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vendredi 16 décembre 2016

Gaston Couté au Musée des Beaux Arts

Enfin un spectacle dont je peux parler en bien. Performance ? Non même si on a en tous les ingrédients : unicité du spectacle, co-présence du comédien et des spectateurs, mise en scène ébauchée qui laisse une place à ce que Georges Banu appelle « l'inaccomplissement du spectacle ».
Performance (au sens non universitaire), oui ! Il y a longtemps que je n'avais pas vu quelque chose de cette qualité.
Reprenons dans l'ordre.
Le musée des Beaux Arts de Reims accueillait dans le cadre de l'exposition sur le peintre Lhermitte une prestation de Raynald Flory du collectif artistique Eutectic.
Au programme des textes de Gaston Couté, un de ces poètes patoisants du début du siècle dernier, comme Jules Mousseron, que les acteurs d'aujourd'hui s'approprient avec bonheur. La Beauce et la Sologne …. comme Mousseron à la même époque chante les mines. Pour commencer et pour finir des classiques d'Arthur Rimbaud, de Baudelaire, de Bernard Dimey ( un des autres auteurs fétiches de Raynald Flory). Des textes qui ne détonent pas dans l'univers champêtre qu'illustrent toiles et dessins de Lhermitte projetés au-dessus de la scène improvisée et dont on découvre l'universalité.
Les textes sont d'une actualité sidérante. Comment pourrait-on croire dans la voix de Raynald Flory que près de 100 ans nous séparent de leur écriture, tant ces paysans à la fois matois et butors parlent du monde (d'un monde sosie de celui qui nous entoure) aevc une lucidité née de s'être frotté à la réalité. 
Et là : la surprise. Ce qui aurait pu être une simple lecture des textes devient un vrai spectacle.
Tout est investi, joué, interprété avec mesure ; joué le poème, mais aussi joué le mot qui fait mouche.
Le mise en scène sobre et maîtrisée forme écrin à l'interprète : une lessive étendue, deux morceaux de bois assemblées avec un bout de ficelle, des pierres...
Le patois devient bonheur au delà de la première difficulté. Une interruption permet de faire un rapide cours interactif : on parle désormais la même langue.  On s'amuse du décalage de l'expression et de la justesse de l'observation. Il faut dire que Raynald Flory trouve toujours la juste mesure entre le détail qui amène le sourire et la distance qui souligne le tragique.
Mais surtout ce spectacle prend en compte le public « le quatrième créateur » dont parle Meyerhold. On partage le vin et le pain (pas de la religion) mais des hommes de la terre, moissonneurs, faneurs, paysans, vendangeurs (l'affreux liquide du pressoir et la rousseur de la moisson).

Etait-ce une performance (au sens universitaire du mot). J'espère que non, car j'ai très envie de revoir ce spectacle et de faire découvrir à beaucoup d'autres le bonheur que j'y ai trouvé.

dimanche 27 novembre 2016

l'âge des héros mythiques

Je travaille en ce moment sur les grands mythes et leur remise en écoute pour le public d'aujourd'hui. 
L'un des plus gros problèmes que nous rencontrons est l'âge que nous donnons aux personnages. On ne fait pas parler ou agir de la même façon un jeune homme et un homme mûr ... La situation est encore plus criante quand il s'agit d'un personnage féminin. 
J'en discutais avec un comédien qui interprétait Thésée en Avignon cet été. Le problème s'est à nouveau posé de façon plus directe pendant le festival du conte. Quel âge doit-on donné aux héros des grands mythes de l'antiquité. 
Pour les personnages de l'Odyssée, Homère a devancé la question. Il est assez précis sur l'âge de ses personnages : Ulysse part à 20 ans environ et revient à 40...
Mais Phèdre ou Œdipe ? 
Nous nous sommes accoutumés à voir les grands rôles interprétés par des comédiens de renom, des comédiens qui ont du métier et souvent de l'âge : Pavarotti chanta Roméo à une âge qui n'était plus celui du rôle ...Il faut "avoir de la bouteille" pour s'attaquer à un tel personnage. La Callas peut aussi dans cet esprit servir de modèle... 
Depardieu en Cyrano a du coffre et de l'expérience, mais est-il crédible au-delà ? 

Cette habitude a changé notre vision des personnages et a changé les personnages eux-mêmes. 
Phèdre amoureuse de son beau-fils... Mais quel âge a Phèdre ??? Je crois qu'elle n'est guère plus vieille qu’Hippolyte, peut-être même est-elle plus jeune... Thésée est parti en Crète pour tuer le Minotaure et délivrer la Grèce du tribu de chair fraîche qu'elle doit verser au roi de Crète. Ariane lui confie le fil qui lui permet de sortir du labyrinthe son exploit accompli. Elle doit fuir avec lui pour cette trahison, et s'embarque accompagnée de sa jeune sœur Phèdre. Thésée en  chemin, préférera la cadette et abandonnera l'aînée à Naxos. On ne peut pas imaginer que des princesses d'une quarantaine d'années n'aient trouver ni l'une ni l'autre un mari ....Thésée laisse sa femme en Grèce et repart pour une mission aux Enfers. Il n'est pas parti aussi longtemps qu'Ulysse...Mais admettons qu'il soit parti quelques années. Cela ne semble toutefois guère possible car lorsque Phèdre entre dans Athènes au bras de Thésée "Athenes me montra mon superbe ennemi, je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue". Elle ne peut pas avoir le coup de foudre pour un bambin dans les bras de sa nourrice. Quand Phèdre arrive à Athènes elle est très jeune et tombe amoureuse d'un jeune homme. Phèdre et Hippolyte ont le même âge.... Racine ne s'occupe pas d'une crise de la cinquantaine d'une aristocrate qui s'ennuie mais de deux jeunes gens ... 
Oedipe / Si l'on suit la règle générale qui veut qu'Oedipe ait 50 ans... Cela suppose que Jocaste a au minimum 66 ans (ce qui explique peut-être pourquoi elle n'apparaît souvent pas) Avoir 66 ans est un bel âge dans l'Antiquité grecque où l'espérance de vie est moins longue que de nos jours. Et à 66 ans, elle se pend dans sa chambre, elle est encore agile ... Les jumeaux ennemis ont donc pas loin de la trentaine, vous confondez avec le Prince Charles ou avec Tanguy... Et Antigone doit être une frêle jeune fille de 25 /28 ans... qui redoute son oncle... et qui n'a pas encore fait sa vie...  Cela paraît bien peu vraisemblable.. 

Pourtant quand on veut rendre la jeunesse qui est la leur aux personnages, on se fait traître d'iconoclaste... Où est l'erreur ?? 




samedi 5 novembre 2016

l'art de la comédie (critique)

L'art de la comédie. Le titre est alléchant. Eduardo de Filippo, l'auteur ajoute au plaisir qu'on se promet en allant voir la pièce. Le théâtre qui parle de lui même n'est pas rare, mais il est tout de même moins fréquent que la poésie qui parle d'elle-même.
Voyons le sujet : un directeur de troupe dont le théâtre a été détruit par un incendie se rend chez un préfet pour lui demander son soutien : assister à une représentation qu'il veut donner au théâtre municipal. Devant le refus du préfet, le directeur lui laisse entendre qu'au place des solliciteurs qu'il doit recevoir, il verra défiler les comédiens de sa troupe qui lui donneront la comédie de la vie. Que croire alors ? Et comment répondre aux demandes ridicules ou horribles ?
Oui une bonne soirée en perspective.
La pièce dure 1 h 50. C'est long.
La première partie entre le préfet et le directeur de théâtre est un catalogue de clichés et d'idées reçues, assénées sans autre forme de conviction qu'un jeu un peu forcé et qui part facilement dans la vocifération : le pouvoir doit crier pour se faire entendre, la vérité aussi. On attend avec impatience le moment où ce débat cent fois entendu va enfin se coltiner avec la réalité ou la fiction.
C'est tout le propos de la seconde partie. Les personnages viennent en tant que personnages ou en tant que personnages-comédiens jouant des personnages. (C'est une construction en abyme comme les aime le théâtre qui se regarde le nombril).
Le préfet doute : réalité ou fable ? Il a tort. Les vociférations et le sur-jeux des comédiens ne laissent aucun doute. Le doute du préfet se manifeste alors par de nouvelles vociférations. Bref ça crie beaucoup. Les comédiens ne se limitent pas à crier, ils jouent avec une frénésie qui achèvent de faire disparaître les subtilités du texte. Là où Eduardo de Filippo voulait montrer dans une forme populaire le tutoiement du théâtre avec la ligne de la vérité pure, Patrick Pineau (le metteur en scène) demandent aux interprètes d'offrir des fantoches auxquels on ne croit pas et qui n'attirent aucune sympathie. La farce devient bourgeoise et intellectuelle... et échappe à son écriture.
La scénographie renforce encore le sentiment de malaise qu'on éprouve pendant le spectacle. Le plateau est vide hors des grilles ou claustra de fer qui délimitent des espaces et un gril qui surplombe tout le plateau que les acteurs arpentent avec force de résonances métalliques qui parviennent à couvrir les voix …. On perd encore un peu du texte ….
Et le public dans tout cela ? Vous connaissez mes dadas.... Le public est public. Il ne serait pas là que cela ne gênerait en rien la représentation. Nous ne sommes même pas en présence d'un quatrième mur. Les comédiens sont si occupés à se donner la comédie à eux-mêmes individuellement et réciproquement, que la présence de gens pour les regarder est totalement superflue.

