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mardi 4 septembre 2018

"les vieilles carrettes" Jacques Bonnaffé


Un homme, sans âge, tirant une vieille « voiture à bras », lourde d'un passé qui le résume et qu'il a un peu peur d'exhumer, malgré l'envie qu'il affiche de la fouiller avec le public. Il a tout perdu. Autrefois, avec d'autres à la limite de l'étrangeté, de la différence,  il était forain, marchand de contes, d'histoires, de mots (les siens et ceux des autres). Cela, c'était avant la grande catastrophe qui l'a mis sur la route avec son maigre bagage, ramassis hétéroclite de vêtements, de déguisements, de musique, de souvenirs qu'il inventorie avec les spectateurs, luttant contre la fatalité et la malchance. Alors resurgissent ses souvenirs : le Nord, sa langue, ses carnavals, ses bandes, ses héros du quotidien, la vie de caravane avec les autres forains montreurs de curiosités... Il convoque tous ceux qui ont contribué à son histoire, les confondant au hasard de leur surgissement : Arthur Rimbaud, Jules Mousseron, Jacques Darras, Lucien Suel, Charles Aznavour, Raoul de Godsvarvelde, Dominique Sampiero, Jean-Pierre Verheggen.  Il explique, joue de la dérision, commente devant un public complice, traduit quelques mots, entre rire et émotion, pousse une chanson reprise en choeur par la salle, souffle quelques notes qui trouvent un écho. Il se souvient d'amis avec des accents différents et des contes orientaux s'invitent dans le ciel du Nord, avec une parenté gouailleuse.  Encore et encore il marche * à la musique de la carriole qui le suit, comme un Gille au rythme de son apertintaille, dans la même résignation. C'est drôle, émouvant, nostalgique sans sensiblerie. 




On ne peut s'empêcher d'établir une corrélation entre ce personnage de fiction et l'interprète. Pour ceux qui n'ont pas eu la chance de voir les spectacles précédents de Jacques Bonnaffé, il y a dans ces « vieilles carrettes » un échantillon de ce qui a fait sa marque de fabrique et ses succès.




* au festival de Vassivière : Paroles de Conteurs, l’exiguïté du plateau accentuait encore l'impression de fauve en cage, de prisonnier du destin.