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jeudi 26 mars 2015

Philippe Beau, les hommes aux mille mains

Me voici face à une situation difficile.
Où dois-je placer cette critique. Dans « critiques de théâtre » ou « les gens que j'aime » ?
Commençons donc à l'inverse. J'ai rencontré Philippe Beau, il y a quelques années. Dans la vie, comme disent ceux qui scindent la scène et le privé, Philippe est un personnage qui ne peut laisser indifférent, par sa simplicité, son humilité, son souci des autres, son perfectionnisme, sa politesse, son sens de l'écoute. Toutes ses qualités, il les met dans son travail et « les hommes aux mille mains » en sont empreints.
Le principe : associer la fascination que Cocteau éprouve pour les mains et le rapport que lui, le magicien et l'ombromane entretient avec ses mains. Les deux sont dans la magie au sens de ce qui nous arrache au réel.
Une phrase de Cocteau rythme le spectacle. « il ne faut pas chercher à comprendre, il faut croire. », une porte ouverte au monde de l'enfance et de l'illusion.
Il y a un parallèle constant entre des œuvres de Cocteau (films, dessins, textes, sculptures... ) et ce qui se passe sur le plateau : ombromanie, tours de magie, rapport avec l'écran de fond de scène, projection de vidéos. Certains passages de film se retrouvent vivants sur scène, reconstitués en chair, des ombres viennent habiter des dessins....Un pianiste joue, des œuvres un peu modifiées elles aussi, comme si tout était touché par la métamorphose.
Comme toujours, j'ai pris le temps, malgré le charme qu'exerçait le spectacle, d'interroger le rapport au public. Presque malgré moi... parce qu'à un moment, éblouie par une scène d'une remarquable intensité, j'ai eu envie d'applaudir. Le silence intense, mais éthéré, qui régnait dans la salle m'en a empêchée. Plus tard dans la soirée, j'ai entendu ailleurs un applaudissement de quelque seconde (je choisis volontairement le singulier) qui s'est éteint tout seul. Le public n'existait que par sa respiration qui synchronisait l'image d'un rêveur sur l'écran. Une respiration souple, abandonnée et confiante. Il y avait dans cette salle comble quelque chose de religieux. Tous les spectateurs n'en faisait qu'un, respirant d'un seul souffle, relié de corps qui allaient se séparer une heure 20 plus tard.
Raconter le spectacle pour vous donner envie d'y aller. Je crois qu j'en suis incapable, parce qu'il faudrait faire un effort de compréhension et d'analyse contraire au regard de l'enfance.

« Il ne faut pas chercher à comprendre, il faut croire ».  

samedi 14 mars 2015

critique de 887 de Robert Lepage

Voici une critique publiée il y quelques temps déjà, mais qui revient à l'actualité puisque la pièce de Robert Lepage est jouée dans le cadre du Festival d'automne de Paris. Un spectacle à ne pas manquer : lisez la suite pour vous en convaincre. 


Que dire d'un spectacle de Robert Lepage sinon qu'il faut le voir pour en savourer toutes les finesses et les subtilités ou prouesses techniques. Chez Lepage, les techniciens qui travaillent dans l'ombre sont plus nombreux que les personnages présents sur scène. Ici on atteint un record : 1 comédien pour 12 techniciens. Aucun doute au vu de ces chiffres qu'on est en présence qu'une version moderne des pièces à machines. Le 

L'histoire se révèle comme toujours est multiple, morcelée, plurielle, discontinue, discursive (comme le drame contemporain). On avance touche par touche dans l'histoire parallèle de quelques familles et l'histoire d'un pays qui se cherche. Le texte est long sans être fastidieux. 

