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jeudi 16 juillet 2015

36 nulles de salon au Théâtre du Rond Point






Voilà, ça y est, oui, maintenant c'est vrai. Ils sont arrivés à Paris. Au Rond-Point !
J'ai déjà écrit plusieurs articles sur ce spectacle :
un de mars 2014  et un autre de juin 2014  (à consulter dans les archives du blog)
Les critiques connus de magazines qui le sont encore plus vont découvrir et donner leur avis...
Relisez les miens qui datent un peu, mais sont toujours d'actualité.
Allez voir surtout.



vendredi 19 décembre 2014

Chassez le naturel critique complètée


Chassez le naturel. J'ai déjà évoqué dans un article précédent les différentes versions vues de ce spectacle. Il reste en images subliminales des traces des anciennes versions qui viennent influencer les nouvelles propositions, telle cette envolée de manteau au-dessus de la scène d'Alloue ou cette rencontre entre deux explorateurs (à peine esquissée dans la nouvelle version) qui contrastait avec ce qui précédait par le ton très mondain que prenait la conversation....

1 an et demi sépare les deux dernières représentations. Des glissements, des nuances, il y en a, certes (notamment au niveau du dialogue imaginaire avec Rousseau) mais finalement moins que je ne pouvais l'attendre. La pièce a moins évolué pendant cet endormissement qu'entre les deux versions données au Théâtre de la Bastille. Il faut reconnaître que tout fonctionne bien. Il y a le juste dosage entre le texte / les textes philosophique(s), la part d'humour, de danse, et celle d'émotion.

On retrouve les deux parties distinctes entre la nature selon la pensée du XVIIIème siècle, notamment Rousseau, et l'argumentation contemporaine de Bailly. Un transfert subtil se fait entre la nature source de vérité et origine parfaite de l'humanité et la destruction opérée par l'homme sur le monde qui l'entoure et notamment les animaux (les seuls animaux présents sont des chouettes, par le bruit et des gibiers de chasse en forêt sous forme de silhouettes peintes en noir). Le texte sur le brontosaure achève cette affirmation que l'homme est le seul monstre encore présent, capable de détruire. Il y a un parallèle entre le côté prédateur de l'être humain et son goût pour la guerre.

Le texte est dense, parfois difficile. Jacques Bonnaffé joue alors de ruse pour le faire passer : exercice de respiration sur un texte de Rousseau, pseudo- cours de philosophie (avec commentaires critiques), clins d’œil à l'actualité avec des petits coups de griffes, l'air de rien. Le public suit, complice.

Ce qui fait la plus grande force de ce spectacle, c'est l’alliance de la danse et du texte, c'est la répartition entre les deux acteurs-danseurs. Chacun est à la fois danseur et acteur. L'essoufflement de Jacques Bonnaffé influe sur sa diction, et, à d'autres moments, sa diction suppose l'adaptation du mouvement. Le rythme vient du martèlement des pieds, du claquement des mains, des déplacements ou des arrêts. Quant à la danse, elle ne cherche jamais vraiment à se faire imitative ou narrative. Elle va dans l'étrangeté, dans ce que les « animaux ont de différent avec nous ». Les personnages présents sur scène ne sont à aucun moment des simulacre de singes, mais des êtres qui jouent sur l'impossibilité de les classer. Des formes surgissent entre l'animal et l'humain, distordues, à la limite du déséquilibre, ou n'existant que par une partie de leur corps. Les mouvements sont très calculés et ajoutent à l'humour par leur soudain décalage ou leur adresse au public.

Quand le danseur, Jonas Chéreau, semblant vivre en accéléré l'évolution de Darwin, passe de cris inarticulés à une parole construite et raisonnée, sa voix reste dans une neutralité d'observation 'de laboratoire.

Si le discours est très scientifique et très érudit (citation en grec ancien), les costumes et les accessoires sont burlesques et valent surtout pour la dérision qu'ils proposent. Comment peut-on prendre au sérieux des clowns ? Et pourtant. Il est vite évident qu'il s'agit d'une forme de détournement pour nous conduire à nous poser la vraie question de la place de l'animal dans le monde et de la place de l'homme dans la société.