Une belle preuve que l'attente au théâtre peut être déçue. « Bon, on peut se dire que la prochaine pièce ne pourra pas être pire » disait un spectateur optimiste en me tenant la porte à la sortie de la salle.  

jeudi 3 novembre 2016

le public du conte (rumination)

J'ai à nouveau assisté à une contée il y a quelques jours. Beaucoup de contes et de conteurs/conteuses que j'avais déjà entendus. Le public était très disparate : les parents et les grands-parents amènent leurs enfants, petits-enfants et restent (le prétexte est très gros, mais il semble qu'il y ait encore chez certaines personnes une « honte » à venir écouter des contes).
Terminons sur cette « honte », (j'ai connu cela à Lyon où une dame charmante de l'office de tourisme m'expliquait que je ne pouvais pas en tant qu'adulte assister à un spectacle de Guignol... ). Le conte a été faussement associé à l'image de la petite enfance. J'ai à mon répertoire quelques contes qui ne s'adressent pas à toutes les oreilles (contes grivois ou contes d'horreur).
Revenons maintenant à la contée, avec une question déjà soulevée dans un précédent article : un aède d'aujourd'hui : le conte peut-il être considéré comme une « performance du texte » ?
Il me semble que la réponse est négative.
J'ai le sentiment que les spectateurs ne viennent pas écouter un texte (qu'il connaisse d'ailleurs souvent où dont ils tirent vite les ficelles), mais qu'il viennent écouter un conteur (c'est à dire l'instrument par lequel le conte est leur est transmis). Ils sont un peu comme ces mélomanes qui viennent écouter un concerto qu'ils ont déjà entendu des dizaines de fois, mais qui n'ont jamais entendu les vibrations qu'un autre interprète peut faire naître, vibrations de l'interprétation mais aussi vibrations du récepteur qu'ils forment. Le contenu importe moins que le contenant.
Il s'établit par conséquent une relation entre le conteur et l'auditeur une relation particulière, individuelle, mais multiple, et aussi variée qu'il y a de spectateurs présents. La mélopée, la force des images nourrit cette relation et en fait un temps d'exception.
Les enfants n'hésitent pas à s'approprier le conteur et l'histoire en intervenant par des gestes, des prises de parole. Les adultes ont plus de mal à devenir actifs du conte qui leur est offert. Ils sont plus passifs, plus en attente. Ils peuvent réagir, mais encouragés et rassurés du fait qu'ils ne modifieront pas trop leur état d'auditeur. Leur voyage est intérieur et isolé, dans leur imaginaire profond, dans le fondement de leur rapport au monde. Ils sont en osmose avec le récit, pas avec la conteur. A la limite on est plus en présence de spectateurs «de cinéma » qu'en présence de spectateurs « de théâtre ». Il y a individuation. Un phénomène à la fois physique et intellectuel qui s'accompagne d'un empathie totale avec le conteur.
J'ai, l'autre jour, en tant qu'être humain, fait une incursion dans le conte que je donnais, j'ai senti un agacement du public que je dérangeais ; Je n'avais pas le droit à une existence autre que celle de « proférant du récit ».

Dans la performance, le public attend davantage une égalité donneur/receveur face au texte, ou tout au moins un partage.  

jeudi 20 octobre 2016

critique : la nuit sera calme

Spectacle lecture : Jacques Gambelin lit Romain Gary.
La soirée s'annonce belle. La nuit sera calme (c'est le titre du spectacle). Il a été crée en 2007 à Manosque. Cela veut dire qu'il tourne depuis près de 10 ans...
Le livre qui sert de base est un entretien fictif publié en 1976. Romain Gary imagine qu'il se confie au journaliste François Bondy, un ami d'enfance.
La langue est belle, pleine d'images, d'ironie, de raccourcis, de rappels et d'échos. Les idées n'ont pas vieilli et trouvent un écho dans les grands questions d'aujourd'hui. La truculence de certaines phrases provoque des gloussements faussement outrés à ma voisine, gloussement qui doivent parvenir sur scène car ils sont suivis d'un agacement imperceptible sur scène.
Pourtant tout est fait pour aseptiser la lecture ou du moins pour concentrer sur le texte.
Mise en scène réduite au minimum. Jacques Gambelin reste assis à un bureau pendant l'heure et demi que dure le spectacle. L'éclairage bleu ne laisse en couleur chaude que le rectangle occupé par le comédien qui est un « tronc » qui bouge un peu les bras, qui boit un verre d'eau (très lentement et à plusieurs reprises). Il répond aux questions d'un personnage invisible concentré dans un magnétophone placé sur scène et que le comédien manipule.
Le jeu est clair, sobre, tout en nuance, n'allant jamais dans le forte... ton de confidence très étudié...
Alors performance du texte : absolument pas.
Certes la lecture est visible : Jacques Gambelin tourne les pages d'un livre posé sur un pupitre de table. Mais la voix n'est pas celle de la lecture, elle ne rend pas la découverte du texte. On sent trsè vite que le texte est récité et que le livre n'est que le prétexte d'un jeu dont personne n'est dupe.
La voix est beaucoup trop travaillée, l'interprétation minutieusement calculée, en léger retrait...
Le public dans la première partie est placée en situation d'observation. Pendant très longtemps le dialogue se fait entre le comédien et le magnétophone : les deux voix sont clairement concentrées sur le plateau. Le public se trouve derrière le 4ème mur.
Dans la toute dernière partie, la voix du journaliste se trouve placée derrière le public, et le comédien lève davantage la tête pour aller vers elle. Il passe alors à travers le public et lui donne une consistance, mais très artificielle.

Non, il ne s'agit pas d'une performance du texte, ni d'une lecture. IL s'agit d'un très beau texte merveilleusement servi par un grand comédien. Un spectacle comme « Réparer les vivants » (voir article antérieur) mais sans l'investissement du corps.  

mercredi 19 octobre 2016

de l'air sur la route

Je publie sur ce blog aujourd'hui un billet d'humeur d'un ami qui a eu quelques déboires avec une entreprise de transport type navette. Peut-être exagéré mais qui porte une certaine dérision sur le côté exaspérant de certaines entreprises ou de certains employés ??? 

