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vendredi 16 décembre 2016

Gaston Couté au Musée des Beaux Arts

Enfin un spectacle dont je peux parler en bien. Performance ? Non même si on a en tous les ingrédients : unicité du spectacle, co-présence du comédien et des spectateurs, mise en scène ébauchée qui laisse une place à ce que Georges Banu appelle « l'inaccomplissement du spectacle ».
Performance (au sens non universitaire), oui ! Il y a longtemps que je n'avais pas vu quelque chose de cette qualité.
Reprenons dans l'ordre.
Le musée des Beaux Arts de Reims accueillait dans le cadre de l'exposition sur le peintre Lhermitte une prestation de Raynald Flory du collectif artistique Eutectic.
Au programme des textes de Gaston Couté, un de ces poètes patoisants du début du siècle dernier, comme Jules Mousseron, que les acteurs d'aujourd'hui s'approprient avec bonheur. La Beauce et la Sologne …. comme Mousseron à la même époque chante les mines. Pour commencer et pour finir des classiques d'Arthur Rimbaud, de Baudelaire, de Bernard Dimey ( un des autres auteurs fétiches de Raynald Flory). Des textes qui ne détonent pas dans l'univers champêtre qu'illustrent toiles et dessins de Lhermitte projetés au-dessus de la scène improvisée et dont on découvre l'universalité.
Les textes sont d'une actualité sidérante. Comment pourrait-on croire dans la voix de Raynald Flory que près de 100 ans nous séparent de leur écriture, tant ces paysans à la fois matois et butors parlent du monde (d'un monde sosie de celui qui nous entoure) aevc une lucidité née de s'être frotté à la réalité. 
Et là : la surprise. Ce qui aurait pu être une simple lecture des textes devient un vrai spectacle.
Tout est investi, joué, interprété avec mesure ; joué le poème, mais aussi joué le mot qui fait mouche.
Le mise en scène sobre et maîtrisée forme écrin à l'interprète : une lessive étendue, deux morceaux de bois assemblées avec un bout de ficelle, des pierres...
Le patois devient bonheur au delà de la première difficulté. Une interruption permet de faire un rapide cours interactif : on parle désormais la même langue.  On s'amuse du décalage de l'expression et de la justesse de l'observation. Il faut dire que Raynald Flory trouve toujours la juste mesure entre le détail qui amène le sourire et la distance qui souligne le tragique.
Mais surtout ce spectacle prend en compte le public « le quatrième créateur » dont parle Meyerhold. On partage le vin et le pain (pas de la religion) mais des hommes de la terre, moissonneurs, faneurs, paysans, vendangeurs (l'affreux liquide du pressoir et la rousseur de la moisson).

Etait-ce une performance (au sens universitaire du mot). J'espère que non, car j'ai très envie de revoir ce spectacle et de faire découvrir à beaucoup d'autres le bonheur que j'y ai trouvé.