La pièce va connaître à nouveau quelques dates qu'il ne faut absolument pas laisser passer.

lundi 15 décembre 2014

Hotel modern : la grande guerre - critique


Hotel modern est une compagnie qui s'est spécialisée dans le théâtre d'objets. Elle a connu un succès mérité, il y a quelques années, avec « la grande guerre ».

De nombreuses traces persistaient sur Internet et j'avais étudié le pièce (à partir d'archives) avec David Lescot, spécialiste du théâtre de la guerre. Inutile donc de vous dire la joie que j'ai éprouvée, en avril quand j'ai appris que Hotel modern interviendrait pour deux représentations à Reims, dans le cadre des cérémonies de commémoration. Un collègue très branché « centenaires » m'a rejointe.



Enfin, voir en vrai ce que je ne connaissais que par photographies ou micro-enregistrement. Pas trop loin de la scène : je veux voir le résultat, mais je veux aussi comprendre les moyens. Surprise : le texte lu en direct est en français. Ils sont 4 sur le plateau. 3 qui se partagent la lecture et les manipulations, un 4ème qui assure les bruitages. Les textes ne diffèrent guère de ceux qu'on entend d'habitude. L'intérêt vient des moyens rudimentaires mis en œuvre pour recréer les tranchées, les villages en feu, les bombardements, les destructions, la mort, la boue, la putréfaction. Tout est filmé en direct par les manipulateurs et projeté sur un écran qui occupe le fond de scène. Les mains apparaissent parfois comme des personnages à par entière au milieu des figurines, sans créer un sentiment de gêne. La manipulation se fait « à vue ». La projection alterne couleurs et noir et blanc, pour donner un point de vue ou un autre. Je regarde à peu près autant l'écran que les objets ou les mouvements des interprètes. Le décalage entre ce qui est utilisé et ce qui est produit me fascine, rendant plus puissant l'effet obtenu. Cela fourmille d'imagination, de créativité, d'observation, de recherche. A la fin on nous invite à venir sur le plateau pour une meilleure prise de conscience du travail. On peut même parler avec les manipulateurs ou s'exercer à un mouvement des figurines.

Quand nous sortons, mon collègue me dit « je ne suis jamais rentré dans un spectacle au théâtre. »

Moi je n'y suis rentrée que dans la mesure où j'ai joué le jeu du « je sais que ce n'est pas vrai, mais faites comme si... Faites moi croire que vous croyez que je suis dupe... » J'ai regardé le travail d'artiste, mon collègue a regardé l'écran. IL n'a pas assisté à un théâtre d'objets, il a suivi un film d'animation. Nous avons vu deux représentations différentes. En tant que spectateur de cinéma (d'animation), il a été happé par l'image de l'écran, en tant que spectatrice consciente, je suis restée en partir extérieure. La présente de l'écran a créé une part de distanciation qui m'a mise en position critique. J'ai admiré le travail élaboré et mon esprit aiguisé par la nécessité d'aller au-delà m'a conduite à penser « ah oui, c'était cela. Ils ont bien retrouvé comment me le faire éprouver », sans me laisser piéger par l'image conventionnelle finalement, très apparentée à un documentaire comme on en voit beaucoup.

Qui de nous deux était sur le bon parcours ? Il reste vrai que ce spectacle qui ne se jouera très peu en France est à ne manquer sous aucun prétexte....