 J'arrive derrière la cathédrale, un bus me dépose, nous dépose mon sac à dos et moi, après une longue journée. Il est tard, les bus de villes se font rares, les taxis ne fréquentent guère l'endroit trop peu  passant. 
On m'annonce qu'une navette a été affrétée pour reconduire chez eux les voyageurs les plus éloignés. Il faut dire que si les bus municipaux se font rares, les trains régionaux sont depuis longtemps endormis dans la gare déserte, tout comme les trains à plus grande distance : on ne part plus de la ville passé 21 heure... C'est la province. 
Ouf donc  une navette va me reconduire chez moi, Mon sac est un peu lourd, moins que mes jambes. Nous sommes 5 à attendre un couple qui habite à Dormans et deux dames de Mareuil. J'habite moi à Saint Remi. 
Le chauffeur de la navette arrive et m'invite à m'installer sur le siège du fond puisque je serai le dernier déposé. Etonnement : nous ne sommes qu'à deux ou trois kilomètres de chez moi. Il m'explique qu'il va d'abord passer par Dormans puis par Mareuil avant de revenir à Reims. 
J'ai depuis avec l'aide de Mappy fait le calcul : pour aller de la cathédrale de Reims à la Basilique Saint Remi, la navette met 1 heure 28. A pied, j'en ai pour un gros quart d'heure, voire 20 minutes. 
J'aime les voyages, mais à 22 heures et après une longue journée dans différents transports, je n'apprécie guère cette proposition, honnête ???? Et puis je ne vois pas l'intérêt de visiter le vignoble même s'il vient d'être classé par l'Unesco. Je voudrais dormir, s'il vous plaît. 
Le chauffeur cherche à me convaincre que c'est la solution la plus simple... 
Est-ce que son véhicule ne peut que tourner à droite ? ou à gauche ? Il faut alors c'est sûr faire un grand tour pour revenir au point de départ. 
Est-ce que son GPS comporte déjà des circuits pré-enregistrés  : Reims- Doramns/ Dormans- Mareuil/ Mareuil -Reims et qu'il ne sait pas programmer Reims- cathédrale - Reims Saint Rémi. Il y a pourtant un grand axe qui relie les deux bâtiments et qu'on appelle la Voie des Sacres... 
Je décide donc de partir à pied pour gagner un peu plus d'une heure sur le trajet. Je deviens écolo par logique. On devrait faire plus souvent appel à ce type d'entreprise pour le bien-être de la planète. 
Un ami que j'appelle pour raconter ma mésaventure (je n'ai pas été remboursé) me dit : "Il paraît qu'ils avaient mis en place un Lille-Paris mais qu'ils ont dût arrêter à cause du retard provoqué par les embouteillages de Toulouse." Il est mauvaise langue ... Non ? 

lundi 17 octobre 2016

Un aède aujourd'hui

Une fin d'après-midi ou un début de soirée autour d'un conteur, autour d'un mythe.... et quelque chose d'ancestral, d'atemporel qui se met en place.
Comme tous les ans, l'annonce du Festival Oralia de Rethel se fait à Reims sous forme d'un spectacle en avant première.
Cette année, le conteur ardennais Philippe Vaillant offrait le mythe d'Oedipe.
Le public était venu nombreux (compte tenu de l'heure, du lieu et du propos) « se durcir l'oreille, coude à coude venu(s) se la faire confirmer l'histoire du tout premier estropié chutant dans le noir pour avoir osé la souillure suprême. » comme le dit Joël Jouanneau.
Le mythe d'Oedipe est peut-être le plus célèbre mythe venu de l'Antiquité, le seul à être universellement connu et universellement exploité encore de nos jours. Peut-être parce qu'il parle de l'homme, de ses amours et de l'incapacité à lutter contre le destin.
Philippe Vaillant improvisait, accompagné d'un guitariste (Franck Ladouce), lui aussi en improvisation. Si les refrains du conteur étaient de toute évidence rédigés et étudiés, le reste du texte se formait au fur et à mesure de l'avancée dans le mythe. Une narration toute en lenteur, revenant, reculant, précédant sans risque étant donné la célébrité de l'histoire, une narration qui laissait une large place au suspendu, au silence. Pas de temps mort pourtant, mais l'alliance lu repos de la parole et de la musique conduisait les spectateurs vers une émotion que renforçait la suite de l'histoire. Il était étonnant de voir à quel point le public était en attente et en communion avec le mythe, pourtant usé. Il semblait que chacun le découvrait dans son tragique et son déchirement. Un public uni dans une communion d'empathie ou un public replié individuellement sur les vibrations intérieures que le mythe et la musique suscitaient. Je crois qu'il y avait autant de communion spectateur/conteur que de personnes dans le public. Ce fut un moment d'une grande richesse émotionnelle...et pour moi, la découverte à des millénaires d'écart de ce qu'était un aède et du pouvoir qu'il exerçait sur une assemblée. Pourquoi écouter un mythe aussi connu s'il n'y avait pas la notion du carmen, du chant, du charme ?
Alors performance du texte ? Un mythe est un texte fondateur, pourtant je n'ai le sentiment d'avoir assisté à une performance du texte.
Il faudra approfondir cela, en s'aidant des recherches de mon amie que je publie de temps en temps. (voir les articles antérieurs).

Il y avait peut-être aussi trop de magie dans cette soirée pour que la notion de performance y trouve sa place.   

jeudi 13 octobre 2016

le Collectif Eutectic

Un article concernant des « gens que j'aime ». : Le collectif Eutectic.

Cette compagnie créée il y a plus de 20 ans regroupe 3 comédiens/lecteurs/conteurs et une plasticienne. Devenus personnages, ils s'appellent Georges, Guy et Gabriel. Gaétane les rejoint parfois.
Ils travaillent ensemble, mais aussi séparément, proposant alors des spectacles essentiellement de poésie ou de contes.
Chacun a son propre répertoire, sa propre personnalité qui trouve sa place en complément des autres. Quelquefois, ils s'autorisent un regard extérieur, en assurant la mise en scène d'un autre, des autres.
Guy est plus dans le sourire, le côté patelin, la bonhomie épicurienne. Il use en priorité de la douceur et du calme parfois pour atteindre le féroce. Il faut presque tendre l'oreille à ses contes, il faut oser venir vers lui pour recevoir l'histoire comme une confidence. Son répertoire de poèmes allie la confidence, la chanson des mots, le musicalité, l'humour so british. Il a en poésie ce que Ludovic Janvier appelait l'éblouissement. Il semble autant émerveillé de ce qu'il raconte que le public qui le découvre.
Gabriel est plus digne, plus distant, plus dans la retenue. C'est lui qui vous susurrera des poèmes sentimentaux ou des poèmes militants profonds. Il peut passer aussi de la parole partagée en privé à une parole plus revendicative, apostrophant la foule des passants.
Georges est plus terrien, plus prosaïque dans ses poèmes comme dans ses contes. Il parle autant avec le corps qu'avec la voix, toujours à la limite entre le danseur et le diseur. Les mains, le torse, la tête, le visage sont toujours à la rescousse de la langue. Il vous offrira souvent une poésie née du quotidien, des contes qui par détour parlent du monde d'aujourd'hui, des paraboles sur le monde de tous les temps, tragiques même s'il est toujours dans l'attente du rire.
Des personnages très différents qui sont autant d'approches de la poésie et autant de portes ouvertes pour accéder à elle.
Ce qui m'intéresse le plus dans ce collectif, outre les personnages créés par les comédiens, c'est leur rapport au texte et au public.
Rapports aux textes plus précisément : il offre la part belle aux grands auteurs, mais ils aiment aussi appel à des auteurs locaux, obscurs ou connus. Ils n'hésitent pas à associer des poèmes d'enfants à un répertoire plus classique. Et leur « poésie » est plus vaste que celle des anthologies puisque qu'elle puise aussi dans la prose des romans ou des discours ou dans les mélodies des vieilles chansons.
Rapport au public, pris isolément sous un parapluie pour un partage des textes, pris dans sa globalité ameuté dans les interventions dans la rue.
Le Collectif Eutectic pratique assez souvent la performance, ce qui m'intéresse beaucoup. Il investit des lieux très divers : marchés, établissements scolaires, rues, promenades, jardins, parcs. Ils installent une caravane, quelques tables et chaises de jardin....

et en avant la poésie.... 

mardi 11 octobre 2016

Trois petits vers : une performance du texte

Après une grande campagne électorale dans une communauté de communes du sud ouest marnais, avait lieu dimanche dans quatre villes le dépouillement de la grande votation de ce début octobre : « Votons poésie pour que demain reste humain ».
Depuis plusieurs mois, les comédiens conteurs du collectif Eutectic sillonnent cette portion de territoire rural pour mener à bien leur campagne : lectures, improvisations, ateliers dans les établissements scolaires, les lieux de culture, de santé, rencontres avec la population...
Les mairies ont joué le jeu et on a pu déposer son bulletin de vote (un texte manuscrit ou imprimé) dans les urnes habituellement utilisées pour les votes politiques. Les panneaux d'affichages ont été mis en place devant les lieux de scrutin, appelant chacun et chacune à s'exprimer. Petit détail, mais qui a son importance, il n'y avait aucune majorité d'âge requise.

