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mercredi 19 février 2014

Critique : RE : Walden




Spectacle à la Colline, une tournée après une présentation en Avignon l'été dernier.

Une impression mitigée parce que faussée par le souvenir encore vivace de la lecture faite par Jacques Bonnaffé, il y a peu de mois.

Des choses merveilleuses : une projection panoramique d'un étang en forêt au fil des saisons, avec des images qui s'accélèrent et tournent à la folie, au subliminal. Etang qui se superpose à celui évoqué par Thoreau. Un piano qui devient autonome, joue seul et finit par se détruire au plus fort d'un moment intense. Une projection d'avatars qui assument les déplacements des comédiens demeurant statiques. Voix des comédiens sur scène (par voix amplifiée) et bulles pour faire parler les avatars. Des doutes qui naissent (est-ce l'avatar ou le comédien qui bouge) quand les deux sont si étroitement en surimpression qu'on ne peut les différencier.

Un moment très intéressant aussi : la traduction informatique du texte de Thoreau en français et les aberrations que génèrent ce type de traduction. Un texte devenu totalement absurde que les comédiens après une première surprise jouée, déclament comme s'il s'agissait d'un travail de qualité.

D'autres passages plus dérangeants, parce qu'il vient se heurter au travail de Jacques Bonnaffé. Jean,-François Peyret n'était pas dans la galerie, mais les deux artistes ont si souvent travaillé ensemble et notamment sur des lectures, qu'on peut aussi bien voir une imitation de l'un par l'autre qu'une osmose si complète qu'ils se rejoignent dans leur production.

Dès lors une comparaison se fait entre les techniques utilisées, les méthodes, les trouvailles...

Les acteurs reprennent les phrases des autres pour y ajouter ou y modifier un mot minuscule (parfois / de temps en temps, …) comme une rectification sensée apportée un nouvel éclairage ou pour au contraire rendre ridicule l'orthodoxie de certains traducteurs ? Jacques Bonnaffé reprenait des passages, pour déplacer une virgule, une respiration, pour ajouter ou enlever une intention....Le texte peut ainsi être lu plusieurs fois, chaque nouvelle lecture enrichissant ou déformant la précédente, conduisant sur une pluralité de compréhension...

Les comédiens de Jean François Peyret semble découvrir des citations dans des emballages de carambar. Thoreau est-il un auteur de blagues de mauvaise qualité, ou cela est-il destiné à souligner le décalage entre une pensée profonde et l'usage qui en est fait. Les comédiens mâchent à la fois le texte et les confiseries qu'ils déballent. La prononciation s'altère autant que le propos. Intéressant.

Mais combien plus riche la proposition faite par Jacques Bonnaffé. Les papiers chiffonnés comme ressuscités après un premier abandon et retrouvant la force de l'écriture, ou les phrases écrites sur des morceaux de cartes routières, pour un auteur qui a abandonné la route et qui demande plusieurs fois dans le livre où se trouve tel ou tel endroit. Une carte... chiffonnée, comme son renoncement à un monde trop balisé....

Je en parlerai pas du rapport au public, il y a là trop concepts mis en jeu de chaque côté.

On ne peut pas comparer deux approches aussi différentes et aussi cousines de l'oeuvre de Thoreau. Le tort principal pour moi est d'être allé voir les deux spectacles dans un intervalle aussi court.