lundi 8 décembre 2014

les fourberies de Scapin , de Molière, vues par Jean Sclavis et Emilie Valantin


Il y avait trop peu de monde ce soir à la représentation. Une salle de confidence. Le spectacle en eut encore plus de valeur, valeur de cadeau. Et ce sentiment d'être des privilégiés. Les Fourberies de Scapin. Encore ! Il y avait longtemps que je n'avais pas regardé les fourberies. Je connais la pièce par cœur, j'ai dû en monter quelques scènes, toujours les mêmes, elles rassurent les responsables de structures accueillant des enfants et des adolescents. Je m'ennuie aux fourberies. Si une fois une bonne surprise, il y a vingt ans de cela. La première scène était hilarante, impression vite déçue, le jeu des comédiens n'étaient pas travaillé, ils jouaient vraiment faux et la suite fut un long calvaire.... J'ai subi les fourberies à toutes les sauces : western, cirque, en costume façon banlieue, en copie d'époque, souvent avec des grands noms. Et aujourd'hui, je redécouvre ce que ce classique a de drôle et d'éternel. Il est tout seul, pendant plus d'une heure. Qui, Scapin, Jean Sclavis (le frère de Louis?). Il est à lui seul tous les personnages et leur interlocuteur. Les autres ? Des marionnettes. 1,30 m, presque des adultes, qui marchent, qui ont des mouvements d'humain, des expressions. On se prend parfois à les voir respirer ; Je n'avais qu'une fois cette sensation, à Salzbourg, pendant une représentation de la Flûte enchantée.... Il y a une telle osmose entre les marionnettes et le comédien que notre imagination refuse de n'y voir que des pantins. Jean Sclavis fait toutes les voix en direct. Chaque personnage a ses intonations, sa tessiture, son accent, son passé. Hyacinthe chante même comme un personnage de l'opéra baroque. Souvent le comédien utilise d'un jeu de scène, de position pour dissimuler son articulation à la place d'un personnage. Les entrées et les sorties de scène sont celles des marionnettes et modifient celles du manipulateur (au double sens) puisque Jean Sclavis et Scapin sont ceux qui tirent les ficelles.

L'interprétation au niveau du décor, le port de Naples,( on voit le Vésuve qui fume au loin) permet de gérer les personnages quand ils sont nombreux. Les scènes finales qui regroupent l'ensemble des personnages sont remarquables au niveau esthétique.

Si le jeu du comédien est extraordinaire que dire des marionnettes ? Elles sont à la fois très réalistes et suffisamment caricaturales pour ne pas devenir, malgré la vie qui émane d'elles, des humains. La créatrice Emilie Valantin a eu le génie de faire pour chaque personnage un visage qui exprime tous les sentiments que le personnage est censé éprouver, une modification de position du visage ou un éclairage différent orientent vers une intention ou une autre.

C'est un spectacle magnifique.

Je vous conseille un passage sur le site de la compagnie....

compagnie Emilie Valantin...

vendredi 5 décembre 2014

Chassez le naturel critique


Une chance pour ceux qui ne l'ont pas vu les années passées : Le théâtre des quartiers d'Ivry programme du 11 au 13 décembre, une reprise de « Chassez le naturel » ;

J'ai eu l'occasion de suivre l'évolution de cette pièce et je me réjouis de voir ce qu'elle est devenue après un repos assez long. La première découverte fut une lecture mise en espace au festival d'Alloue de l'opuscule de J.C Bailly, puis une version associant la danse et le texte « Nature aime à se cacher » au théâtre de la Bastille – allusion à une citation du philosophe grec Héraclite, enfin une dernière version, à nouveau au théâtre de la Bastille « Chasser le naturel ». La dernière version en date, celle qui sera présentée le week-end prochain, me semble la plus intéressante, la plus aboutie et la plus ouverte. Elle s'est enrichie de textes d'autres auteurs que Bailly, notamment des textes de Rousseau, et de poètes contemporains. La première partie est issue d'un travail mené par Jacques Bonnaffé dans le cadre des commémorations de Rousseau. On sait combien la nature avait d'importance pour ce philosophe des lumières. La seconde reste le texte de Bailly. Les textes trouvent une cohérence qui les fait résonner.
Le thème de base est la place des animaux dans le monde, dans la société, de ce que nous faisons d'eux, de notre besoin de les assimiler, notamment les singes, à nous dans leur comportement. Comment nous en sommes arrivés à réduire à notre vision, alors que les animaux valent surtout par les différences qui existent entre eux et nous. Je schématise à l'extrême la pensée de Bailly.
La danse ne vient donc pas doubler le texte mais crée une propre partition, ou cacher et montrer se confrontent.

