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mercredi 25 janvier 2017

Avignon le OFF j'allais l'oublier 2

Mais dans les rues passantes, les anciens axes romains du Vieil Avignon, cardo et decumanus....
Peut-on parler de théâtre ? Oui, ne soyons pas intellectualistes, l'atellane et la farce ont toujours coexisté avec la grande comédie et la tragédie. Ce qui choque peut-être le plus les amateurs de théâtre, c'est la situation géographique et l'emprise visuelle de ces spectacles : vous avez le choix à tout heure entre les pires créations du théâtre de boulevard (non, le théâtre de boulevard est codifié et répond à des critères éthiques), jouées par des comédiens dont on peut se demander s'ils sont professionnels ou amateurs, des humoristes qui confondent spiritualité et impudence et qui croient être drôles parce qu'ils sont vulgaires à bon marché. Qu'on ne m'accuse pas de pruderie. J'aimais beaucoup Cabu et Charb, les hommes et leur travail. Je hurle de rire devant certains dessins de Charlie Hebdo. (mais parce que même la pornographie peut servir à nous éclairer sur notre monde) Jean Pierre Verheggen est un de mes auteurs préférés et je suis parfois sidérée par la justesse de son observation de notre société. Ce qui ne m'empêche pas de savourer l'écriture de Musset, de Pierre Michon ou de Marcelline Desbordes-Valmore. Mais dans ces théâtres, on sent avant tout le fric. Il faut faire de l'argent en attirant un public facile qu'on flatte dans ce qu'il a de plus trivial. Les producteurs savent qu'il y a de l'argent à prendre et se servent. Les comédiens y trouvent-ils leur compte ? Et les spectateurs ? On les rencontre plus souvent à la sortie de films « franchouillards » comme si la France était un pays de « 50 millions d'abrutis » (merci Michel Sardou). De ces spectacles, les critiques ne parlent pas, trop occupés à descendre des pièces qui ne rentrent pas dans la norme. Il n'y a donc aucune raison qu'ils ne se multiplient pas de façon exponentielles au détriment des autres propositions. Tous les ans des salles se reconvertissent pour les accueillir … Au royaume du fric, le théâtre doit faire profit.


Il s'agit là d'une peinture très grossière et très orientée, d'une caricature bien en dessous ce que pouvait faire Cabu, mais la question se pose à Avignon encore plus qu'ailleurs : qu'est-ce que le théâtre aujourd'hui ?  

Avignon le OFF j'allais l'oublier 1

Avignon le OFF, j'allais l'oublier... Et puis samedi, retour sur le sujet.
Avignon le OFF magnifique et formidable (au sens étymologique), génial et terrifiant.
Là encore la démesure a atteint un tel degré qu'elle devient un obstacle. Trop de spectacles, chacun se réclamant d'un nombre de représentations phénoménal, d'un prix dans un endroit inconnu, d'une nomination à un palmarès, d'une longévité qui laisse pantois...
Le meilleur y côtoie le pire et le pire trouve toujours pire que ce que l'on pouvait imaginer.
Il y a là de jeunes compagnies, de jeunes comédiens qui croient encore au mythe et rêvent que leur présence au festival va enfin les faire sortir de l'ombre, que leur travail va enfin trouver la reconnaissance qu'il mérite. Ils sont souvent assez bons, mais la cohue les acculent à une porte un soir où le tractage à nouveau a été l'occasion de rejets ou de commentaires. Et ils partent en considérations désabusées sur le sort du théâtre, des comédiens, de la culture dès que vous vous arrêtez un peu auprès d'eux. Ils défendent cher la peau de leur création comme Cassandre devant les remparts de Troie ou Saint Jean-Baptiste dans le désert...
Il y a là des compagnies plus solides pour qui le festival n'est qu'une étape...
Des compagnies ou des scènes très reconnues, aux directeurs et metteurs en scène avec déjà un beau passé. Ils sont dans le OFF par défi, par dépit, parce que les places dans le IN sont accordées d'une façon qui ne leur convient pas, parce qu'ils viennent malgré tout et pour prouver à qui de droit que leur spectacle fait recette en Avignon. Ceux-là n'ont pas trop à s'en faire. Leur nom se perd dans le dictionnaire des titres, des auteurs, des metteurs en scène, des compagnies, mais très vite ils attirent leurs attitrés et souvent jouent à guichet fermé.
Il y a des comédiens et des comédiennes que la télévision recrute pour des séries. Ils sont là pour faire un peu de théâtre, « parce qu'ils sont bons aussi sur scène, ce sont des acteurs complets ».Pour eux pas de problèmes, la salle est pleine de gens qui viennent voir, tu sais celui qui jouait l'inspecteur dans la série du mardi. Peu importe ce que raconte la pièce ... tu sais on l'a vu en vrai. Leur fusil a deux coups : vérifier leur notoriété et montrer qu'ils peuvent être à la hauteur pour une prochaine fiction sur une chaîne publique.

