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vendredi 19 décembre 2014

Chassez le naturel critique complètée


Chassez le naturel. J'ai déjà évoqué dans un article précédent les différentes versions vues de ce spectacle. Il reste en images subliminales des traces des anciennes versions qui viennent influencer les nouvelles propositions, telle cette envolée de manteau au-dessus de la scène d'Alloue ou cette rencontre entre deux explorateurs (à peine esquissée dans la nouvelle version) qui contrastait avec ce qui précédait par le ton très mondain que prenait la conversation....

1 an et demi sépare les deux dernières représentations. Des glissements, des nuances, il y en a, certes (notamment au niveau du dialogue imaginaire avec Rousseau) mais finalement moins que je ne pouvais l'attendre. La pièce a moins évolué pendant cet endormissement qu'entre les deux versions données au Théâtre de la Bastille. Il faut reconnaître que tout fonctionne bien. Il y a le juste dosage entre le texte / les textes philosophique(s), la part d'humour, de danse, et celle d'émotion.

On retrouve les deux parties distinctes entre la nature selon la pensée du XVIIIème siècle, notamment Rousseau, et l'argumentation contemporaine de Bailly. Un transfert subtil se fait entre la nature source de vérité et origine parfaite de l'humanité et la destruction opérée par l'homme sur le monde qui l'entoure et notamment les animaux (les seuls animaux présents sont des chouettes, par le bruit et des gibiers de chasse en forêt sous forme de silhouettes peintes en noir). Le texte sur le brontosaure achève cette affirmation que l'homme est le seul monstre encore présent, capable de détruire. Il y a un parallèle entre le côté prédateur de l'être humain et son goût pour la guerre.

Le texte est dense, parfois difficile. Jacques Bonnaffé joue alors de ruse pour le faire passer : exercice de respiration sur un texte de Rousseau, pseudo- cours de philosophie (avec commentaires critiques), clins d’œil à l'actualité avec des petits coups de griffes, l'air de rien. Le public suit, complice.

Ce qui fait la plus grande force de ce spectacle, c'est l’alliance de la danse et du texte, c'est la répartition entre les deux acteurs-danseurs. Chacun est à la fois danseur et acteur. L'essoufflement de Jacques Bonnaffé influe sur sa diction, et, à d'autres moments, sa diction suppose l'adaptation du mouvement. Le rythme vient du martèlement des pieds, du claquement des mains, des déplacements ou des arrêts. Quant à la danse, elle ne cherche jamais vraiment à se faire imitative ou narrative. Elle va dans l'étrangeté, dans ce que les « animaux ont de différent avec nous ». Les personnages présents sur scène ne sont à aucun moment des simulacre de singes, mais des êtres qui jouent sur l'impossibilité de les classer. Des formes surgissent entre l'animal et l'humain, distordues, à la limite du déséquilibre, ou n'existant que par une partie de leur corps. Les mouvements sont très calculés et ajoutent à l'humour par leur soudain décalage ou leur adresse au public.

Quand le danseur, Jonas Chéreau, semblant vivre en accéléré l'évolution de Darwin, passe de cris inarticulés à une parole construite et raisonnée, sa voix reste dans une neutralité d'observation 'de laboratoire.

Si le discours est très scientifique et très érudit (citation en grec ancien), les costumes et les accessoires sont burlesques et valent surtout pour la dérision qu'ils proposent. Comment peut-on prendre au sérieux des clowns ? Et pourtant. Il est vite évident qu'il s'agit d'une forme de détournement pour nous conduire à nous poser la vraie question de la place de l'animal dans le monde et de la place de l'homme dans la société.

La pièce va connaître à nouveau quelques dates qu'il ne faut absolument pas laisser passer.