Si dans le début, on distingue bien le dialogue comédien/danseur, la suite confond les deux interprètes en dansant parleur et parleur dansant. Il y a autant à voir qu'à entendre, entendre en texte et entendre en sons, en rythmes. Je garde le souvenir de passages très drôles, très iconoclastes, d'autres plus sensibles....

Bref je serai dans la salle jeudi pour cette reprise, avec bonheur.


vendredi 7 novembre 2014

Je suis le vent de Jon Fosse suite

Je viens de me procurer le texte de la pièce.
Didascalie préliminaire :
" Je suis le vent    se joue sur un bateau imaginaire et à peine suggéré. Les actions sont également imaginaires et ne doivent pas être exécutées, mais suggérées."


Une base pour une réflexion plus documentée et plus nourrie sur ma déception lors de la représentation de cette pièce. A un moment où je me bats contre le rapport entre l'attente et le reçu au théâtre. Et sur les apriori qui faussent les jugements...
A bientôt donc.

mercredi 22 octobre 2014

je suis le vent critique


Vue il y a quelques jours, cette pièce de Jon Fosse Je suis le vent raconte de façon indirecte et détournée un drame en mer... avec des personnages déconstruits, sans passé, sans histoire, sans état civil. Pourquoi se sont-ils rencontrés et comment, cela n'apparaît pas. Ils existent dans l'instant de leur parole uniquement, et encore ils n'en sont pas certains. Leur paroles cherchent toujours à trouver une vérité qui leur échappe, vérité des événements, vérité leurs sensations, de leur identité. La résolution de leur interrogation se fait grâce à une révélation qui était présente en filigrane dans les premiers échanges de la pièce et qui deviennent lumineux dans la noirceur des derniers échanges. (peut-être un petit coup d'éclairs de ténèbres – un jour, j'expliquerai ce nom). Nous sommes dans une pièce très caractéristique de l'écriture de Jon Fosse et de beaucoup d'auteurs contemporains. (je vous renvoie à des essais de Jean-Pierre Ryngaert et Joseph Danan).

Le dialogue entre les personnages repose sur un système de questions répétées, d'assertions, contredites par le personnage lui-même, puis reprises et auquelles l'interlocuteur (mais le mot convient-il) répond toujours par un acquiescement. Et là commence un des problèmes de la version vue il y a quelques jours. Le texte surabonde de « oui », approbation d'une affirmation de l'autre, auto-confirmation d'un raisonnement, d'une pensée qui se cherche. On les a tous très bien entendus, tant ils étaient tapés, accentués au détriment du reste du texte, peut-être poétique... Ce martèlement des « oui » gommait toute intention, et les autres mots sonnaient faux, dépourvus d'intention. Le jeu proprement dit s'en trouvait décharné. Je sais qu'il ne faut pas attendre un théâtre classique quand on va voir du Jon Fosse, c'est pour cela, en partie, qu'il est un de mes auteurs préférés. Mais...entendre des comédiens qui parlent faux est un supplice. Quant au jeu, il s'agissait vraiment d'un jeu, destiné à masquer une carence de mise en scène. J'ai déjà eu l'occasion de parler d'un jeu qui repose sur une action sur une structure, une installation. (voir dans les articles de mai), mais dans cette pièce le jeu sur une structure n'apporte rien. Elle tient de la performance pure et existe en parallèle à la pièce. A la limite, on pourrait croire que la performance est interrompue par la pièce. Les 2 comédiens déplacent de grosses caisses en plastiques (casiers de pêche ou gigantesques lego) qui forment une sorte de pont de navire, puis un énorme cube, puis des colonnes, puis un escalier qui mène au sacrifice. Ce jeu disparaît à quelques moments : quand les personnages partagent une bouteille (on repasse en jeu hyper-réaliste) quand ils mangent (on ne voit plus les comédiens partis derrière le cube- mais on entend les bruits traditionnels d'un repas), quand il y a une tempête (une soufflerie apparaît sur scène). Il me semble qu'il s'agit plus d'une agitation que d'une action...et qu'elle nuit au mouvement du texte.

