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jeudi 28 novembre 2013

Martin Crimp : play house et la ville


Je suis allée dernièrement en province pour voir d affilé deux pièces de Martin Crimp. C4est un auteur encore peu joué en France. Je l'ai découvert au cours de Jean Pierre Ryngaert. Ce professeur passionnant et enthousiaste avait parlé de Crimp et nous avait faits lire des extraits. J'ai été un peu déçue par la première pièce qui ressemblait trop à du théâtre de boulevard, avec de grands cris et des rires forcés. La deuxième, le lendemain, m'a paru plus intéressante. Est-ce que la mise en scène était plus travaillée ou est-ce que le texte était plus original ? Je ne sais pas. Mais, mais comme ce qu'avait expliqué Jean Pierre Ryngaert dans ses cours à propos de la décomposition du personnage ou la perte de valeur d'information du dialogue, on sentait bien que les personnages n'en étaient pas vraiment et qu'ils semblaient douter de leur histoire et que finalement ils n'existaient pas vraiment. En plus, c'était très bien joué. Une bonne représentation qui prouve qu'on peut voir du bon théâtre ailleurs qu'à Paris.



Une nouvelle pour ceux qui veulent réagir aux textes : vous pouvez maintenant ajouter des commentaires.

dimanche 24 novembre 2013

Lecture de Henry David Thoreau par Jacques Bonnaffé


Une lecture, encore une. Je l'avais dit : c'est mon cheval de bataille.

Dans une galerie d'art, au milieu de photographies. Des extraits de l'écrivain américain Henry David Thoreau. (Son texte le plus célèbre Walden sera adapté et mis en scène cet hiver par Jean-François Peyret au Théâtre de la Colline - il a déjà été joué en  Avignon cet été - Dépêchez-vous : très peu de représentations à Paris).

Mais revenons à la lecture.

Des invités qui ont mangé sur place, façon vernissage, rejoints par quelques spectateurs lambda, entrée libre sur réservation.

Il y a dans un coin de la pièce un micro (qui servira à peine)

Un comédien qui s'agite un peu avant l'heure prévue. Transport de sacs en kraft débordant de papiers chiffonnés, d'anciennes photocopies ou de cartes routières réutilisées, de livres, de bouteilles et de canettes, d'étoiles en bois (accrochées à deux planches grises maculées de blanc). Un paquet de photocopies qui ont gardé les traces noires autour des pages qu'elles reproduisent.

Il ressort , on n'entend plus que sa voix qui chante dans le couloir, soutenue par un enregistrement (dont on ignore la forme)

Le comédien entre finalement en portant un plateau où s'entremêlent crayons et papiers froissés dans un équilibre plus qu'instable.

 
La lecture s'organise. « Je n'ai pas fait finalement de montage. » Les monceaux de papiers froissés seraient donc les ébauches inabouties de cet essai. « J'ai travaillé, mais je n'ai pas su choisir. » La barre se trouve placée haut. Les textes qui seront lus seront donc un distillat , une quintessence de l'oeuvre de Thoreau, ceux qui surgiront des meilleurs passages entre lesquels le comédien n'a pas fait son choix. Une biographie rapide de l'auteur entre deux refrains bourdonnés ou chantés, des sons imitant la nature. Serveur plus que lecteur, il invite des spectateurs à prélever sur le plateau, dans les sacs, jette quelques boulettes au hasard. Il en défroisse quelques unes, en lit certaines, comme si les textes apparaissaient aléatoirement. Vrai ou faux ? Quelle est la part exacte du hasard ? Sommes-nous vraiment dans la prise de risque que suppose ce type de performance ? Tout semble avoir été si minutieusement préparé. Les textes ont été souvent recopiés d'une main studieuse. Ils sont donc connus, pourtant, la voix semble les lire pour la première fois. Elle hésite parfois, revient. L'acteur se surprend à découvrir un sens qu'il ignorait, relit la phrase avec une intention nouvelle, une analyse plus minutieuse et plus ouverte de la phrase. « Nous construisons ensemble ce moment » semble-t-elle nous dire. Et tout le monde joue sincèrement le doute, avec cet abandon de celui qui sait que le théâtre n'est que théâtre et qu'il le croit vrai pour cette raison.

Le comédien demande au public de lire en voisinage ou à haute voix. Il devient auditeur de son propre spectacle.

