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lundi 27 octobre 2014

manger 6


Je poursuis ma rumination sur « manger ».

Dans quelles pièces ai-je vu des gens manger ?

Le festin est très fréquent dans les opérettes et les opéras-bouffes. Je tiens tout de suite à préciser que je renie totalement la période de ma vie où je les fréquentais assidûment.

Me reste d'avoir découvert Offenbach. Un grand maître de la dérision et peut-être plus engagé politiquement que beaucoup d'humoristes d'aujourd'hui. Dans beaucoup d’œuvres de la fin du XIXème siècle, le repas est une des étapes obligées de l'opérette et de l'opéra. Du « libiamo » de la Traviata à l'acte dans la taverne de Carmen. Peut-être une façon de canaliser les choeurs vers un jeu plus facile dans une période où la mise en scène n'existe pas. Peut-être un beau morceau de bravoure pour les compositeurs ou les librettistes.

Alors je me remémore quelques repas : le repas de noce de la Perichole, un repas dans les Mousquetaires au couvent, une scène dans la Vie parisienne, oui je suis beaucoup chez Offenbach (il y a aussi Varney). Mais il faut croire que Offenbach avait, avec ses complices, une obsession de la nourriture (il a écrit un hymne au jambon de Bayonne et un autre aux côtelettes).

Pourtant tous ces repas parlent plus de la boisson que de la viandes (pour utiliser un mot du moyen âge) : « ah quel repas j'ai fait, j'en demeure stupéfait, j'ai vu troupe respectable défiler sur ma tables les meilleurs vins des plus grands crus ». «Ce que je ne m’explique guère c'est pourquoi l'on boit à Paris le mauvais vin dans des grands verres et le bon dans des petits ». « Ah ! quel dîner, je viens de faire !Et quel vin extraordinaire !J’en ai tant bu… mais tant et tant, que je crois bien que maintenant
Je suis un peu grise… » « Pour avoir bien bu, j’ai bien bu…Faut maintenant payer mon dû,Faut se marier, et, ma foi,ne sais à qui, ne sais à quoi ! » On l'a compris il s'agit surtout d'évoquer la griserie associée à l'époque à la notion de fête.
Tout cela ne nous mène guère vers mon ancienne idée de cannibalisme ..
Il y a bien le cadeau offert par Monsieur Jourdain à sa belle marquise. (peut-on imaginer qu'elle mange plus que les plats qu'on lui sert et qu'elle est en train de se nourrir du bourgeois naïf ? ) ou encore le repas d'anniversaire dans Festen, où chacun semble dévorer l'autre au nom des souvenirs qu'il ne faut pas avouer, mais que chacun remâche depuis toujours.... Alors cannibalisme au second degré ?

mercredi 22 octobre 2014

manger 5

Suite de ma rumination.
Il semblerait que je ne sois pas la seule à m'interroger sur "manger".
Outre Sweeney  Todd qui devrait être joué sur plusieurs scènes françaises et qui est à la base de ma réflexion : "comment théâtraliser le ressenti d'adolescents sur cette farce autour de la comédie musicale ? , j'ai découvert ce week-end que le festival de théâtre du Val de Marne (Les théâtrales Charles Dullin) va proposer deux créations sur un thème assez similaire.
Tout d'abord "Mangez-le si vous voulez", ou comment parler d'un meurtre dans une cuisine ...
Ensuite "Modeste proposition", le comédien reçoit les spectateurs dans une boucherie, entre performance et texte. Pourront-ils manger ce qu'il leur a concocté à partir du pamphlet de Jonathan Swift (le papa de Gulliver) : Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres d'être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public.
Décidément le cannibalisme fait recette en 2014...
Peut-on encore regarder son hamburger dans les blanc des oignons ?

je suis le vent critique


Vue il y a quelques jours, cette pièce de Jon Fosse Je suis le vent raconte de façon indirecte et détournée un drame en mer... avec des personnages déconstruits, sans passé, sans histoire, sans état civil. Pourquoi se sont-ils rencontrés et comment, cela n'apparaît pas. Ils existent dans l'instant de leur parole uniquement, et encore ils n'en sont pas certains. Leur paroles cherchent toujours à trouver une vérité qui leur échappe, vérité des événements, vérité leurs sensations, de leur identité. La résolution de leur interrogation se fait grâce à une révélation qui était présente en filigrane dans les premiers échanges de la pièce et qui deviennent lumineux dans la noirceur des derniers échanges. (peut-être un petit coup d'éclairs de ténèbres – un jour, j'expliquerai ce nom). Nous sommes dans une pièce très caractéristique de l'écriture de Jon Fosse et de beaucoup d'auteurs contemporains. (je vous renvoie à des essais de Jean-Pierre Ryngaert et Joseph Danan).