Incontestablement la préparation d'une immense performance du texte.
Imaginez devant une mairie ou le siège d'une com-com, une caravane bariolée, 3 hommes et une femme en bleu de travail, parapluie multicolore au bras, attendant d'entrer en lecture. Voilà pour le côté poétique.
Un maire ou un élu devant l'urne, une pendule qui permet de décompter les minutes avant la fermeture du scrutin. La population qui se rassemble pour participer au dépouillement, les derniers votants qui se hâtent sous les « a voté » La clôture du scrutin, puis l'ouverture de l'urne, le compte des bulletins..  Voilà pour le côté officiel.
Un meneur de jeu, un metteur en scène ?, distribue les bulletins qui doivent être lus dans leur totalité, avec les noms des auteurs. Les scrutateurs : les 4 comédiens mais aussi ceux qui sont venus assister, les auteurs des textes...  Chacun prête volontiers sa voix à ce vote. Les textes sont trop nombreux pour le temps prévu . La première partie est une « soupe » où tous les textes sont dits simultanément, où ils se mêlent pour mieux s'affronter ou se répondre, où les lecteurs rivalisent ou rusent pour se faire entendre... Puis un temps est laissé pour que quelques textes que les lecteurs ont mis de côté puissent être écoutés isolément.
Quand l'urne est vide, il est décidé que toutes les voix ont été exprimées … (double jeu de mots).
Étrange situation où le public est à la fois fournisseur de texte, voire auteur, spectateur (car il y a jeu au niveau de la parole), auditeur et lecteur, où l'acteur est libre de son interprétation mais soumis à des textes qu'il ne connaît pas et qu'il doit offrir au plus vite. Les enveloppes ouvertes, les feuilles sont distribuées au hasard... Le lecteur montre le texte (parce qu'il est souvent décoré), en fait un survol du regard, puis se lance dans la profération.
Ce qui compte avant tout est la profération, la mise en voix de l'écrit … Une voix du texte.... Le texte devenu sonore...
La poésie emplissant l'espace urbain...
Pour que demain reste humain …

lundi 3 octobre 2016

Concert dessiné

Un article pour parler d'une performance, qui comme toutes les performances, ne se reproduira pas. Un rencontre sous forme de concert-dessiné entre le clarinettiste Louis Sclavis et l'illustrateur, auteur Fabrice Le Hénanff, dans le cadre de War on screen.
Fabrice Le Henanff est, entre autres, l'auteur de Petites histoires de la Grande Guerre.
Louis Sclavis est un jazzman mondialement connu, que beaucoup ont eu la chance de découvrir lors d'une résidence.
Le lieu : l'auditorium d'une médiathèque de ville moyenne. Très petite scène toute en largeur. Jauge réduite, il y a là moins de 100 places...qui ne sont pas toutes occupées. Dehors la nuit d'automne et la pluie rappellent que malgré ce que l'on dit aux informations météorologiques, l 'été est terminé.
Le principe est donné en préface : ¼ d'heure de dessin accompagné de musique, puis discussion générale, retour à la performance pour ¼ d'heure et nouvel échange... Ainsi sur le temps se répartit équitablement... Tout explorera : le durée initialement prévue, la répartition, l'alternance …. Pour le plaisir de tous, je crois...
Sur la partie jardin du plateau une grande table surmontée d'une caméra qui diffuse immédiatement sur un écran central le travail de Fabrice Le Henanff, sur la partie cour, une chaise et une table basse sur laquelle repose une clarinette basse.
Le principe est simple, le dessinateur met en couleurs une planche qu'il a déjà préparée au niveau des contours (il n'y a qu'une heure 30 pour réaliser le tableau), pendant ce temps le musicien improvise en exploitant ce qu'il a intégré de l’œuvre pendant l'après-midi.
Il faut jouer de synesthésie pour tout intégrer et beaucoup oscillent d'une version à l'autre.
La musique varie entre des improvisations dont Louis Sclavis maîtrise seul les techniques et des airs connus, chanson d'amour ou standards... Parfois, les sons du travail de dessin viennent s'y mêler : brosse, traits de crayon, passage d'un buvard, d'un mouchoir.... Le dessinateur adapte aussi parfois son rythme à celui de la musique.
Le premier temps d'échange permet au dessinateur de donner les clefs de sa technique : pose des ombres, utilisation d'encres, glaçage puis superposition... Le musicien parle de son écoute : il travaille comme avec un danseur, interprétant autant les mouvements et les rythmes du dessinateur que les sensations glanées dans le tableau.
Au fur et à mesure de l'évolution du carton, la musique se fait plus narrative, plus expressive. Les spectateurs rentrent dans le dessin. Ils vivent l'explosion qui se produit dans le lointain des personnages. Ils se prennent avec le musicien à imaginer leurs sentiments, à imaginer ce qu'ils entendent ou ce qu'ils se disent. Ils occupent la plus grande place de l'image et monopolisent les regards et l'intérêt.
Nouvel échange plus technique que le précédent, aussi bien en peinture qu'en musique..., sur les sources d'inspiration ou les recherches antérieures. Nous avons vécu quelque chose assez proche du théâtre d'objets...
Puis le dessinateur passe à des personnages plus en retrait, dans le quotidien de la tranchée. L'écoute est grave, le musicien lui-même se tait. Il y a une empathie générale avec ses personnages qu'on devine à peine, des silhouettes traitées tout d'un trait d'encre. Le temps se démesure, la scène de guerre de tranchée a envie tout l'auditorium et fait entrer tout le public dans l'image.

Le dessinateur s'interrompt, visiblement fatigué, ou trop ému. Il s'excuse. Le musicien vient à son secours, quelques derniers accents de la clarinette comme un coda. De toute façon, il y a déjà longtemps que nous devrions être partis... On se lève pour aller voir de près... Les conversations reprennent à bâtons rompus, le concert texte n'est pas vraiment terminé.

mercredi 28 septembre 2016

La perte des rituels d'installation dans les performances (1)


La représentation théâtrale exige une pré-disposition du public, qui commence par une disposition géographique autant que mentale.

Venir au théâtre c'est suivre un parcours ritualisé, qui commence par l'achat du billet ou par l'abonnement. On ne va pas au théâtre, comme on va au cinéma, ou en boîte. La sortie est programmée et l'attente fait partie, dans une certaine mesure, du spectacle. Peut-être parce qu'elle est trop importante ou trop investie ( financièrement et affectivement), elle ne peut se construire à la légère. On sait le succès que connaissent les présentations de saison dans les scènes nationales, et le public qui vient chercher les programmes à peine sortis de l'imprimerie à La Foire Saint-Germain en mai, on sait aussi les files d'attente aux premiers jours des abonnements ou les courses poursuites pour que les courriers soient arrivés un peu avant les premiers acheteurs en caisse.

On reçoit son billet qu'on garde avec soin (on peut penser à ce propos à la saynette de Karl Valentin La sortie au théâtre), ou on vient le retirer en annonçant son nom au guichet « invitations places réglées ».


Tous ces rituels qui nous semblent familiers et anodins deviennent des obstacles, parfois insurmontables pour qui n'y est pas accoutumé.