Une spectatrice du premier rang a été déclarée dépositaire, garante d'un témoignage de Stevenson qui va servir de fil conducteur à la lecture, le comédien y revient régulièrement. « Si vous voyez quelque chose d'intéressant que je n'ai pas souligné, n'hésitez pas à le lire à haute voix ». Sommes-nous dans l'ironie, l'auto-dérision, la sincérité ? Tout se confond. Une seule chose submerge la complicité, la communion qui règne dans la salle, et dont le texte n'est que la catalyseur.

La fin de le lecture posée clairement par le comédien laisse les spectateurs en manque, mais résignés, parce que le moment passé ensemble a été si intense qu'il serait presque indécent de le prolonger. Quelques chanceux partent avec un autographe ambigu (Thoreau /le comédien) glané dans les distributions.



Deux citations de Thoreau retenues dans cette lecture pour mon point final et vous donner le regret de cette performance :

« Il n'y a qu'un remède à l'amour : aimer davantage. » Là, je souscris totalement. Mais peut-on jamais guérir d'aimer quelqu'un ?

« Ceux que nous aimons nous pouvons les haïr. Les autres nous sont indifférents ». Là, je suis plus réticente. Je serais plutôt du genre « va, je ne hais point ». Sauf peut-être, si c'est ceux que l'on aime qui exigent notre haine, et encore on peut simuler pour leur sacrifier ce dernier plaisir. Une réponse suggérée  par  Borges : « Tout existe sauf l'oubli. »

mardi 29 octobre 2013

revenir à Hannibal et Jacques Bonnaffé


Hannibal ! J'éprouvais un peu de réticence à venir voir ce texte. Souvenir pesant des grandes pièces historiques lourdes et encombrées. Personnages de marbre des tragédies classiques, rigidifiés dans leurs toges de lin, même relookés façon Gauthier (le couturier, pas l'écrivain). Personnages grandiloquents et versifiant jusqu'à l'assoupissement (de Hugo ou de Rostand). J'avais oublié que le XIXè siècle avait aussi produit Lorenzaccio, et que certains auteurs tout comme Musset avaient osé la dérision et le portrait à l'acide. Voilà la surprise première de cet Hannibal de Grabbe qui brosse en prémonition un portrait de notre Europe. Il y a assurément une forme de Brecht (avec l'humour trop souvent négligé de cet auteur) dans Hannibal. Pas de grandes phrases mais des allusion à l'aigre-doux, à peine murmurées, que le spectateur perçoit parce qu'il les espérait. Et la mise en scène va dans ce sens. C'est très drôle parce que très ironique (au sens actuel) pas au sens tragique. Étonnamment cette drôlerie surprend les spectateurs qui ne savent pas que les grandes pièces ou les grands sujets n'interdisent pas le rire. Indiscutablement aussi Jacques Bonnaffé est le comédien qui profite le mieux de ce qu'offre une telle écriture. Il en joue passant d'une nuance à l'autre, laissant croire le pardon quand il condamne à mort et assumant la mort d'un frère dans une fête paillarde, sans sur-jeu, dans un naturel qui fait que le personnage (bien que très distancié) semble échapper à la caricature dans laquelle finissent par s'abîmer beaucoup d'autres. (Gisgon et Prusias surtout). Si la plupart des personnages ressemblent aux plaques peintes qui constituent le décor, Hannibal donne l'impression d'être de chair, animé d'une lucidité omnisciente et agité de sentiments contradictoires, jouant autant de la vérité que de l'auto-dérision qui le conduit consciemment dès le début à l'issue. Il y a tout le temps jeu d'Hannibal qui semble un marionnettiste ou un metteur de scène de sa propre histoire et tout le travail de Bonnaffé se développe heureusement autour de cet axe.

Hannibal-Bonnaffé diffère de celui de mes études humanistes. Je l'ai découvert à un âge où l'on rêve de héros, dans les textes de Tite Live ou de l'abbé Lhomond. Pensum de traduction où l'on choisit le premier mot sur le Gaffiot, par paresse ou par révolte.

Hannibal, lié à la mort de Jean Le Poulain (comédien dénigré, mais très grand metteur en scène et qui le premier m'a fait découvrir le théâtre contemporain et la liberté de création qu'offre la direction d'acteurs. Combien de fois à l'âge adulte, n'ai-je pas repensé à  lui dans mon travail). Je devais passer l'après-midi un oral de traduction. J'ai ouvert l'enveloppe devant le journal télévisé de 13 h. Le journaliste annonçait la mort de Le Poulain, l'enveloppe indiquait « Portrait d'Hannibal ». Mon temps de préparation était plus occupé de savoir quelle forme prendrait l'hommage au metteur en scène que la vie d' Hannibal. « Et pater in se », « et les traits de son père que l'on retrouvait en lui », déficience de notre langue face à la concision du texte latin, déficience de la télévision à montrer de Le Poulain autre chose que le guignol des pièces de boulevard. Ce fut mon dernier contact avec le vrai Hannibal, que je redoutais avec des fantasmes de pueri romani.