Ma réflexion m'amène à regarder de plus près la place du spectateur dans cette conception théâtrale. (on pourra lire l'article sur stéréoscope des solitaires). 
Le public assume 3 fonctions différentes. 
Il est tout d'abord le deuxième personnage du dialogue. Le texte est en réalité un faux monologue, dont le public est l'interlocuteur silencieux, toujours consentant, ais demandant parfois une précision, demande muette mais que le personnage entend ou précède. Le spectateur oscille entre le rôle de confident et celui de destinataire d'une parole plus documentaire, plus politique. Le comédien/ personnage s'adresse à lui directement ou au moyen d'une projection quand il est de dos. 
Le spectateur reprend sont rôle d'observateur extérieur quand intervient dans la scène un second personnage virtuel. Il n'a pas de voix, pas de corps. Il n'existe qu'en creux dans les gestes qui lui sont destinés vers la coulisse ou dans un jeu de questions aux réponses prévisibles et que confirme la suite du dialogue. Ce personnage virtuel est l'un des plus construit du drame (identité, sentiment, présence ...)
Enfin en dernier lieu, le spectateur devient personnage à part entière. C'est à lui que s'adresse le comédien quand il parle aux organisateurs de la soirée de 40 ème anniversaire de la Nuit de la Poésie et au public de cette cérémonie. Il s'agit d'un public en abîme : celui de 2015 et celui d'il y a 40 ans confondus sur les mêmes fauteuils...

Si les spectacles de Robert Lepage sont des merveilles de recherche en technologie et en trucage, il est indéniable que le lien qui se crée entre la salle et la scène est aussi une préoccupation essentielle de ce metteur en scène.

mardi 10 mars 2015

Lumière et religion (suite de la recherche sur le champ lexical de la lumière)

On l'a vu dans la partie qui concerne les étymons, le mot dieu est formé sur une racine indo-européenne qui signifie sur la lumière, Dieu et lumière comme Dieu est lumière, de Zeus (forme helléniste de la racine) à Jovis (forme latine de la racine) en passant par Zarathoustra . N'oublions pas que ces deux dieux ont pour symbole l'éclair, la foudre, lumière matérialisée et qui punit les hommes.

Nombreux sont donc les cultes qui vont avoir la lumière divine comme objet et nombreuses vont être les expressions qui associent la lumière et la présence divine, même si parfois des glissements s'opèrent comme pour Lucifer ( la dernière étoile de matin celle qui s'éteint à l'arrivée de la lumière du jour) qui est devenu un des démons, des déchus de la religion chrétienne.

La lumière est la vie dans l'obéissance à Dieu.

Dans la Génèse, on trouve le célèbre « fiat lux » Que la lumière soit, et la lumière fut, première intervention de Dieu pour la création du monde.
La lumière symbolise la Sagesse, la Vérité, le bien.
La lumière éternelle, c'est l'éclat qui émane de Dieu et qui constitue la vérité qui éclaire la vie du croyant. C'est la clarté opposée à la force des ténèbres. (Tolkien, réinventant un univers pour le seigneur des anneaux, retrouvera les mêmes noms et surnoms pour les personnages, tout comme Georges Lucas pour La guerre des étoiles : dark vador « le sombre » est opposé à Luke Skywalker.)

Un enfant de lumière marche dans la voie de Dieu.
Les mots qui se rapportent à ce domaine se forment essentiellement sur « illuminare » (mettre dans la lumière)
illuminable : susceptible de recevoir la lumière divine
illuminatif, ive : qui a rapport avec l'étape de la vie spirituelle où dieu éclaire l'âme, vie illuminative.
Illumination : lumière dont Dieu éclaire parfois une âme.
Illuminé : Visionnaire, qui a reçu la lumière divine, adjectif employé dans cette acception dans les sociétés maçonniques. Nous avons l'habitude de comprendre ce mot dans un autre sens négatif actuellement : un illuminé est une personne qui poursuit une idée avec une passion aveugle jusqu'au fanatisme, qui est proche de la folie et vit dans l'univers de son esprit.
Illuminisme : doctrine métaphysique fondée sur une illumination intérieure inspirée directement par Dieu.
Dans les sociétés maçonniques, les sept dignitaires les plus importants (le vénérable, les deux surveillants, l'orateur, le secrétaire, le grand expert et le trésorier) sont appelés les sept lumières.


