Une petite ville de la
banlieue de Douai, Cuincy, et un soirée de mi-octobre, une date
parmi d'autres dans le calendrier des commémorations de l'Armistice
de 1918. Pourquoi en parler, parce que cette petite ville s'est
offert la présence d'un comédien connu en lui laissant carte
blanche. La salle est comble. Le comédien est Jacques Bonnaffé.
Nous sommes dans le Nord et il pédale local... Un spectacle d'un peu
plus de 2 heures terminé par une Ovation debout.
Après une présentation
par une élue qui met en parallèle, les récompenses du comédien,
son rôle de chroniqueur en poésie sur France Culture et ses choix
qui l'éloignent d'une politique carriériste, la soirée
« areleve-te, brave soldat » peut vraiment
commencer.
Le spectacle se divise en
deux parties qu'un faux entracte improvisé délimitera.
Le première partie se
passe en bas de la scène éclairée qui donne à voir un décor et
les accessoires d'une autre pièce.
Jacques Bonnaffé, assis
à un bureau, manipule son ordinateur pour faire entendre des textes
enregistrés accessibles sur le site Cafougnette. Des extraits d'un
ouvrage de Jules Mousseron « les Boches en pays noir »,
texte qui avait déjà été présenté à l'auditorium du Centre
historique minier de Lewarde au moment de sa diffusion sur CD.
Jacques Bonnaffé est, je pense, le seul comédien à passer un
enregistrement alors qu'il est présent, alors qu'il pourrait lire le
texte. Il en profite pour commenter, traduire quelques expressions,
reprendre une phrase. C'est contraire à toute règle consensuelle de
représentation et pourtant ça fonctionne. Le public en redemande.
Une petite anicroche dans la manipulation, un ennui technique, il y
va d'une plaisanterie. Le ton est donné nous sommes dans la
performance. Je ne parle pas du show ou du récital, mais de la
performance du texte, au sens théâtral.
Les auteurs sont là :
Mousseron, bien sûr, Genevoix, Aragon, Darras... « Elitaire et
pomme de terre », comme l'annonce la devise qu'il s'est forgée.
Les guerres aussi se mélangent : 14-18 (avec déjà l'annonce
de la réconciliation de 1963, « aujourd'hui on ne dit plus
Boche »), 39 45 (avec la bataille de Dunkerque) et toutes les
guerres qui de nos jours encore poussent les populations sur les
routes. Un poème de Mousseron parle de l'exil forcé de la 1ère
guerre mondiale, on pense au cortège de « En mai fait ce qui
te plaît », 20 ans plus tard et aux migrants plus récents.
On pense au film « Dunkerque ». Jacques Bonnaffé prend
d'ailleurs soin de rappeler les dates, de montrer leur peu de
distance. Les textes sont noirs, denses, solides, prégnants mais il
trouve toujours un moyen pour les détourner quelques secondes, en
trébuchant sur une phrase, en commentant « Genevoix ne m'aide
pas dans sa transcription du chtimi... ». Martin, un personnage
de Ceux de 14 rejoint Cafougnette. Ils sont du Nord, et
encore plus frères de ceux qui écoutent.
Jacques Bonnaffé prône
la supériorité des mots sur les images et c'est pourtant son image
qui soutient la lecture, vient relancer l'écoute... C'est flagrant
quand, parti à la recherche d'un passage dans un livre, il se tait,
ne donnant plus à voir que son enveloppe. Il est ailleurs et dans un
autre temps (rupture du « temps commun » de la
performance). Immobile, de profil, concentré sur sa recherche, il a
oublié le public. Le public, lui, reste silencieux, en attente,
l'image est forte de cet homme en train de lire, un peu de ce qu'il
vit passe..., ou un peu de son action (nous sommes vraiment dans la
Performance). Puis il a trouvé le passage, la lecture à voix haute
reprend... nous partageons à nouveau le même temps.
Le seconde partie est un
extrait du spectacle « Les vieilles carettes » (voir
article publié en août 2018). Si certains auteurs sont ceux qui
avaient été dits à Vassivière, de nouveaux viennent les
rejoindre : Raymond Queneau et Valérie Rouzeau notamment.
« élitaire et pomme de terre » et Jean-Pierre Verheggen
pointe le bout d'un poème.
Cette seconde partie ne
détonne pas avec la première bien que constituée par un spectacle
officiel, qui tourne avec une base presque fixée, tant chaque mot,
chaque passage, chaque phrase, chaque geste, a été étudié,
travaillé au calibre des enseignements pris dans les performances.
La seconde partie n'a que la couleur d'une « performance »,
elle est un chef d'oeuvre de composition (on sait l'excellence du
comédien dans ce type de rôle) et de minutie. C'est le minuscule
détail de la toile de Brueghel l'Ancien.
Comme toutes les
performances, cette soirée n'est pas reproductible.... Elle ne
pourra être qu'imitée.