Là il y a encore théâtre.  

jeudi 19 janvier 2017

rumination longtemps après la soupe

Rencontre avec Jérôme Thomas et discussion sur la « Soupe à tomber par terre de Potagekamut ». (la soupe ).

Et une question qui m'agite aujourd'hui. Quelle place occupe un second personnage pendant une racontée ?

Je l'ai dit dans l'article évoqué, j'avais été particulièrement sensible au rapport clownesque qui unissait les deux conteurs. Nous avions un clown blanc et un auguste à la limite de l'acteur et du personnage. A cela s'ajoutent une réflexion menée avec un un autre conteur (le public du conte) et une expérience personnelle : invitée par un couple d'amis à expliquer quel est l'intérêt du conte au XXIème siècle, j'ai répondu par deux contes : l'un très traditionnel – des frères Grimm- et l'autre plus moderne dans son approche -un Nasreddin - . Nous étions dans un contexte propice à l'observation. (N'allez pas imaginer que j'utilise mes amis comme rats de laboratoire.. )

Très vite, le couple s'est « individualisé » . J'avais en face de moi deux personnes isolées qui entretenaient un rapport avec moi seul. Regard uniquement fixé sur moi, sans tentative de de contact avec l'autre pour une confirmation de compréhension ou une complicité d'écoute (peut-être parce que les contes étaient courts).

Comment comprendre que la présence d'un tiers dans le champ de vision ne puisse pas avoir une incidence ?
Le troisième personnage fausse la relation individuelle acteur/conteur – spectateur puisque le conteur s'adresse à lui particulièrement à certains moments et de façon officielle. Ses gestes et ses interventions captent aussi le regard et l'attention du spectateur qui sort de la relation privilégiée avec le conteur.

Donc une question. Le second personnage, le comparse, l'auguste (dans la soupe à tomber par terre notamment) ne peut-il être compris comme une personnification, incarnation du spectateur ? Donnant à voir le miroir su spectateur autorisé à manifester de façon primaire ses émotions et ses réactions ? Une figure qu'on pourrait apparenter au « spectateur organique co-acteurs des performances (celles du texte plus spécialement) ?

Le question reste ouverte.  

lundi 16 janvier 2017

Magie d'ombres et autres tours (critique)