Dans la salle, le public réagit étrangement. Nous sommes très peu nombreux, une cinquantaine, vraisemblablement moins. L'attente qui précède le début du spectacle se fait à voix feutrées, tout résonne dans la salle vide. La scène ouverte laisse voir la scénographie, et comme l'attente est longue les esprits ont déjà bien échafaudé des pistes de lecture. TEtonnamment, la pièce commence dans la quasi obscurité sur le plateau, rejetant le public. C'est d'ailleurs ce qui m'a frappée le plus, les manifestations de la salle. Pendant les premières minutes, un antagonisme violent se met en place. Il y a ceux qui sont sur scène et ceux qui sont dans la salle. Entre eux, la haine et la tension qui précède le choc de deux bandes dans un quartier difficile. Après avoir entendu les premiers mots sur le plateau, la salle s'écoute elle, le moindre bruit (chute d'un programme, éternuement, toux, conversation furtive) est une attente d'un mouvement plus ample et plus belliqueux qui se tournera vers la scène. Elle cherche à savoir jusqu'à quel point elle est « une ». Trop sage, elle se replie dans la léthargie. Une seule tentative, presque suivie : un spectateur lance à un moment où les comédiens sont cachés derrière un énorme monolithe de caisses bleu marine «  si on profitait qu'ils sont planqués pour se casser ? ». Amorce de départ de ses voisins, espoir des plus éloignés rendus à la vie par le mouvement libérateur qui point. Retour des comédiens, déception, engourdissement.

Heureusement il n'y a pas eu de rappel. Je n'ai pas retenu le nom du metteur en scène, ni des comédiens, était-ce utile ?

vendredi 6 juin 2014

critique : 36 nulles de salon suite


Voici un nouvel avis qui fait suite et vient enrichir le précédent article critique, publié en mars, sur les “36 nulles de salon” de Daniel Cabanis.

Je suis allée voir la pièce une nouvelle fois, me demandant si les commentaires faits sur le blog étaient justifiés et si je m'étais trompée sur la qualité de ce que j'avais vu et entendu.

La pièce a été remaniée. Il y a eu des suppressions, des déplacements. Les “coutures” sont moins visibles, les séquences s'enchaînent beaucoup plus rapidement, parfois sans que la transition apparaisse. La durée a donc considérablement diminué. Les personnages ont été dirigé subtilement vers un aspect clownesque (accessoires). La mise en scène de certaines scènes a été modifiée (instauration d'un jeu au départ ou déplacement des comédiens sur l'avant-scène – “les soirées du mardi” ). Le plateau est plus grand et la structure laisse davantage de place au jeu. Cette structure continue à être modifiée après ce qui était “la phase d'aboutissement” dans la version précédente.




Dans la salle ce soir à Tours, le public a ri, applaudi. On sentait une belle complicité, non pas avec les personnages, mais avec les comédiens. Il n'y avait aucun doute sur la qualité du plaisir théâtral partagé. Le public n'avait pas vraisemblablement été prévenu comme M. Leguen que 95 % des critiques étaient mauvaises, il se fiait à son propre jugement et passait une soirée agréable, dans l'esprit de la devise de Jacques Bonnaffé : “élitaire et pomme de terre”.
Une remarque  sur la notion de comique et de tragique schématisée dans un commentaire de l'article précédent. Il s'agit d'un exemple pédagogique créé par un de mes professeurs de philosophie pour aider les élèves à appréhender la notion d'ironie, dans la pensée de Kierkegaard et par extension la notion d'ironie tragique. Des gens s'agitent autour d'un feu, il n'y a rien autour d'eux, leur agitation est dérisoire et décalée, c'est comique, mais s'ils se trouvent dans une pièce close, il s'agitent vainement puisqu'ils sont condamnés, c'est ironique. On pourrait rire comme dans l'autre situation, mais notre connaissance d'un élément qu'ils n'ont pas (la claustration) nous conduit vers le tragique et inhibe le rire. 

