Travail de recherche l'autre jour au
sein d'un atelier sur le conte. « Quand doit-on lancer le
traditionnel il était une fois ? »
Les avis divergent.
Le plus vite possible, pour indiquer que l'attention est requise. Le
plus tard possible pour mettre le public en écoute.
Ne pas juger. Mon
avis de théâtreuse est obligatoirement faux. Souvenir de contes
dits il y a un peu plus de dix ans. Contes écrits par un écrivain
local, doué mais au style trop peu théâtral déjà pour les
pièces que je jouais, alors pour les contes.... Beaucoup trop
d'adverbes, d'accumulations d'adjectifs, de passés simples, de
subjonctifs, de tropes. Les mots s'empiergeaient dans ma bouche, se
fracassaient en avalanche à la moraine de mes dents. Sensation alors
de vide, d'échec. Certitude d'avoir déçu le rêve devant des yeux
d'enfants interrogateurs et ceux d'adultes fatigués par la longueur.
Un jour j'avais tout bousculé, insurrection de comédienne. L'enfant
qui jouait avec moi m'avait dit à la fin de la scène, oubliant son
texte, « j'aime bien ton histoire. » La pièce
s'était poursuivie. J'avais évité les foudres de l'auteur à la
fin, adulé par une journaliste d'entrefilets.
Le débat lancé
entre les conteurs sur ce il était une fois m'interroge. Par
rapport au conte certes, mais aussi par rapport à mes recherches sur
les spectacles de la voix et du texte, et par rapport au théâtre en
général.
Quand les
comédiens, diseurs ou lecteurs des spectacles de poésie que je
fréquente, retardent le moment de l'arrivée des mots, je me sens en
impatience. Suis-je plus attentive ? Je suis surtout dans un
rituel de préliminaires. J'ai l'impression de participer à ce
retardement. Le comédien montre souvent qu'il reconnaît la présence
du public, mais qu'il l'ignore par jeu. Le contre-jeu du public
consiste alors à essayer de se faire reconnaître, de façon plus ou
moins extériorisée. « Attendez, je m'installe. »
« Dépêche-toi, nous nous sommes prêts à t'écouter. »
La désinvolture affichée sur scène génère une montée en
tension avide que les premiers mots apaiseront. Souvent le rituel se
reproduit dans la suite de la lecture. Il appartient aux marques dans
ce type de spectacles de la co-présence physique du comédien et du
spectateur. Temps de repos, de trêve, temps de reprise en main par
le comédien. « eh arrête de faire autre chose, tu es là pour
t'occuper de nous ! » « Alors écoutez »
Et au théâtre ?
Il y a eu pendant longtemps une mode qui consistait à faire entrer
le public dans une salle où les acteurs étaient déjà installés,
en position figée, ou en action (visiblement ou non). On était un
peu plus en avant de l'absence de rideau de scène. Et c'est à cela
que me renvoie aussi la question. Y a-t-il création d'une attente ou
au contraire création d'un désintérêt ? J'arrive souvent
très en avance. Je suis myope, il me faut être près. J'avoue que
parfois après une tentative pour essayer de comprendre ce que font
ces gens qui s'agitent sur scène, je me mets à discuter avec mes
voisins ou à lire. Je n'ai, je crois jamais eu la sensation de jouer
au jeu de l'ignorance. Peut-être parce que les êtres en action ne
sont pas des comédiens mais des personnages en action, ce qui est
totalement différent du cas précédent, ou du cas du conteur. C'est
moi qui suis cachée aux personnages par le rideau de scène et qui
apparaîtrai dans la pièce par mon négatif quand la lumière
s'éteindra et que la pièce commencera. Et je n'ai parfois plus
envie que la pièce commence.
Souvenir d'une
représentation d'un spectacle circulaire de Robert Lepage, dans un
cirque. Tout une première partie se joue avant le vrai début de la
pièce : présentation de machines extraordinaires et de tours
de magie autour de la figure du magicien Robert Houdin. Cette partie
a été conçue par un magicien et ombromane. L'installation du
public dans un cirque est très compliquée, les gens se font
inévitablement face, détourner leurs regards est une nécessité.
La scène tourne, chacun la voit évoluer. Elle est une sorte de
prologue de l'autre, qu'elle évoque, mais ne supplée pas.
Souvenir aussi
d'une représentation en bi-frontal, avec des personnages au centre,
qui sont dans l'attente, attente jouée. On ne peut empêcher des
regards qui se perdent, des fuites du jeu. Le public se dépêche de
s'asseoir sur les gradins. Soulagement général, quand les premiers
mots dans le noir qui s'installe dissipent le malaise.
Je ne sais pas
quand on doit dire Il était une fois.