Pour s'en persuader il suffit de se souvenir de paroles entendues autour de nous ou de lire quelques petits propos recueillis par Jean-Pierre Moulères : « Le théâtre, on ne peut pas y aller comme ça », «  Il faut franchir le pas, pour y aller au théâtre », « ce que j'aime au théâtre, c'est que ça fait plus sortie exceptionnelle que d'aller voir un film », « avant d'y aller, j'ai la joie d'y aller ».1
Dans le cas des spectacles que j'ai évoqués, il n'y a eu pour personne cette démarche. Le spectacle  les poètes du tango, faisait partie d'une après-midi qui comprenait plusieurs « animations » ; le bal, le spectacle de rue étaient ouverts à tous ; le juke box et les  yeux bandés  représentaient « la cerise sur le gâteau » d'un temps passé ensemble autour d'un spectacle (L'Européenne et Casimir et Caroline), écriture, jeu ... Il n'était demandé aucun billet pour accéder au lieu de représentation, parfois même on arrivait en même temps que les comédiens, en achevant avec eux une conversation commencée autour d'un autre projet.






1Moi, j'ai rien d'intéressant à dire, petits propos sur le théâtre par ceux qui n'y vont presque pas, dirigé et mis en forme par Jean-Pierre Moulères, Nantes, l'Atalante, 2003

2Bernard DORT, « La pratique du spectateur I » in Cahiers de la Comédie française n° 1, automne 1991, POL p; 116 -119

la perte des rituels d'installation dans les performances (2)

L'obscurité ou la pénombre font partie des rituels d'installation,. Le passage de l'éclairage du hall à la luminosité étudiée de la salle marque une transition, qui attend son paroxysme au moment où les lampes qui éclairent les rangées de fauteuils s'éteignent, comme une veilleuse de chevet avant l'endormissement. On peut penser au malaise qui s'empare de certains spectateurs quand ils doivent pénétrer dans la salle sous le regard des comédiens déjà en place ou ayant commencé un jeu sur scène avant les premières répliques.
Bernard Dort évoque ce moment quasi mystique de «l'extinction des lumières - ce renversement des rôles entre la salle et la scène qui est l'un des rites fondateurs de la cérémonie théâtrale »1
Les lumières éteintes, on entre dans le calme convenu des premières minutes qui marquent l'adhésion de la salle à la représentation qui s'annonce.
Dans le cas des performances du texte, il est très fréquent de ne pas respecter ces rituels. Souvent, le passage de la lumière à la nuit, puis à l'éclairage spectaculaire n'a pas lieu. Comme dans les séances de contes des griots africains, ou des lecteurs, le début du spectacle ne coïncide pas avec une modification du contexte de la représentation mais par une volonté du "diseur", de celui qui détient la parole de commencer, de manière tout à fait arbitraire. "Je  parle " marque la rupture, l'entrée dans un autre univers, celui de l'épiphanie du texte à travers la parole. 


1  Berrnard DORT, « La pratique du spectateur I » in Cahiers de la Comédie française n° 1, automne 1991, POL p; 116 -119

lundi 26 septembre 2016

critique de Carmen... en Turakie

Encore Carmen !
J'ai connu une lointaine période, au moment où l'opéra est tombé dans le domaine public, où tout le monde faisait « SON » Carmen. Si quelques versions ont échappé à l'usure du temps, je pense dans l'ordre décroissant à celle de Carlos Saura et Antonio Gadez (avec une mise en abyme et un jeu de codes fascinant), celle de Jean-Luc Godard (magnifique dans le traitement de la passion), et celle de Peter Brook, si épurée, une quintessence de Carmen, les autres sont négligeables. Le film de Zeffirelli ne peut pas vraiment rivaliser, il ne tient que par la qualité des chanteurs, mais n'ajoute rien à notre approche de l’œuvre.
J'allais donc à cette enième version avec un peu de réticence. Encore Carmen !
J'ai énormément aimé. Peut-être parce que l'opéra de Bizette n'est pas le propos de la pièce mais son prétexte.
Tout se passe en Turakie, attention : en Turakie maritime, pas très différente de notre Bretagne. La Turakie est un pays imaginaire conçu par Michel Laubu en 1985, pays qui a déjà servi de cadres à de précédentes créations.
Ce Carmen se déroule donc en Turakie maritime où l'on a procédé à des fouilles sous-marines à la recherche des passions englouties. Ce qui explique que l'on soit en dessous du niveau de la mer : scaphandre obligatoire pour y accéder, orchestre maritime (crustacés et poissons), palmes et bouées...
Le découpage imaginé par Meillhac et Halevy est conservé, mais dans une interprétation très iconoclaste des thèmes et des lieux. Le jeu de mots est de rigueur.
Tout, de la partition au texte, en passant par les personnages et les accessoires est truffé de découvertes, de trouvailles, de gags, de détournements ...
Turak est à la fois théâtre d'objets et de grandes marionnettes, manipulées de l'intérieur...
Que vous dire de plus... Il faut voir ce spectacle inracontable, où chaque minute mériterait plusieurs lignes....

Un petit tour si le cœur vous en dit sur le site qui vous renverra au blog...  

critique de SOEURS de Wajdi Mouawad - critique

Soeurs
de Wajdi Mouawad. 
Pas de sœurs génétiques, mais des sœurs qui se reconnaissent telles lors de leur brève rencontre.
La première est conférencière en droit international, plus spécialisée sur les négociations de guerre. Elle est canadienne, de souche, sa mère est originaire d'une province du Nord du Canada. Bloquée à Montréal après une conférence, elle passe la nuit dans un luxueux hôtel international. Elle est seule sur scène et ne communique avec l'extérieur que par téléphone : un téléphone fixe avec la réception de l'hôtel, un téléphone portable avec sa famille, à propos d'un voyage dans la province des ses origines. Dans l'univers aseptisé de l'hôtel, régi par une domotique qui se dérègle jusqu'à la folie, l'anglais est la seule langue possible pour ouvrir une porte, allumer la télévision, avoir de l'eau, de la lumière... Elle se révolte contre cette négation de son identité de francophone, la négation de sa culture historique.
La seconde est d'origine libanaise, intégrée dans la vie canadienne. Elle travaille comme expert dans la compagnie d'assurance de l'hôtel. Elle doit rédiger le constat qui servira de base pour l'indemnisation. Elle, non plus, n'a pas de contact avec d'autres êtres vivants, sauf son père par l'intermédiaire d'un portable et sa direction (sensée écoutée plus tard l'enregistrement de son dictaphone). Elle se bat pour faire reconnaître son identité de femme libanaise, exilée à cause d'une guerre.
Elles vont toutes les deux vivre un moment retranchées dans la chambre de l'hôtel...
On reconnaît les préoccupations majeures de Mouawad, déjà abordées dans ses œuvres précédentes.
L’originalité de SOEURS est de se limiter à une seule interprète : Annick Bergeron, pour presque 6 rôles. Des temps sont prévus, des subterfuges pour tromper le spectateur, toujours en doute, car les transformations de la comédienne sont extraordinaires et que plusieurs systèmes de trucage permettent sa persistance sur le plateau alors qu'elle l'a déjà quitté.
L'écriture est belle, poétique et drôle. La mise en scène intelligente, inventive.
Mais surtout l'interprétation d' Annick Bergeron est exceptionnelle. Elle passe d'une émotion, d'une intention à une autre avec une rapidité et une pertinence qui laissent pantois. Elle compose les différents personnages avec une justesse magnifique.
Vraiment un spectacle à voir.