J'ai retenu cet exemple, parce que m'interressant déjà au théâtre à l'époque, j'ai su que je tenais là une des clefs de la mise en scène et de la direction d'acteurs.
Je vous parlerai dans un article à venir de l'aspect décousu que l'on reproche au texte... et qui me semble plutôt être le contraire.
à suivre








vendredi 28 mars 2014

Critique : 36 nulles de salon


J'attendais avec impatience les 36 nulles de salon de Daniel Cabanis. J'avais entendu le texte lors d'une lecture au Rond-Point, il y a presque 2 ans. La distribution a été conservée : Olivier Saladin et Jacques Bonnaffé. Étrangement je reconnais, dans une autre ordre, les textes entendus (ils sont normalement 36 – mais impossible de les compter, tant on est pris dans leur enchaînement). Je retrouve les phrases au moment où les comédiens les échangent. (Dire que je suis incapable de retenir un texte et que je me souviens du moment exact où la phrase a été prononcée au Rond-Point, il y a 2 ans). Il ne va pas être facile dans ces conditions de demeurer dans l'objectivité.

Je suis en Terra cognita et cela me dispense de la découverte. La galéjade, la craque qu'était la première lecture a pris du corps, de l'épaisseur. Nous étions à la limite des brèves de comptoir, nous voici dans un huis clos, drôle et acide. La présence à la toute fin de textes autour de questions plus existentielles renvoient alors au monde de Beckett... Nous assistons à une fin de partie de vie des deux frères. Et le Godot qu'ils attendent s'appelle officiellement la mort.

Une répartition différente des voix permet aux deux jumeaux de se différencier et de former des personnages à part entière, des personnages plus complexes. Des jumeaux, Mario et Mario ? Ou un dédoublement comme le triste enfant vêtu de noir qui vient visiter Musset une nuit de décembre ? Deux personnages qui dans leur petitesse et la fierté qu'ils en tirent, se permettent de rire des autres, de façon parfois très cruelle, à la limite de l'épigramme, forçant le spectateur à rire de leur cruauté. Ils leur arrivent aussi -malgré eux ? - de faire des jeux de mots ou des associations très fines.

Sur le plan de la mise en scène, une alternance se fait entre les temps de jeu et les temps d'action qui donnent au texte une place différente, et rythment le spectacle. Le jeu se fait autour d'une intention et la scène vire parfois à l'exploitation au second degré d'un stéréotype (le film policier., un couple regardant un film..). L'action consiste à intervenir sur la scénographie. Le plateau gris est occupé par une structure de bandes élastiques tendues que les comédiens/les personnages construisent et déconstruisent systématiquement, quand elle ne le fait pas d'elle-même. La structure devient œuvre d'art, tonnelle au soleil, prison, labyrinthe, cage, animal, univers onirique, instrument de musique, voisin... On comprend très vite que c'est « le grand oeuvre » que  les deux frères cherchent à réaliser pour parvenir enfin à exister. La lumière souligne ses métamorphoses.

Comme toujours dans les mises en scène de Jacques Bonnaffé, la musique et la danse ne sont jamais loin. Comme souvent aussi, les personnages prennent à certains moment le pouvoir sur le texte pour se commenter ou commenter leur action de personnage, associant le public.

La jauge est moyenne. En rapprochant le spectateur de la scène, elle renforce l'impression d'enfermement des personnages sur eux-mêmes. Les moments d'affection comme ceux de haine s'amplifient et prennent les spectateurs à témoin moins qu'ils ne cherchent à les gagner à la cause de l'un ou de l'autre des 2 Mario. La sympathie passe d'un jumeau à l'autre au fil des scènes.

L'interprétation est très riche. Le texte offre à chacun des deux comédiens une superbe palette à explorer et à exploiter. Le risque aurait été grand de caricaturer (ce qui se produisait un peu pendant la lecture au Rond-Point). Il y a dans cette version scénique de la retenue et des nuances fouillées, plus chez Jacques Bonnaffé* que chez Olivier Saladin.

Pour parodier Orwell, je dirai que tous les Mario sont égaux, mais que l'un est plus égal que l'autre.


 voir les autres articles dans les archives (notamment en septembre, octobre et novembre)
Cet article a été enrichi de deux autres publiés en mai et en juin
 - critique de 36 nulles de salon suite
 - recoudre le théâtre




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