Pages

Pages

lundi 30 novembre 2015

le hasard grec

Elle avait le hasard grec.
Elle prenait le métro, le matin, lisait son horoscope pendant le trajet, espérait en interprétant à son gré l'oracle de papier. Elle passait sa journée devant son ordinateur. Son travail achevé, elle reprenait le métro et lisait pendant le trajet l'horoscope du gratuit du soir.... Les oracles ne mentaient jamais dans l'acharnement du sort. Elle découvrait trop tard son erreur d'interprétation. Elle avait le hasard grec.
Celui qu'elle aimait partait en Lointainie. Tous les jours son blog affichait des connections de tout là-bas. « Loin de moi, il pense à moi. » Elle avait le hasard grec. Toujours une carte arrivait de Lucie ou Célestine « Salut, ma grande, je suis en Lointainie pour quelques jours. Je fais découvrir ton blog à des copines d'ici. »
Elle avait le hasard grec. Elle passait devant les temples avec une rancœur sourde. Les dieux s'acharnent sur ceux qu'ils aiment. Elle ne doutait pas de leur affection.
Elle attendait un appel essentiel pour elle. Son téléphone habituellement silencieux ne cessait carillonner avant de la mettre en communication avec les spams auxquels elle répondait avec une rage dont elle connaissait seule la cause.
Elle programmait des vacances au soleil, la plage, le sable, la mer. C'est toujours la veille du départ qu'elle glissait sur une feuille mouillée par l'automne. Elle méditait sur le hasard grec, le pied en l'air dans une chambre surchauffée.

Quand elle l'avait croisé, elle avait redouté le hasard. Mais il était scandinave, que peut le hasard grec contre un scandinave ? Par Tor et par Odin, oublions le Parnasse hellénique autant que l'Olympe. Elle avait conjuré les Moires de regarder ailleurs. Il était si exotique... Ils se sont connus et confiés. Y ont-ils cru ? Jusqu'au jour où un hasard qui n'était pas scandinave....

A prendre au second ou au troisième degré...

jeudi 26 novembre 2015

il faut savoir écrire avec élégance faute de sentiments

Une rencontre cette semaine. Une de ces rencontres qui vous laissent pantois. 
Lecture privée d'un poète connu, reconnu, gradué, lauréaté, estampillé, du poète comme on en fait peu, aussi décoré à lui seul qu'un commando du GIGN de la poésie comme il faut, comme on n'en fait plus ma bonne dame. 
Il faut faire car poésie vient du grec poein qui veut dire faire. C'est bien  de citer les racines et d'étaler sa confiture en longues tartines... Mais en hiver ça n'attrape plus les mouches. Souvenir de cette femme qui avait découvert un jour, que chier vient du latin cacare dans un flot d'offuscations. "De mon temps, il n'y avait pas ces mots-là en latin..."  Heureusement que les Latins connaissaient chier et baiser autant que le vocabulaire de la philosophie... Sinon, nous ne serions pas là pour en parler. Nouveaux cris de la dame à la limite de l’apoplexie, "Eh bien le latin a bien mal évolué aujourd'hui". Toujours pas compris la dame... aurait mérité que les latins ne connaissent que le lexique de la pensée...
Revenons à mon poète... 
Lecture non pas de ces textes poétiques mais de considérations sur ce que doit être la POESIE...
Pour ses poèmes, c'est au public de les lire... Il apprécie en connaisseur....et remercie en rougissant. Je reste pantoise... Comment dire ? Souvenir d'une lecture de Thoreau il y a quelques années (article dans ce blog) où le public lisait aussi, pas les textes de l'artiste présent. Scène partagée entre le comédien et ses auditeurs..un grand moment... 
Notre poète parle volontiers de son parcours et de son écriture, puis revient aux considérations générales. Il aime aider les autres, leur expliquer pourquoi ce qu'ils écrivent est mauvais, et comment ils peuvent faire pour écrire enfin de la vraie poésie.
Je dois lire aussi. J'ai reculé le moment le plus longtemps possible, mais il m'a repérée : "Vous n'avez rien trouvé qui vous plaise ?". Où est Sampiero et ses mots qui me font pleurer, Albane Gelée ? Laurence Vielle, Agnès Schnell ? 
Je prends un texte parce qu'il y a un embryon d'image habitée, tout à la fin. Je galère et bâcle ma lecture. Il n'y a pas de rythme, pas de sonorités, pas d'épaisseur, pas de vie, pas de mystère... 
Oh de l'image, il y a .. et de la belle, de la métaphore, de l'anacoluthe, du chiasme, de l'hyperbole, de l'oxymore qu'on se croirait presque dans un exercice scolaire ... Plusieurs par vers... Et du vocabulaire à faire pâlir de jalousie un dictionnaire...
Je vous l'ai dit je reste pantoise... Il me manque... la poésie...
Retour tard dans la soirée. Aussitôt "au secours Verheggen".... 
Retrouver la chair de la langue...
"Des gros mots, oui ! Mais des gros mots sapiens! " 
Et la réponse à mes doutes :
"En fait, on le voit, tout est possible pourvu qu'on cesse de se croire obligé de jouer les pompiers à Pompéi ou le Samu à Samothrace sous prétexte que les chefs-d'oeuvre poétiques sont en danger !" 