Le Petit Théâtre Nomade Avignon 2017 caserne des Pompiers 10 h 45


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Il y a elle, il y a lui. Mais sont-ils vraiment deux ?
Frère et sœur, chien et chat, chat et souris, enfants d'une cour de récréation, amoureux-amoureuse, personnages du Roman de Renart.
Quand ils chaussent leur masque (de renard et de blaireau), ils deviennent les uniques témoins, les uniques mémoires d'histoires qui se racontaient, qui se racontent encore, où … là d'où ils viennent.
Ils connaissent les histoires de 7 personnages et un jeu avec le public les fait resurgir, dans un minuscule castelet dont ils peuvent devenir un temps les marionnettes démesurées.
7 histoires que le hasard d'un amstragram poétique va faire surgir de façon aléatoire, en en réservant une partie, parce qu'il faut qu'il reste toujours des mystères et parce qu'il faut laisser la place à d'autres rencontres.
Elle a des airs de petite fille sage, mais n'hésite pas à lui cacher ses jeux, ou à le forcer à ranger les fantoches dont ils se sont servis. Elle fait des mystères, y associe les spectateurs, puis redevient la bonne élève.
Lui semble un garçon casse-coup, casquette et marcel, il jongle avec une balle, comme un autre garçon taperait dans un ballon parce que c'est pas pour les filles. Il la poursuit avec une tige devenue épée, ils se battent presque, en personnages de commedia dell' arte, puis redeviennent les porteurs d'histoires.
Il ne vivent que très rarement les récits. « Mme …. racontait une histoire, c'est celle de X... et nous allons à notre tour vous la raconter. » Et le récit part, petit pantin à l'appui, décor de carton qui se montre tel, cela commence dans la boîte, puis les marionnettes débordent, s'installent sur les bras, sur la tête, incluent le corps du manipulateur dans leur univers théâtral. Et tout en contant l'histoire, les deux comédiens interprètent « les montreurs » , jonglent , jouent du bandonéon...
On découvre une infirmière qui a peur de piqûres et qui trouve une autre façon de soigner les malades, un vieux marin qui renoue avec l'enfant qu'il a été, un laveur de nuage, deux clowns acrobates qui partent à la recherche d'un géant invisible...

Le texte a été écrit par le poète Pierre Soletti, c'est une garantie de retrouver un monde poétique, à la limite des rêves d'enfants. La langue est belle, riche de « subtilités de langage », jeux de mots, assonances, homogrammes, allusions à d'autres textes, d'images, de métaphores. On est dans un univers de légèreté, même pour aborder les sujets les plus graves.

Mateja Bizjak Petit, qui signe la mise en scène, a su exploiter cette originalité du texte et conduire les comédiens-manipulateurs vers un univers de l'enfance dans lequel les adultes se retrouvent, arpentant des chemins autrefois parcourus. 

Jurate Trimakaite et Jimmy Lemos sont remarquables de spontanéité, de candeur et de rouerie, prenant les spectateurs dans leurs jeux et s'en faisant des complices (enfants et adultes confondus).
Jimmy Lemos est, outre un acteur très juste, un jongleur extraordinaire : la balle qu'il utilise semble douée de sa propre vie et se déplacer seule autour de lui.
Quant à Jurate Trimakaite, elle a, en plus d'un charmant accent lituanien, une voix extraordinaire qui lui permet de faire quelques passages de chant lyrique...


C'est un très beau moment, un de ces moments de grâce et de magie que le théâtre pour enfants est presque le seul à proposer aujourd'hui. 

dimanche 25 septembre 2016

critique de "La framboise frivole" Avignon off 2016

Je sais que c'est le dernier jour et que vous n'aurez pas de place ce soir pour assister au récital de La Framboise Frivole au théâtre du Balcon. Mais n'ayez aucun regret : vous n'auriez pas eu de place...
C'est la raison qui m'a conduite à choisir ce spectacle pour clôturer cette parenthèse Avignon. 
La Framboise Frivole est composé de deux Belges (encore  ? je ne suis pas responsable du fait que la Belgique est en ce moment, comme le Nord de la France un foyer très fécond d'artistes de qualité).  
Peter Hens et Bart Van Caenegem sont d'origine flamande mais tout le spectacle est en français. 
Un français que la plupart des humoristes actuels ne comprendraient pas tant il est recherché, fourmillant de jeux de mots, d'à peu prés, de raccourcis, de citations. Le texte du spectacle est très érudit, ce qui ne l'empêche pas d'être très drôle. On est toujours à quelques millimètres de l'absurde, du grotesque, du burlesque. Les deux comédiens-musiciens de la Framboise Frivole sont deux bouffons de la plus grande classe et du plus grand talent, avec toute la noblesse et la distinction que les rôles de bouffons exigent. 
Ils sont aussi deux musiciens incomparables, l'un au violoncelle, l'autre au piano. Ils chantent aussi tous les deux. 
Tout le principe du leurs spectacles (celui-ci : La Framboise fête son centenaire, comme les autres) consiste à proposer un récital très sérieux tout en le commentant ou en chantant en même temps qu'ils jouent. La salle est éteinte mais le public est constamment pris à partie. "Mesdames, Messieurs". Peter Hens se transforme en Monsieur Loyal annonçant des morceaux qui ne seront jamais vraiment ceux qu'on croit : ils chantent une chanson de Brel sur une partition de Tchaïkovski, reprennent un standard de jazz en opéra. Ils commencent un air de Haendel et sans qu'on s'en soit rendu compte on reconnaît une chanson de Beatles. Comme la parole entraîne les spectateurs dans des raisonnements d'une logique tout relative, la musique promène pendant un même morceau les auditeurs à travers plusieurs siècles et autant de genres musicaux. 

Je sais il n'est pas facile de suivre mes explications, il n'est pas facile non plus de les suivre. On va de surprise en surprise et l'on rit de d'être laissé prendre. 

Le spectacle proposé en Avignon était une partie de celui qui va tourner cet automne et cet hiver. 
Un des plus beaux passages est celui de la rencontre du Prince Philippe et de la Princesse Mathilde ( les actuels souverains belges). Une version très "Sissi impératrice" mais revue par la Framboise Frivole.... Ils ont été choisis pour la musique du bal et le commentent ( les danseurs se  trouvant virtuellement dans le public)...
Autre passage intéressant : une version développement durable d'un concert... (à voir)

Comme toujours, le spectacle ne dure jamais assez, et les applaudissements plus que des félicitations s'avèrent des appels à ne pas finir, à prolonger encore et encore ce moment extraordinaire qu'est une heure passée avec la Framboise Frivole. 

lundi 12 septembre 2016

des performances du texte. ... ???

Je consacre un article, dont j'espère qu'il sera court, à ce que je m'obstine à appeler des "performances du texte";
Certains m'ont signalé que "réparer les vivants" n'est pas une performance du texte. Je suis absolument d'accord. Il s'agit d'un  spectacle vivant et même un magnifique spectacle. Oui, nous sommes dans ce qu'il est convenu d'appeler du "théâtre". Même chose , quand Laurence Vielle pousse son  "OUF" devant des spectateurs assemblés, quel spectacle, quel moment de poésie et de théâtre... 
Mais quand cette même Laurence Vielle grimpée sur les escaliers en fer qui mènent à un quai du bord de Seine lit des extraits d'un livre aux passants, commentant parfois ce qu'elle lit, montrant le livre comme preuve, prenant le risque de ne pas être écoutée, de se tromper, d'être interrompue ... Peut-on encore parler de théâtre ? Il y en a le simulacre mais pas l'essence. 
Quand Jean-François Peyret monte des extraits de Thoreau à La Colline ou au 104,  des comédiens qui ont répété, interprètent de façon étudiée le texte, assistés ou renforcés dans leur jeu par un système compliqué de projections, de numérisations..où le metteur en scène excelle. Nous sommes indiscutablement dans une forme de théâtre qui ne se limite plus à la présence d'acteurs. Mais quand avec le même texte de Thoreau, Jacques Bonnaffé, dans une galerie d'art, procède à un morcellement aléatoire, écrit sur de petits papiers chiffonnés qu'il offre à des spectateurs, que ces spectateurs les lisent au hasard, et que le comédien les reprend, les module, les met en écho, les complète laissant d'autres personnes intervenir, sommes- nous dans du théâtre ? Quel est la place exacte des spectateurs ?  peut- on d'ailleurs parler de spectateurs ? 
Quand Jean-François Peyret, encore lui, à Grignan, lit des lettres de Machiavel et joue avec la présence du public, non pour l'émouvoir, mais pour l'associer à sa lecture, démontant systématiquement ce qui en était la mise en scène, pour en montrer l'ossature et les dessous. Sommes-nous dans du théâtre ? je ne le crois pas. Sommes-nous dans une simple lecture, non plus... Il y a trop parasites....