Un spectacle de Philippe Beau est rare. Rare parce qu'il ne se produit pas très souvent. Rare parce qu'on est sûr d'y trouver des qualités exceptionnelles.
Alors quand on en programme un, il faut s'y précipiter.
Des ombres... Oui, me direz- vous, le petit lapin, l'oiseau, le cygne... On connaît.
Connaissez-vous l'éléphant ? Le dinosaure ? Les pattes d'un guépard ? Un chameau ? Une grenouille ? Un cheval, un crabe, une chouette ?
Et des mains qui s'élèvent , se prennent, se déprennent dans une danse serpentine... Volutes de mains, ballet, mouvements ondulants qui glissent vers une figure ou la font disparaître dans un arpège.
L'enchaînement de ces ombres finit par dire plus que ce qu'on pouvait imaginer.
Et vous ne connaissez pas ces dernières créations qui font apparaître sur la toile les mythes du cinéma contemporain ou les personnalités de la politique. On oscille entre le rire et l'admiration quand les mains par petits ajustements forment le portrait fidèle. On comprend alors combien l'ombre est encore un art d'aujourd'hui, tout en se rappelant que dans des temps anciens plus troubles, elles permettaient de vénérer le Roi ou l'Empereur.
Et puis, il y a toujours la fascination de Philippe Beau pour les premiers temps du cinéma.
Le spectacle est ponctué par des cartels, comme les vieux films muets. (tout le spectacle est absolument muet d'ailleurs, sans que cela crée la moindre lassitude). Et à plusieurs reprises de cours extraits de film anciens permettent d'introduire sur le plateau des tours de magie qui, s'inspirant de ceux évoqués par Méliès, Chaplin ou Besson, renouvelle l'exercice. Il ne faut pas oublier que Philippe Beau est certes, magicien et ombromane, mais aussi conseiller historique en tours de magie.
Portés par une musique parfaitement adaptée, vous passez des ombres au cinéma aux tours de magie, dans une ronde que les mains dessinent sur la toile et vous glissez d'émerveillement en émerveillement, heureux de vous laisser abuser, comme aux premiers temps des hommes, à l'époque où le feu dessinait sur les parois les premiers films de l'humanité.

Philippe Beau est vraiment un magicien ….

dimanche 8 janvier 2017

Avignon le IN

J'ai été bien injuste dans le précédent article sur le public du festival IN. Mais la caricature était à peine forcée. J'ai vraiment rencontré (et je ne suis pas la seule, d'autres « tracteurs » pourront vous dire la même chose) les personnes que je décris dans l'article. Certains disaient : « j'évite les zones du IN. Il n'y a pas de discussion possible. »
Que dire du IN ? Si ce n'est que les places en sont vendues très longtemps à l'avance à des associations d'amis des Centres Dramatiques Nationaux et autres Scènes Nationales. Elles sont chères (elles se basent sur les tarifs des salles parisiennes), sauf si vous bénéficiez de réductions liées à des abonnements à l'année aux théâtres évoqués plus haut. Les gradins du IN accueillent donc en très grande majorité une élite culturelle, une élite bourgeoise ou financière, ainsi qu'une élite politique, venues autant pour le prestige que pour le théâtre.
Si les salles ont des jauges raisonnables qui permettent de profiter de la représentation, la Cour d'honneur est arrivée à une saturation de l'espace. Là où Vilar avait imaginé quelques centaines de places dans un rapport de proximité, on accueille aujourd'hui 2000 personnes. Ceux qui se trouvent au 27ème rang, ne voient plus que des fourmis sur scène et imaginent le comédien plus qu'ils ne le distinguent. Un système très complexe rapporte le son dans des haut-parleurs qui se trouvent au sol devant les sièges des gradins. Chacun a son propre accès au son, avec un léger différé semble-t-il pour les derniers rangs, mais à cette distance, on ne peut pas voir les visages. L'écoute est donc merveilleuse. Pour le reste, il faut surtout imaginer.
Je crois que c'est dans ce sens qu'il faut prendre la mise en scène faite cet été par Ivo Van Hove des Damnés. Il a installé en fond de scène des écrans géants où étaient projetés en direct des gros plans sur les acteurs, permettant à tous de suivre heureusement le spectacle. Le lendemain, les critiques allaient bon train : « Pour regarder cela, autant être devant la télévision ! ». C'était oublié que dans les grandes machineries, opéras ou comédies musicales données à Bercy ou au Grand Stade, on a recours à ce système. Mais je l'ai déjà dit «  il ne faut pas confondre Avignon et théâtre populaire ».
Je ne dirai rien non plus sur le « proximité de l'acteur ».
Théâtre de la démesure dans les lieux, Avignon attend aussi la démesure dans la durée des spectacles. On se souvient du Soulier de satin qui se terminait dans les premiers feux de l'aurore et où l'on trouvait les viennoiseries en sortant de la Cour, ou de la Trilogie de Mouawad qui durait à peu près aussi longtemps et pour laquelle on avait prévu une pelouse et des couvertures pour que les spectateurs puissent dormir dans l'enceinte du Palais des Papes avant de retrouver l'énergie pour poursuivre leur rôle de public attentif.
Je vous dispense de toutes les conférences et débats organisés en parallèle passionnants, mais au combien hermétiques pour le commun des mortels. On comprend dès lors pourquoi la foule erre dans les rues à la recherche de la magie tant proclamée. Elle est la sœur de celle qui erre sur les avenues de Cannes sans accéder aux salles ou de celles qui regarde les restaurants et les boîtes branchées de la Côte d'Azur. On comprend aussi pourquoi elle trouve sa propre fête théâtrale dans les spectacles de rue, les parades et les théâtres de la Rue de la République.