Est-ce que Verheggen connaît ce poète ? je crois l'avoir deviné dans certains passages de Poète bin qu'oui poète bin qu'non

vendredi 20 novembre 2015

les mamelles de Tirésias

Bien mauvaise idée que cette soirée... 
Les circonstances ne portent pas à la gaieté. Un ami passe me chercher, il faut y aller. 
Mauvaise idée. 
J'aime Apollinaire. Hélas ! 
Que vous en dire ? 
Le décor est très beau. Il y a au centre du plateau un arbre qui miroite et scintille pendant tout le spectacle, arbre de Noël, arbre de la science, de la vie... Deux grands voiles de plastique l'encadrent, lumière, bruissement, jeu de transparence....
Passons maintenant au corps du délit. 
La pièce commence par une longue psalmodie en arabe ? en hébreu ? Une femme seule, en noir, lumière très parcimonieuse. Le public se hérisse. La scène est malvenue, quelques uns quittent la salle, ils échappent à la suite. Le malaise enfle, des bruits de fauteuils, de pieds, de mouvements... Rien ne perturbe la comédienne qui continue sa mélopée... La haine devient palpable. 
5mn, 7 longues minutes (peut-être plus)
Puis un clown (travail remarquable) dans la lumière revenue récite la Genèse, la création du monde, puis d'Adam et d’Ève, le péché originel .....encore 5 bonnes minutes (mais moins lourdes, on comprend) et le clown est attendrissant... 
Un quart d'heure sans Apollinaire. Oui ! on a bien compris que la femme enfante dans la douleur parce qu'elle est la fomentatrice du péché. Et l'idée d'Apollinaire est de montrer une femme qui se refuse à cela. Original en 1917, intéressant aujourd'hui, mais déjà pratiqué parfois.. il y a eu la loi Veil...
Ce qui soutient notre attente, c'est le travail d'Apollinaire, son écriture, l'aspect surréaliste avant l'heure. 
Enfin la pièce commence, mise en scène très conventionnelle, des trouvailles de club de théâtre de collège : les mamelles sont des ballons....
Les autres personnages arrivent. On les voit bien. On ne comprend pratiquement rien à ce qu'ils disent...pseudo-accent, manque d'articulation, de portée, voix qui se chevauchent, ou qui parlent faux.... Ça savonne ....On attend toujours d'entendre Apollinaire. 
Le prologue arrive au milieu du deuxième acte. Comme une gifle. C'est très fort, cela fait écho à tout ce qui est diffusé par les médias depuis 3 jours. Et le texte incompris du début revient dans les mémoires, comme une explosion. Nouveau malaise. 
note de mise en  scène " Aujourd'hui les Mamelles de Tirésias se présentent comme une farce, qui a pour but d'amuser le public... je pense qu'elle doit se jouer, se mettre en scène avec beaucoup de légèreté". (sans commentaire)
Ensuite Apollinaire se fait encore la malle. On a même droit à "Homme de couleurs" de Leopold Sedar Senghor.... faute d'avoir les dernières scènes de la pièce. 
Il y en a qui ont eu la chance de pouvoir partir .... 
Et si vous n'y alliez pas ? Il y a certainement une bonne émission à la radio ou un bon livre à lire... Tenez Maxence Fermine vient de publier Zen .

