Chassez le naturel. J'ai
déjà évoqué dans un article précédent les différentes versions
vues de ce spectacle. Il reste en images subliminales des traces des
anciennes versions qui viennent influencer les nouvelles
propositions, telle cette envolée de manteau au-dessus de la scène
d'Alloue ou cette rencontre entre deux explorateurs (à peine
esquissée dans la nouvelle version) qui contrastait avec ce qui
précédait par le ton très mondain que prenait la conversation....
1 an et demi sépare les
deux dernières représentations. Des glissements, des nuances, il y
en a, certes (notamment au niveau du dialogue imaginaire avec
Rousseau) mais finalement moins que je ne pouvais l'attendre. La
pièce a moins évolué pendant cet endormissement qu'entre les deux
versions données au Théâtre de la Bastille. Il faut reconnaître
que tout fonctionne bien. Il y a le juste dosage entre le texte / les
textes philosophique(s), la part d'humour, de danse, et celle
d'émotion.
On retrouve les deux
parties distinctes entre la nature selon la pensée du XVIIIème
siècle, notamment Rousseau, et l'argumentation contemporaine de
Bailly. Un transfert subtil se fait entre la nature source de vérité
et origine parfaite de l'humanité et la destruction opérée par
l'homme sur le monde qui l'entoure et notamment les animaux (les
seuls animaux présents sont des chouettes, par le bruit et des
gibiers de chasse en forêt sous forme de silhouettes peintes en
noir). Le texte sur le brontosaure achève cette affirmation que
l'homme est le seul monstre encore présent, capable de détruire. Il
y a un parallèle entre le côté prédateur de l'être humain et son
goût pour la guerre.
Le texte est dense,
parfois difficile. Jacques Bonnaffé joue alors de ruse pour le faire
passer : exercice de respiration sur un texte de Rousseau,
pseudo- cours de philosophie (avec commentaires critiques), clins
d’œil à l'actualité avec des petits coups de griffes, l'air de
rien. Le public suit, complice.
Ce qui fait la plus
grande force de ce spectacle, c'est l’alliance de la danse et du
texte, c'est la répartition entre les deux acteurs-danseurs. Chacun
est à la fois danseur et acteur. L'essoufflement de Jacques Bonnaffé
influe sur sa diction, et, à d'autres moments, sa diction suppose
l'adaptation du mouvement. Le rythme vient du martèlement des pieds,
du claquement des mains, des déplacements ou des arrêts. Quant à
la danse, elle ne cherche jamais vraiment à se faire imitative ou
narrative. Elle va dans l'étrangeté, dans ce que les « animaux
ont de différent avec nous ». Les personnages présents sur
scène ne sont à aucun moment des simulacre de singes, mais des
êtres qui jouent sur l'impossibilité de les classer. Des formes
surgissent entre l'animal et l'humain, distordues, à la limite du
déséquilibre, ou n'existant que par une partie de leur corps. Les
mouvements sont très calculés et ajoutent à l'humour par leur
soudain décalage ou leur adresse au public.
Quand le danseur, Jonas
Chéreau, semblant vivre en accéléré l'évolution de Darwin, passe
de cris inarticulés à une parole construite et raisonnée, sa voix
reste dans une neutralité d'observation 'de laboratoire.
Si le discours est très
scientifique et très érudit (citation en grec ancien), les costumes
et les accessoires sont burlesques et valent surtout pour la dérision
qu'ils proposent. Comment peut-on prendre au sérieux des clowns ?
Et pourtant. Il est vite évident qu'il s'agit d'une forme de
détournement pour nous conduire à nous poser la vraie question de
la place de l'animal dans le monde et de la place de l'homme dans la
société.
La pièce va connaître à
nouveau quelques dates qu'il ne faut absolument pas laisser passer.