vendredi 6 janvier 2017

Avignon donc

Avignon, donc.
Il y avait 7 ans que je n'avais pas mis les oreilles et les yeux au festival.
A l'époque, je suis une équipe qui analysait les spectacles du IN pour en tirer du matériel pédagogique.
A l'époque, j'avais peu fréquenter le OFF, trop de travail (plusieurs spectacles par jour, dont les interminables de la cour d'honneur, le travail ensuite, puis la mise en commun...)

Cet été, j'accompagnais un spectacle du OFF. Je passais beaucoup de temps en communication autour du spectacle, dans les rues, auprès des représentants des structures officielles.
J'avais décidé relativement tard de venir et je n'avais pas réservé de places pour le IN.
J'avais limité ma consommation à 2 ou 3 spectacles par jour... avec modération....
Choix difficile, plus que difficile.

Le programme du OFF c'est 127 pages avec parfois cinq ou six spectacles présenté sur une page.
C'est 129 lieux de représentation, auxquels il faut ajouter les spectacles de rue (les officiels) et ceux qui s'incrustent, les parades...
Chaque jour on peut assister à un peu moins de 1500 spectacles... (autour de 1470).
Avignon « la plus grand théâtre du monde » est aussi un temple de la démesure.

Parlons des spectacles : vous imaginez bien qu'il est impossible sans une certaine culture de faire son choix dans cette surabondance.
Les grands noms côtoient les anonymes. Mais lesquels seront les meilleurs serviteurs d'un texte, d'un auteur. Si l'on peut miser sans crainte sur quelques uns, les autres se révèlent parfois plus que décevants... Marcher dans les rues d'Avignon après 10 heures du matin est une expédition. Vous en pouvez pas faire un pas sans être abordé par un « tracteur » qui vous vante le spectacle de la compagnie qu'il accompagne. Les comédiens des salles descendent sur les trottoirs, les placettes pour essayer de convaincre et d'attirer un public déjà assailli. Tout est bon pour se faire remarquer : les costumes de scène mais aussi les déguisements qui sembleraient outranciers au carnaval de Dunkerque et qui surtout n'ont pas la même vocation festive.

Il faut dire que le public n'est pas assez nombreux pour fournir à chaque salle le quota de spectateurs. Il faut se battre pour couvrir ne serait-ce que les frais de location du théâtre. Se battre c'est à dire capturer le public avant les autres.
C'est drôle, on se retrouve des siècles en arrière, sur le Pont Neuf. C'est une belle approche historique... Aux XVIIème et XVIIIème siècles la lutte était-elle aussi âpre ?

Les spectateurs du IN regardent avec un certain mépris cette agitation vulgaire, puisqu'ils sont contraints de fréquenter les mêmes rues …. Gare aux « tracteurs » du OFF qui oseraient les aborder... Ils ne discutent que rarement avec les spectateurs du OFF, ne fréquentent pas les mêmes restaurants, les mêmes bars, les mêmes jardins, les mêmes cours. Ils ne pénètrent dans cette jungle hostile qu'avec le guide du routard Jérôme Garcin ou le guide vert de Fabienne Pascaud.

« Vous avez aimé « au bonheur des vivants », mais il ne figure pas dans la liste des 10 spectacles à voir.... ». La bouche se pince, puis la lippe descend en un sourire condescendant. Pauvre, vous n'êtes pas … Enfin, comment pouvez-vous.... ?


Pendant ce temps-là, un homme aux seins nus format L et aux fesses en plastique passe en poussant un landau où une appareil hurle « Folles en scène ce soir à 18 h 30 »....