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mercredi 22 octobre 2014

je suis le vent critique


Vue il y a quelques jours, cette pièce de Jon Fosse Je suis le vent raconte de façon indirecte et détournée un drame en mer... avec des personnages déconstruits, sans passé, sans histoire, sans état civil. Pourquoi se sont-ils rencontrés et comment, cela n'apparaît pas. Ils existent dans l'instant de leur parole uniquement, et encore ils n'en sont pas certains. Leur paroles cherchent toujours à trouver une vérité qui leur échappe, vérité des événements, vérité leurs sensations, de leur identité. La résolution de leur interrogation se fait grâce à une révélation qui était présente en filigrane dans les premiers échanges de la pièce et qui deviennent lumineux dans la noirceur des derniers échanges. (peut-être un petit coup d'éclairs de ténèbres – un jour, j'expliquerai ce nom). Nous sommes dans une pièce très caractéristique de l'écriture de Jon Fosse et de beaucoup d'auteurs contemporains. (je vous renvoie à des essais de Jean-Pierre Ryngaert et Joseph Danan).

Le dialogue entre les personnages repose sur un système de questions répétées, d'assertions, contredites par le personnage lui-même, puis reprises et auquelles l'interlocuteur (mais le mot convient-il) répond toujours par un acquiescement. Et là commence un des problèmes de la version vue il y a quelques jours. Le texte surabonde de « oui », approbation d'une affirmation de l'autre, auto-confirmation d'un raisonnement, d'une pensée qui se cherche. On les a tous très bien entendus, tant ils étaient tapés, accentués au détriment du reste du texte, peut-être poétique... Ce martèlement des « oui » gommait toute intention, et les autres mots sonnaient faux, dépourvus d'intention. Le jeu proprement dit s'en trouvait décharné. Je sais qu'il ne faut pas attendre un théâtre classique quand on va voir du Jon Fosse, c'est pour cela, en partie, qu'il est un de mes auteurs préférés. Mais...entendre des comédiens qui parlent faux est un supplice. Quant au jeu, il s'agissait vraiment d'un jeu, destiné à masquer une carence de mise en scène. J'ai déjà eu l'occasion de parler d'un jeu qui repose sur une action sur une structure, une installation. (voir dans les articles de mai), mais dans cette pièce le jeu sur une structure n'apporte rien. Elle tient de la performance pure et existe en parallèle à la pièce. A la limite, on pourrait croire que la performance est interrompue par la pièce. Les 2 comédiens déplacent de grosses caisses en plastiques (casiers de pêche ou gigantesques lego) qui forment une sorte de pont de navire, puis un énorme cube, puis des colonnes, puis un escalier qui mène au sacrifice. Ce jeu disparaît à quelques moments : quand les personnages partagent une bouteille (on repasse en jeu hyper-réaliste) quand ils mangent (on ne voit plus les comédiens partis derrière le cube- mais on entend les bruits traditionnels d'un repas), quand il y a une tempête (une soufflerie apparaît sur scène). Il me semble qu'il s'agit plus d'une agitation que d'une action...et qu'elle nuit au mouvement du texte.

Dans la salle, le public réagit étrangement. Nous sommes très peu nombreux, une cinquantaine, vraisemblablement moins. L'attente qui précède le début du spectacle se fait à voix feutrées, tout résonne dans la salle vide. La scène ouverte laisse voir la scénographie, et comme l'attente est longue les esprits ont déjà bien échafaudé des pistes de lecture. TEtonnamment, la pièce commence dans la quasi obscurité sur le plateau, rejetant le public. C'est d'ailleurs ce qui m'a frappée le plus, les manifestations de la salle. Pendant les premières minutes, un antagonisme violent se met en place. Il y a ceux qui sont sur scène et ceux qui sont dans la salle. Entre eux, la haine et la tension qui précède le choc de deux bandes dans un quartier difficile. Après avoir entendu les premiers mots sur le plateau, la salle s'écoute elle, le moindre bruit (chute d'un programme, éternuement, toux, conversation furtive) est une attente d'un mouvement plus ample et plus belliqueux qui se tournera vers la scène. Elle cherche à savoir jusqu'à quel point elle est « une ». Trop sage, elle se replie dans la léthargie. Une seule tentative, presque suivie : un spectateur lance à un moment où les comédiens sont cachés derrière un énorme monolithe de caisses bleu marine «  si on profitait qu'ils sont planqués pour se casser ? ». Amorce de départ de ses voisins, espoir des plus éloignés rendus à la vie par le mouvement libérateur qui point. Retour des comédiens, déception, engourdissement.

Heureusement il n'y a pas eu de rappel. Je n'ai pas retenu le nom du metteur en scène, ni des comédiens, était-ce utile ?