Comment appeler alors ces "moments" de spectacle vivant ? 
Ne créent-ils pas une base surs laquelle des auteurs et surtout des acteurs cherchent une nouvelle forme de représentation et de rapport avec le public et avec le texte, dans un contexte théâtral .... 

vendredi 2 septembre 2016

critique de 7 flashes de Zeno Bianu Avignon off 2016

Si le programme n'avait pas cité le nom de l'auteur : Zéno Bianu, je n'aurais pas pris de billet pour ce spectacle. Un texte qui mêle une nouvelle fois la première guerre mondiale et le monde d'aujourd'hui ... encore... Mais la signature de Zéno Bianu auteur de théâtre et poète justement renommé valait de tenter le spectacle.

Le petit nombre de spectateurs me prouve que je ne suis pas la seule à me méfier.

Confirmation : le texte est beau. Il porte une réflexion sur la culture urbaine et notamment le street art, un regard social et un regard artistique. Mais le vrai propos est une histoire d'amour au-delà du temps. Le sujet est fréquent dans le roman, c'est un des thèmes de prédilection de Daphné Du Maurier ( la chaîne d'amour, la maison sur le rivage). Au théâtre, c'est plus original.

Je ne sais que dire des choix de mise en scène. Tout est intimement lié à la scénographie. De grands panneaux de toiles éclairées tantôt par devant, tantôt par derrière reçoivent les projections de lignes ébauchant des dessins ou ajoutent une distance aux épisodes liés à la guerre. Beaucoup de jeux partent aussi de l'utilisation de lampes torches sur ces mêmes toiles. La mémoire garde une impression de noir et blanc (peut-être aussi à cause des diffusions d'images de la grande guerre).

La principale action des comédiens est la manipulation de ces grandes voiles pareilles à celles de surf. Cela leur demande une énergie et un investissement qui s'entendent fort dès qu'ils doivent reparler. Le souffle est court, la voix porte moins et elle manque de couleurs.

Il y a un beau travail sur l'écho et la choralité, le partage du texte qui souligne l'ambiguïté de l'histoire.

Je me demande, par ailleurs, si toutes les parties dansées, preuves d'un ancrage dans la culture urbaine sont utiles ou redondantes, si elles ne gênent pas dans la lecture d'une séparation du plateau qui se veut porteuse de sens.

Cela mérite d'être vu.

vendredi 26 août 2016

l'espace commun au théâtre (3)

L'espace commun est celui de la voix et de sa portée (naturelle le plus souvent). L'espace de la voix est circulaire et non frontal. « Dans l'espace acoustique, la notion de « cadre » n'a pas de sens »1 A distance égale, on entend bien de partout, la réciproque n'est pas défendable au niveau de la vue. Faut-il voir dans cette disposition une mise en jeu de la notion de l'espace sphérique développée par Artaud , dans le théâtre de la cruauté : « pas de scène, pas de salle, pas de limite » - les acteurs « sont au centre , et la circonférence n'est nulle part, il s'agit de la faire fuir à l'infini, englobant les spectateurs eux-mêmes, les prenant dans sa sphère illimitée. »
La proximité favorise aussi le rapport à la parole directe, l'espace de la confidence et de l'intimité, du vrai, de ce qu'on se dit les yeux dans les yeux. Alors que le lointain, c'est le monde de la scène d'ensemble du cinéma, du plan général, du panorama, de la vision généralisatrice de l'image, du son qui vient de manière technologique. Plus l'image est vaste, plus le son est véhiculé artificiellement, plus le spectacle s'apparente au cinéma, plus on se rapproche du son et lumière, plus on verse dans le domaine de l'illusion et plus l'importance du texte décroît. Marie-Madeleine Mervant-Roux2, évoquant un mise en scène par Mathias Langhoff de Lenz, Léonce et Léna, insiste sur la nécessité de ne pas placer les spectateurs trop loin. Parlant d'une scène à 40 m du public, elle dit « Bien loin d'installer le public dans son état normal de public de théâtre, [cette disposition] éveille chez le spectateur des sensations de faux théâtre comme on en voit au cinéma – ou de théâtre de cinéaste ».
Un autre élément unificateur d'espace intervient : la lumière qui éclaire de la même façon ceux qui jouent et ceux qui regardent, chacun à la vue de l'autre, dans une co-présence absolue. Nous sommes loin des deux espaces qui s'ignorent ou s'affrontent de la salle plongée dans le noir alors que la scène éclate de projecteurs. La dichotomie lieu où l'on joue et lieu où l'on regarde a tendance à se déliter. Les participants (acteurs et public) alternent la fascination du regard. Cette inversion est-elle déjà sous-jacente dans le croquis de Claude-Nicolas Ledoux « l'œil du théâtre de Besançon » où la salle, lieu du regard, devenait l'objet à regarder ?
L'impression de partage de l'espace provient en partie aussi de la parenté avec les performances. L'intervention de l'interprète s'enrichit de l'impact visible qu'elle exerce sur le public, du partage de l'expérience en train de se réaliser. « L'immédiateté d'une expérience partagée en commun par l'artiste et le public constitue le noyau de la performance. »3
La proximité enfin induit un esprit critique plus aiguisé et abat l'illusion, qui permet aux deux catégories de participants de sentir cette co-présence et peut-être d'en tirer plaisir.« Le rapprochement physique n'entraînant pas automatiquement un rapprochement psychologique mais pouvant tour à tour, selon le type de jeu, favoriser l'intimité ou créer une distance mentale. »4
Quand on est très près, « on perçoit avec une précision presque indiscrète les traces fugitives de l'interprète dans le personnage. »5 et l'on est arraché à l'illusion mais l'on retrouve la richesse d'une communauté à l'échelle humaine.

1Marie-Madeleine MERVANT-ROUX, L'assise du théâtre, pour une étude du spectateur, Paris, CNRS éditions, 1998, p. 161
2Marie-Madeleine MERVANT-ROUX, Un dramatique post-théâtral? Des récits en quête de scène et de cette quête considérée comme forme moderne de l'action, in L'annuaire Théâtral , N° 36, 4e trimestre 2004, p. 19
3Hans-Thies LEHMANN, Le Théâtre postdramatique, Paris, L'arche, 2002, p.216
4Marie-Madeleine MERVANT-ROUX, L'assise du théâtre, pour une étude du spectateur, Paris, CNRS éditions, 1998, p. 103

5Marie-Madeleine MERVANT-ROUX, L'assise du théâtre, pour une étude du spectateur, Paris, CNRS éditions, 1998, p. 104

l'espace commun au théâtre (2)

Spectateurs et acteurs se partagent donc dans les spectacles de mon corpus l'espace dans une proximité générée souvent par la petite taille des jauges. Quand les espaces et les distances s'avèrent plus vastes qu'une salle de 1000 places, il s'opère une relativisation à l'échelle du site ou de la manifestation : la placette d'Avignon (le festival et la proximité du Palais des Papes).
Les spectateurs habitués à l'intimité du salon où trône une télévision, véhicule le plus habituel de la forme spectaculaire, peuvent aussi trouver dans la proximité qu'offrent des salles de petite taille, une sensation de sécurité qu'ils ne connaissent pas toujours dans les grands amphithéâtres. Paradoxalement, la sensation va être analogue, dans le bal littéraire, qui accueille plus de spectateurs qu'un théâtre, parce que les individus sont confinés dans un espace clos, protégés par les guérites abritant les différents stands et parce que la mesure se prend par rapport à la place Saint-Sulpice et au-delà par rapport à la ville entière, présente dans le texte dit par les auteurs. L' huis-clos sécurise les interprètes et le public.
De la même manière, si la cinquantaine de spectateurs des « yeux bandés » s'installent dans une salle accueillant habituellement quelques 300 individus, ils sont regroupés sur le plateau derrière le rideau ouvert mais qu'on aperçoit encore nettement sur les côtés. Les chaises confortables, à l'assise en velours, remplacent les fauteuils des gradins.

Cette modification du rapport à l'espace a détourné la dernière partie des Poètes du tango en représentation de type dramatique. Les spectateurs serrés et debout des premières parties, sont arrivés dans une espace très imposant par la taille, trop vaste pour être vraiment partagé, avec une zone éclairée artistiquement. Au ralentissement de l'arrivée dans la salle de bal, a succédé un repli, puis un retrait sur une zone plus neutre (celle sur les amas de décombres) qui a nettement séparé interprètes et spectateurs, malgré quelques tentatives téméraires. 