dimanche 15 novembre 2015

le silence à hurler

Est-il blond ? Roux ? Est-elle brune ? Et ses cheveux sont-ils longs ou courts, lisses ou bouclés ? Porte-t-il une barbe ? A-t-elle des lunettes ? Est-il petit, rondelet ? Est-elle svelte ? Et ses vêtements ? Comment ses vêtements ? Nous ne savons rien de lui, d'elle. Même pas son nom, ni la forme de son visage, ni ce qu'il fait dans la vie, ni ce qu'elle a fait jusqu'aujourd'hui. Nous ne savons rien, pas même peut-être si c'est une fille ou un garçon. Lui aurions-nous dit bonjour, quelques mots, si nous l'avions croisé ? Ne l'avons-nous pas croisé, lui ou qui lui ressemble. Et soudain une fatalité nous le fait frère, nous la fait sœur. Son absence brusque nous laisse vide et transis. Deuil indéfinissable, profond durable. Parce qu'une fatalité humaine, brute, l'a désigné de son sceau de sang. Petit frère, petite sœur, par centaine, nous nous souviendrons.  

samedi 14 novembre 2015

le silence

Je voulais écrire aujourd'hui sur le spectacle de Pascal, hier soir, sur les Flandres, sur une amie souffrante, sur une phrase de Blaise Cendrars, sur des irréels de mon enfance... 
Et puis le choc,  reçu à midi, l'inquiétude : trop de lieux... trop de noms...
Et les souvenirs qui remontent. 
Il faudra lundi certainement affronter les rires et l'allégresse de quelques enfants, comme en janvier, dans cette cour d'école. Rire du crime accompli, rire de la tristesse des bouleversés, joies des futurs crimes et sentiment d'impunité, d'immunité. "Si vous faites quelque chose contre moi, mes parents iront vous dénoncer à la police, sale raciste." 
Souvenir aussi de cette fillette de 11 ans, au lendemain du 11 septembre. Un mot comme une gifle, trop violent, assassin pour que la mémoire l'ait retenu, puis la déclaration comme une couperet : "Vous vous rendez compte, il y a des gens qui ont pu se sauver.. " Et les parents qui ont toujours boutique sur rue .... "
Non les mots sur les Flandres n'ont plus ra raison. 

mercredi 11 novembre 2015

Les IRREELS (critique)

