propre mère également écrivain. Le spectacle est une illustration fidèle et bien observée de la difficulté, voire l'impossibilité, des femmes à assumer à part égale leur carrière et leur vie familiale. On ne demande pas aux hommes de le faire, ou quand ils y sont contraints, on les montre dans un film «fort », qui « dérange » , pour bien faire comprendre les sacrifices que cela suppose et l'on s'apitoie sur le « pauvre père ». Ici aussi la femme doit se sacrifier pour la vie de sa fille.
La comédienne assume à elle seuls tous les personnages : hommes, femme et enfant, s'adressant tantôt au public dans un schéma narratif de type « conte », tantôt en jouant (théâtralement) simultanément les différents protagonistes de la scène. C'est admirablement bien fait, une mise en scène précise et juste, un jeu étudié et subtil.
D'où vient alors mon malaise ? Mon impossibilité d’applaudir ? Mon refus d'empathie ?
On comprend très vite que Michèle Nguyen parle d'elle, avec une barrière artistique si mince qu'elle ne résiste pas. La souffrance de la comédienne est plus forte que la souffrance du personnage. On imagine le nombre de séances chez le psychologue qui ont permis aux mots d'être prononcés, aux sentiments d'être assumés.
Que me demande-t-on en tant que spectateur ? Un rôle neutre d'écoutant ? Un prise de position (Oh la pauvre, quelle grandeur ! Quelle générosité ! ) ? où est le conte ? (ce genre de représentation s'apparente aux « récits de vie ») Il ne peut s'agir d'une performance : trop travaillé, trop théâtralisé... Le texte n'est pas essentiel. L'important est la douleur et le déchirement, la mise en croix.
On pleure beaucoup sur scène et dans la salle. Parce que l'émotion est palpable et communicative. Et les dernières paroles sont « vous m'avez manqué », réunissant le réel et ce qui est sur le plateau.

Nous sommes sous un chapiteau pendant un festival, on applaudit. Que feriez-vous si à la terrasse d'un café une femme venait vous raconter les tourments qui l'agitent et la culpabilité qui la déchire ?
Que dire de ce spectacle ? Si ce n'est que je n'y vois ni théâtre, ni conte, ni performance.