Une nouvelle carte ? Quelle
nouvelle carte. Quand j'ai réservé ma place en septembre, il faut
toujours réserver sa place très tôt pour une intervention
culinaire de Julie Rothhahn, je ne m'étais encore posée aucune
question. Ses interventions font partie des « inclassables «
proposés par le Manège, cela n'empêche que les places disponibles
sont immédiatement prises d'assaut. Un pari, dont on est
pratiquement certain de sortir enrichi. (voir à ce sujet un
article paru il y a presque un an : Empreintes une performance
du public). Il faut dire que la
jauge est toujours relativement petite.
Deux
mois pour se forger une idée, parce que la perspective du spectacle
intrigue, tout en vous laissant la certitude que vous ne trouverez
pas.
Une
nouvelle carte ? Une carte de géographie ? Une carte de
restaurant.
L'attente
se fait dans le hall du Manège, mais la soirée se déroule dans le
cirque. L'ordre de départ est donné, on se rend en file indienne
dans l'autre bâtiment. Entrée sage, dans une profonde pénombre. On
devine vaguement des formes.... Nous occupons des gradins hauts du
cirque sur un demi-cercle environ. Des sons, des musiques, de la
lumière, de la fumée... sur la piste se dessinent des zones au
milieu du brouillard.... Nouvelle carte : des continents à
explorer. Nouvelle carte : à explorer gustativement. Coup d’œil
au programme,c 'est l'incomparable Pascal Ferrat qui a participé au
projet avec ses élèves du lycée hôtelier. Lui à qui il suffit de
dire impensable ou irréalisable pour qu'il dise « pari tenu »
a dû s'en donner à cœur joie.
Nous
descendons sur la piste devenue territoire à dévorer. Un continent
« cumulus » où l'on se munit d'une carte accrochée à
un ballon blanc et l'on part en nuage ? En ballon pour cinq
semaines de découverte... La carte est tamponnée à chaque escale.
Visa d'un « exploit ».
Me
revoici plongée dans mes questionnement sur « manger »
et sur sa représentation. On me demande de manger et c'est le propos
essentiel de cette intervention. Un rapide tour de l'univers et je
m'organise en exploratrice rationnelle. Je vais voyager du salé au
sucré... A chaque escale de mon vol,je mange quelque chose. Je ne
vous livrerai pas tous les secrets qu'un habitant (élève des
classes supérieure du lycée) vous dévoile avant de vous servir.
Me
voici vraiment en plein au centre des interrogations qui m'agitent.
Je mesure combien mon passage par « les arts du goûts »
et ma réflexion actuelle me facilitent l'accès aux tables. Autour
de moi des gens regardent avec suspicion, reniflent de loin, reculent
devant un aspect … Le voyage est autant la visite d'un nouvel
univers qu'un voyage en soi, à la limite de ses habitudes et de sa
capacité à affronter l'étrange. On dévore les feuilles d'une
forêt, on gobe des méduses, on nage dans un bouillon bleu
effervescent, on se brûle à des nuages épicés, on suce la
banquise, on plonge dans des œufs végétaux, on puise la lave
blanche et parfumée des volcans, on colorie une mappemonde.
Une
fois que l'on a mis le produit dans sa bouche, passant outre l'aspect
dérangeant de la première impression, le goût revient et l'on peut
expérimenter la texture qui a troublé notre approche.
Chacun
part sur son propre circuit, les rencontres se font éphémères et
superficielles, sur les premières impressions, c'est avant tout un
parcours solitaire de naufragé volontaire. Après un abord aux
continents éclairés, on se réfugie dans la pénombre pour être
avec sa sensation qui ne peut être celle des autres et que les mots
ne sauraient transmettre.
Il m'a
manqué un peu de texte, un cheminement un peu plus narratif. C'est
mon côté théâtreuse...
Il est
vrai que cela aurait obligé à une extériorisation qui n'avais pas
sa place ici.
La
faim et la curiosité satisfaites, on se demande déjà ce que Julie
Rothhahn pourra trouver l'an prochain...
Manger
est un art, un art qui se partage, mais contrairement aux autres
arts, il se partage de l'intérieur.