Le dialogue entre les personnages repose sur un système de questions répétées, d'assertions, contredites par le personnage lui-même, puis reprises et auquelles l'interlocuteur (mais le mot convient-il) répond toujours par un acquiescement. Et là commence un des problèmes de la version vue il y a quelques jours. Le texte surabonde de « oui », approbation d'une affirmation de l'autre, auto-confirmation d'un raisonnement, d'une pensée qui se cherche. On les a tous très bien entendus, tant ils étaient tapés, accentués au détriment du reste du texte, peut-être poétique... Ce martèlement des « oui » gommait toute intention, et les autres mots sonnaient faux, dépourvus d'intention. Le jeu proprement dit s'en trouvait décharné. Je sais qu'il ne faut pas attendre un théâtre classique quand on va voir du Jon Fosse, c'est pour cela, en partie, qu'il est un de mes auteurs préférés. Mais...entendre des comédiens qui parlent faux est un supplice. Quant au jeu, il s'agissait vraiment d'un jeu, destiné à masquer une carence de mise en scène. J'ai déjà eu l'occasion de parler d'un jeu qui repose sur une action sur une structure, une installation. (voir dans les articles de mai), mais dans cette pièce le jeu sur une structure n'apporte rien. Elle tient de la performance pure et existe en parallèle à la pièce. A la limite, on pourrait croire que la performance est interrompue par la pièce. Les 2 comédiens déplacent de grosses caisses en plastiques (casiers de pêche ou gigantesques lego) qui forment une sorte de pont de navire, puis un énorme cube, puis des colonnes, puis un escalier qui mène au sacrifice. Ce jeu disparaît à quelques moments : quand les personnages partagent une bouteille (on repasse en jeu hyper-réaliste) quand ils mangent (on ne voit plus les comédiens partis derrière le cube- mais on entend les bruits traditionnels d'un repas), quand il y a une tempête (une soufflerie apparaît sur scène). Il me semble qu'il s'agit plus d'une agitation que d'une action...et qu'elle nuit au mouvement du texte.

Dans la salle, le public réagit étrangement. Nous sommes très peu nombreux, une cinquantaine, vraisemblablement moins. L'attente qui précède le début du spectacle se fait à voix feutrées, tout résonne dans la salle vide. La scène ouverte laisse voir la scénographie, et comme l'attente est longue les esprits ont déjà bien échafaudé des pistes de lecture. TEtonnamment, la pièce commence dans la quasi obscurité sur le plateau, rejetant le public. C'est d'ailleurs ce qui m'a frappée le plus, les manifestations de la salle. Pendant les premières minutes, un antagonisme violent se met en place. Il y a ceux qui sont sur scène et ceux qui sont dans la salle. Entre eux, la haine et la tension qui précède le choc de deux bandes dans un quartier difficile. Après avoir entendu les premiers mots sur le plateau, la salle s'écoute elle, le moindre bruit (chute d'un programme, éternuement, toux, conversation furtive) est une attente d'un mouvement plus ample et plus belliqueux qui se tournera vers la scène. Elle cherche à savoir jusqu'à quel point elle est « une ». Trop sage, elle se replie dans la léthargie. Une seule tentative, presque suivie : un spectateur lance à un moment où les comédiens sont cachés derrière un énorme monolithe de caisses bleu marine «  si on profitait qu'ils sont planqués pour se casser ? ». Amorce de départ de ses voisins, espoir des plus éloignés rendus à la vie par le mouvement libérateur qui point. Retour des comédiens, déception, engourdissement.

Heureusement il n'y a pas eu de rappel. Je n'ai pas retenu le nom du metteur en scène, ni des comédiens, était-ce utile ?

mercredi 15 octobre 2014

manger 4


Suite de manger. J'avais cherché vers l'art mais j'ai à nouveau oublié de garder mes deux pieds dans la réalité. L'art aujourd'hui divise les populations plus radicalement que les niveaux sociaux. Souvenir à nouveau de la horde de gueux, qui ne manquaient pas d'argent et d'un homme croisé il y a quelques années aux Resto du cœur et qui demandait à échanger ses portions contre une place de théâtre. Nous revenons à l'idée que l'art de manger tient moins à ce qui est mangé qu'à la ffaçon dont on le mange.

Quel est aujourd'hui le spectacle de la nourriture pour le quidam ? Il faut exclure les banquets littéraires ou poétiques, de moins en moins nombreux et où la nourriture est un catalyseur e l'unité du public, un moyen de favoriser l'écoute et la disponibilité poétique.