Diderot, dans le Paradoxe du comédien, évoque l'anecdote d'une jeune femme qui joue avec succès pour des amis invités chez elle, mais qui essuie un échec cuisant sur une scène, échec corroboré par ses amis qui la jugent également médiocre. Diderot apporte la réponse suivante à cet illogisme : « à son rez de chaussée vous étiez terre à terre avec elle ... elle était vis à vis de vous.., tout était en proportion avec l'auditoire et l'espace. »1 L'expérience se déroulait alors « dans un salon où le spectateur est presque au niveau de l'acteur ».


1Denis DIDEROT, Le paradoxe sur le comédien, Paris, Gallimard, Folio, 1994, p. 99


L'espace commun au théâtre (1)

Une discussion récente me conduit à reprendre un passage du texte qui m'a été confié. La réflexion devrait se poursuivre dans les semaines qui viennent... en alternance avec d'autre formes d'écriture. 


  Si les spectacles du texte et de la parole nécessitent la mise en place d'un dispositif spécifique à chacun d'eux, et peuvent grâce à cette organisation de la représentation s'enrichir de l'investissement de lieux connotés, ils s'appuient aussi sur une redéfinition de l'espace de jeu et de regard.
La correspondance entre la distance qui sépare les spectateurs et les acteurs a fait l'objet de nombreuses études, notamment celles de Marie-Madeleine Mervant-Roux1. C'est à Odette Aslan que j'emprunte néanmoins la classification suivante des espaces : « A 45 cm, l'une de l'autre, deux personnes sont dans un espace intime ; jusqu'à 1 m 20 dans un espace personnel ; jusqu'à 3 m, dans un espace socio-consultatif ; à plus de 3m l'un de l'autre, ils sont dans un espace public. »2 Les distances dans la plupart des spectacles de mon corpus se situent souvent entre 1m 20 et 3 m, c'est dire qu'elles ne forment jamais un espace public. Elles peuvent parfois aussi se réduire à la création d'un espace intime (dans les Yeux bandés ou à certains moments de Ta peau ici.)
Cette proximité avec l'interprète contribue à une communication et à une réception différente. Il y a un sentiment « d'être ensemble », de « faire ensemble », un sentiment d'appartenance à une communauté spectatrice et théâtrale, très différent de ce que pouvait éprouver le public du XVIIème siècle, voyant quelques privilégiés sur scène.
Pendant toute la période classique en France, salle et scène étaient éclairées, parfois la salle même plus que la scène. L'acteur s'avançait vers la rampe pour saisir la lumière, pour s'y donner et s'assurer d'être vu par les spectateurs qui faisaient souvent autre chose (discussion, bataille, conversation, repas) au parterre. Les petits marquis installés sur les côtés du plateau, cherchaient plus à paraître qu'à suivre le spectacle. Pouvait-on cependant à l'époque parler d'espace partagé dans le même sens qu'aujourd'hui ? Non, je ne le crois pas. Si l'espace englobait les participants de la représentation, chacun y occupait une place précise, au vu des autres, mais sans pour autant établir un échange. (Rares étaient les comédiens qui abandonnaient la déclamation de leurs vers, pour répondre aux invectives d'un Cyrano de Bergerac, par exemple.)


1Marie-Madeleine MERVANT-ROUX, L'assise du théâtre, pour une étude du spectateur, Paris, CNRS éditions, 1998

2Odette ASLAN, L'acteur au XX ème siècle éthique et technique,Vic La Gardiole, L'entretemps, 2005, p. 376

lundi 22 août 2016

un théâtre des soliloques ? (2)

Dans les spectacles a-dramatiques, l'assemblage de textes disparates (le montage rhapsodique) ne crée pas la place pour un dialogue entre les personnages, dont le spectateur serait le témoin ignoré, placé de l'autre côté du mur abattu. Le principe du dialogue interpersonnel que Szondi1, et à sa suite Jean-Pierre Sarrazac, pose comme base du dialogue du drame ne peut être maintenu dans un contexte qui privilégie les paroles solitaires, ou les monodrames que peuvent constituer les poèmes et les chansons.
La double énonciation du texte devient bancale par l'absence du destinataire fictif, l'autre personnage du drame. Le seul dialogue à pouvoir s'établir s'installe entre le parleur et l'écouteur, c'est-à-dire entre l'acteur et le spectateur. Le parleur s'adresse à un partenaire fictif, nommé ou non, qui ne peut se réaliser que dans la présence corporelle du spectateur.
On peut constater que trois des spectacles de mon corpus reposent sur une parole solitaire Ta peau ici, Le Juke Box, Les poètes du tango, parce que composés de poésies, de chansons dont l’interprétation n'est confiée qu'à un comédien. S'il y a dialogue, ce ne peut être qu'entre les textes par un système d'écho ou de répons.
Face au jeu frontal du Bal littéraire, le spectateur éprouvait cette même sensation d'être le destinataire de la parole, qui en rebondissant sur lui, à la manière d'une balle de tennis, trouvait son vrai destinataire : le personnage du texte lu quelques mètres plus loin sur l'estrade.
L'absence de véritable dialogue, on sait qu'il connaît lui aussi une crise majeure dans le théâtre contemporain, contribue à assimiler les spectacles a-dramatiques de la parole au genre épique ou au genre lyrique et faire surgir dans notre esprit le souvenir des formes de spectacles primaires, des origines, celles des conteurs et des aèdes. Cette absence de dialogue grève l'illusion, la rend presque impossible. «Quand son interlocuteur (du personnage) n'est plus un autre personnage, mais le lecteur ou le spectateur, sans médiatisation du discours, l'illusion perd de sa force. »2


1 Peter SZONDI, Théorie du drame moderne, (s.l.) Circé (2006) (1ère édition 1956)

2Jean-Pierre Ryngaert, Julie Simon, Le personnage théâtral , p.86

un théâtre des soliloques ? (1)

Je reprends une part du travail confié par une amie sur les spectacles reposant sur le texte et la parole... Les performances du texte... 

Le monologue, après avoir connu un grand engouement dans le théâtre classique ou romantique où il constituait un passage de bravoure dont le comédien tirait gloire, avait traversé une période de désuétude. Odette Aslan1 voit dans l'apparition des pièces radiophoniques un renouveau de ce genre, base d'une forme de narration, qui pourrait aussi expliquer la forme souvent monologale que prend le spectacle adramatique de la parole.
La résurgence du monologue marque le théâtre contemporain et de nombreuses pièces actuelles, conçues comme des monologues s'appuient sur l'existence d'un interlocuteur muet que les mises en scène placent au sein du public.
Dans Le cas Jekyl de Christine Montalbetti, le docteur Jekyl s'adresse à plusieurs reprises à un ami, qui ne lui répondra jamais, dont l'évocation permet une adresse au public, une implication du public en témoin privilégié de la lutte croissante entre Jekyl et Hyde.
33 derniers soupirs de Fabrice Melquiot, monologue également, joue en permanence sur l'adresse à un public identifié,(celui de la salle), tout comme Commission centrale de l'enfance de David Lescot.
Peu de ressemblances subsistent entre le monologue de l’œuvre classique et celui auquel on assiste sur les scènes d'aujourd'hui.
La forme monologale a perdu la vertu démonstrative ou réflexive des grands textes classiques. Il ne s'agit plus d'un exercice de rhétorique, pause dans l'action, moment discursif, temps de parole aussi mais de raisonnement adressé on ne sait vraiment à qui, moment de bravoure où le spectateur, s'identifiant au personnage parlant, prenait l'occasion de s'interroger sur sa psychologie ou ses émotions. De son ancêtre classique, elle garde peut-être l’ambiguïté de l'énonciateur.
Je me suis demandée, sans trouver la réponse, s'il y avait corrélation entre le retour du monologue et l'engouement du public pour les spectacles de la parole, et le cas échéant, dans quelle proportion l'un influençait l'autre.



1Odette Aslan, L'acteur au XX ème siècle ethique et technique,Vic la Gardiole, L'entretemps, 2005, p. 228