L'image d' Hannibal semble d'ailleurs avoir été celle-là. Il ne fait pas partie des grands preux des légendes du Moyen Age. Il faut attendre le baroque pour le voir resurgir, triomphant dans les jardins de Versailles, ou sur une toile Jouy « Le char de l'aurore » qui orna des salons d'apparat. Pourquoi réapparaît-il si tardivement, et transfiguré : devenu chef glorieux, alors que les texte romains en faisaient La Bête terrassée par l'aigle romaine, et ce bien avant que Napoléon lui demande de l'aide d'outre-tombe pour ses campagnes d'Italie... Et le voici chez Grabbe en héros politique et romantique. … Et le voici parce que Bonnaffé l'interprète chargé inconsciemment des personnages passés que le comédiens a joués.



Faut-il relire Tite-Live ? Faut-il lire ce qu'en pense le comédien (site de la compagnie Faisan) ?

dimanche 22 septembre 2013

Hannibal de Grabbe avec J. Bonnaffé


HANNIBAL


 
Le théâtre de Gennevilliers propose actuellement une pièce d'un auteur allemand Grabbe ; mise en scène par B. Sobel avec J . Bonnaffé dans le rôle titre : Hannibal.
Étrange pièce que cette pièce, d'un auteur allemand du début du XIXème siècle, mais qui nous surprend à peine, nous les spectateurs du début du XXIème siècle. Le théâtre de la fin du siècle dernier nous a habitués aux raccourcis, aux ellipses. Nous pensons inévitablement à Brecht ou à Piscator. Les scènes se succèdent dans des lieux et dans des temps éloignés. Pas question de ces lourdes tragédies empesées qui avaient fait la gloire du XVIIème ou des opéras de marbre inspirés de l'Antique. Le texte est moderne et semble avoir été écrit il y quelques années à peine. Pas d'histoire suivie, mais des coups de projecteur sur des temps forts. Pas la guerre ou les textes traduits pendant une scolarité humaniste, mais des scènes de la vie quotidienne, ou des scènes que l'histoire a préféré oublier, parce qu'elles révèlent trop la faiblesse humaine. Une scène d'amour pour évoquer en filigrane la guerre qui commence en Italie, une répétition d'atelane, pour confronter Hannibal à la mort d'un proche et à la fourberie des Romains...
Une succession de scènes donc où chaque comédien trouve son morceau de bravoure, son instant de gloire.
La scénographie s'articule autour d'un immense escalier qui occupe tout le plateau. Les personnages en descendent vers le public, comme si venant de l'Histoire avec un H Majuscule, ils plongeaient vers leur intime, vers leur nature profonde, dans un tréfonds où tout peut être dit.
Les différents éléments qui complètent cet escalier sont disposés et retirés à vue, parfois avec un jeu.
Les personnages représentent une jolie palette de ce que la politique et l'univers rassemblent dans tous les temps et tous les pays. La plus surprenant est le personnage d'Hannibal. Nous sommes très éloignés du foudre de guerre des textes latins, celui qui faisaient trembler d'horreur les Romaines, un Hitler de version latine, que le Moyen Age n'a pourtant pas retenu au titre des preux. Nous sommes très loin aussi du héros glorieux des jardins de Versailles ou de celui du Louvre que Girardon faisait copier à ses élèves. C'est une des particularités des pièces de Grabbe. Il prend le parti de représenter des héros dans leur faiblesse, dans leur retour à l'humanité après la gloire, dans leur existence profonde, la seule véritable, ainsi le Napoléon des 100 jours, l'Hermann de la soumission à Rome ou Hannibal déjà perdu avant d'être parvenu à Rome. Il bouleverse la chronologie pour en extraire les temps où les héros se fissurent, où ils sont atteints dans leur chair, leur sentiments, leurs doutes, leurs espoirs.
J. Bonnaffé prête son corps de danseur autant que de comédien à Hannibal, lui conférant une humanité et une félinité de fauve africain qui manque au hiératique personnage de Girardon. Il est vraisemblablement le seul comédien actuel capable de dire sur le même souffle, la même respiration, une intention (je vole le mot à Rauck) et son contraire. Il y a de l'abandon dans sa force et une reprise d'autorité dans sa faiblesse. Sa main droite dans la dernière scène a une force d'expression qui vaut à elle seule d'assister à la représentation.