Comment vous parler de ce que j'ai vu ? Un spectacle ? Un rêve éveillé ? Des acteurs ? Des marionnettes ? Une plongée dans l'irréel. C'est d'ailleurs le nom de la performance que propose la compagnie Créature. LES IRREELS.
Rien ne peut mieux convenir et comprenez la vanité et l'impuissance des mots pour donner une idée de ce que j'ai vécu à leur rencontre.
Au niveau aussi de la relation aux spectateurs, il y a beaucoup à dire.
Essayons une description méthodique, une partie du chemin sera déjà parcouru.
Il y a 15 « cabanes » de foire, formant un cercle autour duquel le public est invité à tourner dans le sens qu'il veut, en respectant l'ordre ou en sautant de stations. Cela paraît simple.
Chaque cabane représente un univers particulier (matière, couleur, organisation). Cela commence à se compliquer. Tout y est respecté : il y a une foule d'ustensiles dans le monde de la cuisine. Des albums de photos de toutes les époques, du linge à étendre, une lessiveuse, des filets de pêche... Il faudrait des heures pour retrouver et assimiler les moindres détails si importants de chaque univers.
Dans chacun de ces univers un personnage (parfois deux), entre humain et animal. Si humain dans son attitude et sa gestuelle, si animal dans son masque. Si hybride qu'on ne peut que se tromper. Une poule a une crête en fleurs, des plumes en tulle, un cheval à une crinière en dentelle, un lion un pelage en loden, quant à la biche elle porte crinoline de velours comme les personnages de Grandville. Leur nom est déjà tout un programme : la dorloteuse d'enfance, la lessiveuse de malheurs, le pêcheur d'espoir, la berceuse de secrets.
Que se passe-t-il alors ? Rien. Que font-ils ? Rien. Que disent-ils ? Rien. C'est une de ces ménageries qui s'installent parfois sur les parkings des centres commerciaux. Et pourtant c'est le spectacle le plus troublant, le plus bouleversant que j'aie vu depuis des années. Le spectacle n'est pas extérieur, mais en nous. Chaque personnage a une mini marionnette ou un objet auquel il donne vie et grâce auquel il communique un peu avec les badauds.
Le trajet c'est le public qui le fait. Par une petite pancarte, on connaît les fonctions des personnages. Un texte d'une grande poésie, simple comme toute grande poésie, « il rêve, il invente les amis imaginaires qui peuplent son esprit, avant qu'ils rejoignent les humains pour les accompagner ».
Nous regardons les personnages évoluer avec la part de secret, de désirs inavoués, de regrets bien tapis. Les regarder c'est regarder à l'intérieur de nous, avec bienveillance et impudeur. Leur masque est figé, il ne nous renvoie rien, mais ils reçoivent les émotions qui naissent en nous, accentuent une pose, esquissent un geste plus personnel pour dire « oui, nous existons, ici et maintenant ». Quand on quitte une cabane, qu'il faut fermer les yeux ou affronter ceux des autres spectateurs, un échange parfois s'ébauche, pauvre et banal « c'est beau », parce que l'aventure et la représentation ont lieu au plus intime de chacun.

Je vais bientôt reprendre mes ruminations sur l'écran dans les spectacles de lecture ou de poésie. Le comédien avec lequel je travaille régulièrement prépare un nouveau spectacle (première vendredi...) Il  paraît que la mise en scène repose sur la notion d'écran.. Juste quelques photos. Je ne veux pas savoir avant... 

lundi 2 novembre 2015

Agnès Schnell : en filigrane l'Ardenne

J'ai rencontré Agnès Schnell lors d'un marché de poésie dans les Ardennes, Place aux livres. Nous avons vite parlé librement, amusées de nous trouver une même passion pour l'Ardenne profonde, ses paysages, ses eaux et ses légendes . Nous avons parlé de la difficulté d'avouer l'écriture quand on est femme, et des fidélités qui poussent vers la page encore vide. D'auteurs que nous aimions.
Je suis partie avec deux livres d'elle : Murmures dans l'absence et En filigrane, L’Ardenne.
J'ai lu ses deux livres, pas dévoré, lu, siroté, comme un nectar fluide et parfumé. Je les ai lus et relus, plongeant au hasard dans les textes. Je sens qu'il s’agit d'un long poème unique qui se cache dans le morcellement, j'entends les échos et les résonances. Mais une ou deux pages suffisent à ma soif et me donnent assez de rêve. Je garde les autres comme une gourde précieuse pour les aridités futures.
L'Ardenne est là, comme lorsque mes pieds la traverse. Dans l'arc-en-ciel que lui donnent les saisons.
Agnès Schnell utilise un vers court, fluide, très proche de la parole. Les images et les sensations naissent des associations de mots ou d'idées. Tout est osmose : la langue, les paysages et les êtres qui s'y meuvent, la sensualité des pierres et celle des verbes ou du vent.
Il m'est difficile finalement de parler de cette écriture tant elle ressemble à celle qui habite dans mon imaginaire.

Plongez. 

Avec une pensée pour Agnès en ces moments difficiles. 
Vous pouvez la retrouver sur facebook