Un homme, sans âge,
tirant une vieille « voiture à bras », lourde d'un passé
qui le résume et qu'il a un peu peur d'exhumer, malgré l'envie
qu'il affiche de la fouiller avec le public. Il a tout perdu.
Autrefois, avec d'autres à la limite de l'étrangeté, de la
différence, il était forain, marchand de contes, d'histoires,
de mots (les siens et ceux des autres). Cela, c'était avant la
grande catastrophe qui l'a mis sur la route avec son maigre bagage,
ramassis hétéroclite de vêtements, de déguisements, de musique,
de souvenirs qu'il inventorie avec les spectateurs, luttant contre la
fatalité et la malchance. Alors resurgissent ses souvenirs : le
Nord, sa langue, ses carnavals, ses bandes, ses héros du quotidien,
la vie de caravane avec les autres forains montreurs de curiosités...
Il convoque tous ceux qui ont contribué à son histoire, les
confondant au hasard de leur surgissement : Arthur Rimbaud,
Jules Mousseron, Jacques Darras, Lucien Suel, Charles Aznavour, Raoul
de Godsvarvelde, Dominique Sampiero, Jean-Pierre Verheggen. Il
explique, joue de la dérision, commente devant un public complice,
traduit quelques mots, entre rire et émotion, pousse une chanson
reprise en choeur par la salle, souffle quelques notes qui trouvent
un écho. Il se souvient d'amis avec des accents différents et des contes orientaux s'invitent dans le ciel du Nord, avec une parenté gouailleuse. Encore et encore il marche * à la musique de la carriole qui le suit,
comme un Gille au rythme de son apertintaille, dans la même
résignation. C'est drôle, émouvant, nostalgique sans sensiblerie.
* au festival de
Vassivière : Paroles de Conteurs, l’exiguïté du plateau
accentuait encore l'impression de fauve en cage, de prisonnier du
destin.