Voilà des années que je rêvais de
voir un spectacle de Josse de Pauw. Je ne vais qu'exceptionnellement
au théâtre pour voir un comédien. Souvent c'est le metteur en
scène ou l'auteur de la pièce qui guident mon choix. L'occasion
était donc trop belle de voir ce spectacle qui finissait sa tournée
à Reims où j'ai une amie.
Je ne vous ferai pas l'injure de vous
demander si connaissez Josse de Pauw. C'est un metteur en scène et
comédien belge.
On peut trouver le prétexte et
l'argument de «l'âme des termites» sur de nombreux sites et cela
n'est pas ce qui va focaliser ma réflexion. Disons qu'un
entomologiste, passionné par les termites, a fait de ces insectes
l'objet unique de ses recherches. Ce qu'il en dit progressivement
laisse transparaître sa vie et les moments trop lourds pour être
tus, une histoire d'amitié tragique, une histoire d'amour qui
l'encombre et le détruit, une appartenance à un peuple qui se
déchire et cultive une haine que dément la réalité quotidienne,
l'obligation de se confronter à un univers plus cruel que la
termitière.
Il paraît qu'à l'origine, il y aurait
un texte de Maeterlinck et une communication scientifique...
Je ne m'occuperai que de la
théâtralité, la dramaticité du spectacle.
Josse de Pauw est seul en scène avec
deux musiciens qui semblent improviser une musique entre jazz et
contemporain... Sur la gauche les musiciens, en diagonale une longue
table comme les bureaux démesurés des amphis de fac. Dans le fond
un écran qui affichera du texte et des images, des vidéos... A
l'avant-scène droit, derrière le bureau, Josse de Pauw.
La pièce commence comme un cours
magistral. Et les spectateurs se trouvent directement inscrits dans
le dispositif scénique. Il n'y a pas de quatrième mur. Josse de
Pauw est un professeur face à ses étudiants qu'il admoneste
éventuellement, qu'ils raillent légèrement. C'est un prof
débonnaire qui entretient une sympathie visible avec ses élèves.
Josse de Pauw est flamand et le
spectacle est en néerlandais. L'écran va à la fois servir à
afficher la traduction pour les Français que nous sommes, mais il
sera aussi le power point de support du cours. Le professeur
reprenant parfois les mots en français comme pour s'assurer que tous
suivent bien, où soulignant la subtilité d'une expression en
flamand ou en flamand. Il joue avec l'écran de traduction, le
regardant, semblant le télécommander comme un vidéo projecteur de
conférence. De Pauw sait que le public néerlandophone est trop peu
nombreux pour lui assurer un succès notable. Il garde pourtant sa
langue et joue sur le décalage linguistique avec le public. Sans
cesse, les prétextes surgiront qui feront cohabiter les deux langues
, traduction , besoin de se faire comprendre ou paroles
rapportées...
Petit à petit, le personnage se
fissure, les termites laissent place à des considérations ou des
souvenirs personnels, la rivalité de deux universités l'une
francophone et l'autre flamande et l'interdiction tacite à deux
chercheurs de partager, mais une amitié qui s'entretient malgré
tout. Le conférencier quitte sa veste, remonte ses manches. Et le
public est piégé, comme quand on a lié une vague conversation dans
un café avec un buveur, qui s'avine au fur à mesure de la soirée
et désinhibé devient de plus en plus indécent dans ses
confidences. On reste là entre compassion et sentiment d'impudeur. Dans le cas des termites, il n'y a plus d'adresse directe au public, mais ce public a été
tant installé comme personnage silencieux de la pièce qu'on ne peut
l'oublier. Si le spectateur en tant qu'individu ne sent pas
directement concerné, il se sait en tant que membre de la communauté
spectatrice deuxième interlocuteur de ce faux monologue. La musique
l'accompagne dans ce sens. C'est très fort et l'on n'en sort pas
indemne.
Et puis une réflexion sur cette place
du néerlandais. Je suis souvent en Belgique pour des raisons
familiales, professionnelles et touristiques. Comme tous les Wallons,
je pense qu'il est anormal qu'une moitié d'une pays ne parle pas
comme nous. Il y a la chicorée du Nord et la chicorée du Sud comme
dirait Jacques Darras (dans Moi, j'aime la Belgique), qui sont chicorées égales. Mais bien sûr
une des deux chicorées est beaucoup plus égale que l'autre... Je
suis outrée que dans les villes flamandes on ne pratique pas le
double affichage, mais que le double affichage n'existe pas en
francophonie me semble normal. J'entends de mes collèges anversoises
qu'elles s'adaptent... Ce spectacle m'a aussi conduite dans une
remise en question : j'ai été bouleversée par un texte en
flamand. Et je me suis souvenue de la chaleur des amis flamands
autour de la bière fraîche les fins d'après-midi apatrides.
Et une vague envie a refait surface,
qui avait déjà point un après-midi d'août à Gent (Gand) et si
j'apprenais le flamand ?