Pour la plupart des spectateurs, l'image du spectacle de la nourriture est celle véhiculée par la télévision, c'est à dire les différents monster chief ou le meilleur charcutier, héros de la chiffonnade culturelle. Le spectacle du « manger » est celui de la préparation médiatisée, avec une exhibition des sentiments et des sensations directes, primaires, immédiates. On se retrouve dans le domaine de la performance, de la mise en lumière de l'échec et de la réussite. L'échec aboutissant souvent à la mort télévisuelle du perdant. Le jeu sous-entend une forme de cannibalisme.

Je vais peut-être pour cet exercice scolaire de représentation de la nourriture et de l'acte de manger partir sur un jeu autour du cannibalisme. A voir...

lundi 13 octobre 2014

Manger 3

Je poursuis ma rumination. Est-ce aussi manger ? Il me faudrait l'avis d'un zoologue : ruminer est-il digérer ou au contraire manger ? De toute façon, je suis en train de nourrir ma pensée...
La Cène .... Est-ce la scène par excellence ? Dans ce cas, il faut regarder manger et l'art est à ce moment-là ....Se nourrit-on de voir les autres manger ?
Abandon provisoire, je pars manger en poésie...

dimanche 12 octobre 2014

manger 2

Suite de l'article publié hier, avancée sur ma réflexion ou recul ....


Les repas spectacle donnés par Louis XIV à sa cour. Voir manger le roi... comme les performances aujourd'hui qui englobent le public dans la sphère du jouer... Louis XIV était-il un performer ?
Quid de Grimod de la Reynière ?
Envoyer le regard en arrière ? Faut-il regarder qui mange .... La curée ou le repas de la meute à Cheverny... Bonsoir capitaine Haddock.

vendredi 10 octobre 2014

Manger est-il un art ?


Une question, pas une réponse, une rumination qui sert à une recherche qu'on me demande autour du théâtre et de la nourriture, à propos d'une comédie musicale : Sweeney Todd, le barbier, ancêtre de Jack L'éventreur, a trouvé un moyen idéal de se débarrasser des personnes qui disparaissent dans sa rue, tout en faisant des bénéfices. Un peu comme la « grand-mère » de François Morel qui a consommé son mariage avec « pépé ».



En amont aussi se trouve mon travail dans une compagnie médiévale, plus proche de la horde, et qui m'a conduite sur les traces des queux des grands seigneurs... Un univers où cuisine et alchimie se côtoyaient sans vergogne , comme dans les laboratoires contemporains des cuisiniers aux plats moléculaires... et qui proposaient une nourriture autant pour le corps que pour l'immatériel.



Il me faudra présenter une scène de 15 mn autour du sujet. Je n'ai jamais vraiment participé à un banquet théâtral et je ne crois pas que ce soit la solution, trop attendu et beaucoup trop difficile à monter. Autre chose ? Encore trop tôt...



Mais la question : manger est-il un art ?

J'ai assisté il y a quelques années à un débat philosophique sur le thème. J'étais restée sur ma faim... Seule la notion d'esthétique au moment de la préparation et du service avait été abordée. Il me semble qu'on avait parlé davantage de cuisiner que de manger.

Se nourrir est indubitablement un art dans la mesure où elle s'adresse à l'un de nos sens, comme la musique ou la peinture s'adresse à un sens. Et il devrait y avoir un jumeau au verbe manger (déguster pourrait peut-être aller) comme il y a voir et regarder, entendre et écouter.

Reste à savoir comment nous abordons cet art spécifique.

Difficile dans le cas de Sweeney Todd d'expliquer anthropophagie comme un art, même si on trouve ce thème dans d'autres pièces de théâtre : la cuisse du steward de Ribes ou Miam-miam de Jacques Deval.

Difficile aussi de parler d'art devant un sandwich de gare ou de supermarché. Mais certains plats ou certains repas nous laissent un ravissement Un potjevlesch à l'embarcadère d'Herfaut, une saucisse à la bière à Munich , une cacasse à cul nul à l'orée d'une forêt ardennaise autant que tel soufflé de topinambour à la crème d'ail et aux escargots... ou tout autre qui vous plaira... Une poésie en alexandrins ou un poème en vers libres...Il y a synesthésie. L'art de manger est peut-être davantage dans la façon dont on aborde le plat que dans ce qui le constitue, dans l'ésotérisme, les symboles et l'inconscient qui se mettent en place pendant la mastication...

Retour à mes bâfreurs médiévaux qui croyaient que mordre à pleines dents dans des épaules de moutons ou ingurgiter des merguez piquées sur des tiges de métal à forme d'épées était historique.. et méprisaient de goûter du bout des doigts des morceaux de poulet accompagnés d'une sauce à la sauge...Une de leur grandes inventions : le tranche-cul : du pain de campagne et deux lamelles de reblochon (pour faire des fesses..) C'est moyen-âgeux... (mot employé volontairement). L'art de manger ?

Je remâche ma question … Il faut trouver un projet pour la scène à partir de Sweeney Todd...