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vendredi 26 septembre 2014

atttendre le théâtre


Travail de recherche l'autre jour au sein d'un atelier sur le conte. « Quand doit-on lancer le traditionnel il était une fois ? »

Les avis divergent. Le plus vite possible, pour indiquer que l'attention est requise. Le plus tard possible pour mettre le public en écoute.

Ne pas juger. Mon avis de théâtreuse est obligatoirement faux. Souvenir de contes dits il y a un peu plus de dix ans. Contes écrits par un écrivain local, doué mais au style trop peu théâtral déjà pour les pièces que je jouais, alors pour les contes.... Beaucoup trop d'adverbes, d'accumulations d'adjectifs, de passés simples, de subjonctifs, de tropes. Les mots s'empiergeaient dans ma bouche, se fracassaient en avalanche à la moraine de mes dents. Sensation alors de vide, d'échec. Certitude d'avoir déçu le rêve devant des yeux d'enfants interrogateurs et ceux d'adultes fatigués par la longueur. Un jour j'avais tout bousculé, insurrection de comédienne. L'enfant qui jouait avec moi m'avait dit à la fin de la scène, oubliant son texte, « j'aime bien ton histoire. » La pièce s'était poursuivie. J'avais évité les foudres de l'auteur à la fin, adulé par une journaliste d'entrefilets.

Le débat lancé entre les conteurs sur ce il était une fois m'interroge. Par rapport au conte certes, mais aussi par rapport à mes recherches sur les spectacles de la voix et du texte, et par rapport au théâtre en général.

Quand les comédiens, diseurs ou lecteurs des spectacles de poésie que je fréquente, retardent le moment de l'arrivée des mots, je me sens en impatience. Suis-je plus attentive ? Je suis surtout dans un rituel de préliminaires. J'ai l'impression de participer à ce retardement. Le comédien montre souvent qu'il reconnaît la présence du public, mais qu'il l'ignore par jeu. Le contre-jeu du public consiste alors à essayer de se faire reconnaître, de façon plus ou moins extériorisée. « Attendez, je m'installe. » « Dépêche-toi, nous nous sommes prêts à t'écouter. » La désinvolture affichée sur scène génère une montée en tension avide que les premiers mots apaiseront. Souvent le rituel se reproduit dans la suite de la lecture. Il appartient aux marques dans ce type de spectacles de la co-présence physique du comédien et du spectateur. Temps de repos, de trêve, temps de reprise en main par le comédien. « eh arrête de faire autre chose, tu es là pour t'occuper de nous ! » « Alors écoutez »

Et au théâtre ? Il y a eu pendant longtemps une mode qui consistait à faire entrer le public dans une salle où les acteurs étaient déjà installés, en position figée, ou en action (visiblement ou non). On était un peu plus en avant de l'absence de rideau de scène. Et c'est à cela que me renvoie aussi la question. Y a-t-il création d'une attente ou au contraire création d'un désintérêt ? J'arrive souvent très en avance. Je suis myope, il me faut être près. J'avoue que parfois après une tentative pour essayer de comprendre ce que font ces gens qui s'agitent sur scène, je me mets à discuter avec mes voisins ou à lire. Je n'ai, je crois jamais eu la sensation de jouer au jeu de l'ignorance. Peut-être parce que les êtres en action ne sont pas des comédiens mais des personnages en action, ce qui est totalement différent du cas précédent, ou du cas du conteur. C'est moi qui suis cachée aux personnages par le rideau de scène et qui apparaîtrai dans la pièce par mon négatif quand la lumière s'éteindra et que la pièce commencera. Et je n'ai parfois plus envie que la pièce commence.

Souvenir d'une représentation d'un spectacle circulaire de Robert Lepage, dans un cirque. Tout une première partie se joue avant le vrai début de la pièce : présentation de machines extraordinaires et de tours de magie autour de la figure du magicien Robert Houdin. Cette partie a été conçue par un magicien et ombromane. L'installation du public dans un cirque est très compliquée, les gens se font inévitablement face, détourner leurs regards est une nécessité. La scène tourne, chacun la voit évoluer. Elle est une sorte de prologue de l'autre, qu'elle évoque, mais ne supplée pas.

Souvenir aussi d'une représentation en bi-frontal, avec des personnages au centre, qui sont dans l'attente, attente jouée. On ne peut empêcher des regards qui se perdent, des fuites du jeu. Le public se dépêche de s'asseoir sur les gradins. Soulagement général, quand les premiers mots dans le noir qui s'installe dissipent le malaise.

Je ne sais pas quand on doit dire Il était une fois.