lundi 2 mars 2015

quel spectateur

Je voudrais revenir sur les 3 derniers « inclassables » que j'ai vus ? Auxquels j'ai participé ? En tant que spectateur ?
Dès le départ, je me sens en désaccord avec les mots que je suis contrainte d'employer.
Rappelons donc les trois shows (le mot anglais va provisoirement me faciliter la tâche) :
- Vous pouvez aller relire les articles correspondant dans les archives.
La nouvelle carte de Julie Rothhahn
Vortex de Phia Menard
Le stéréoscope des solitaires Ingrid van Wantoch
J'associe chaque show avec son créateur parce que dans les 3 cas, il n'y a pas de texte préexistant (sauf dans Le stéréoscope, mais si loin). Celle qui porte, il s'agit dans tous les cas d'une femme, celle qui porte donc la responsabilité complète est la metteur en scène -créatrice.
Je ne poserai pas de question sur la théâtralité des formes représentées, cela nous mènerait trop loin, Pas plus que celle de la dramaticité, puisqu'on ne peut pas vraiment parler de drame.
Je voudrais plutôt me concentrer sur ma « fonction », mon « statut » de spectateur dans les 3 représentations. Quel que soit le spectacle, mon statut de spectateur est plus ou moins malmené et exige de me redéfinir, individuellement et dans mon appartenance à une collectivité.
En effet, une des particularités reconnues du théâtre, et du spectacle vivant d'une manière plus générale, est de fédérer une communauté de regardants, par opposition au cinéma où le spectateur se fait happer par l'écran et vit en empathie avec les personnages. Au théâtre, on a toujours le double-jeu du faire sembler d'y croire. (je vous renvoie notamment aux travaux de Marie-Madeleine Mervant-Roux). Dans les 3 cas, je n'ai pas eu l'impression de faire partie d'une communauté.
Même s'il faut établir une gradation dans cette sensation.
Dans Vortex, les rituels d'installation étaient maintenus. Nous attendions dans la salle (mais devant le rideau), les conversations traditionnelles s'étaient mises en place. Nous sommes entrés au moment choisi par Phia Menard. Son travail très proche de la performance suppose un minutage précis pour ne pas la mettre en risque vital. Ensuite, la forme circulaire de l'espace de jeu concentre les regards tout en laissant la possibilité de voir les autres. Je sens les émotions de mes voisins. L'aspect performatif du spectacle m'oblige à m'investir. La présence des autres est une garantie et une protection. Je ne suis pas voyeur parce que j'appartiens à une communauté convoquée.
La nouvelle carte de Julie Rothhahn respectait la mise en place des rituels. Ils étaient faussés au moment où, la brume qui recouvrait l'arène du cirque s'élevait, laissant apparaître des îlots à découvrir. Je l'ai déjà expliqué dans le précédent article, le voyage vers ces îlots était individuel et personnel. Mais il y avait contacts et échanges, avec les serveurs, avec les autres dégustateurs-voyageurs. Le chemin était commun, l'exploration intime.
Le stéréoscope des solitaires était la seule construction qui reposait sur un texte. Ce fut aussi la seule qui me donna l'impression d'être à l'abandon. Les rituels étaient cassés dès le début. L'entrée dans le labyrinthe se faisait au compte-goutte. Très vite les groupes de 2 ou trois se trouvaient égarés dans les différents cheminements. Quel était mon rôle de spectateur ?
Devais-je essayer d'entrer en jeu avec les personnages présents (comédiens sous des masques) ? Devais-je modifier l'installation ? Devais-je seulement déambuler ? Regarder ? Mais quoi ? Devais-jre m'emparer des textes et les lire à haute voix ? (cela était proposé dans la lecture de Thoreau – voir article dans les archives -novembre 2013) Les autres spectateurs croisés ne me renvoyaient qu'un désarroi semblable au mien. Est-ce mon désarroi et mon égarement que les autres devaient regarder ? D'où ? Il aurait fallu jouir du don d'ubiquité pour des gradins se voir déambuler dans l'arène... Devais-je me montrer voyeur en regardant dans toutes les petites fenêtres créées dans les boîtes ? Cela devenait vite lassant.. La création de cet espace utopiste prévoyait-il la venue d'étrangers ? C'est peut-être là la plus grosse erreur de Ingrid Van Wantoch : avoir négligé le partage avec le public.

Où faut-il imaginer un théâtre poussé à l'extrême où le metteur en scène serait à la fois, l'auteur, l'acteur et le seul spectateur ? Cela a déjà été pressenti....