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jeudi 16 juillet 2015

36 nulles de salon au Théâtre du Rond Point






Voilà, ça y est, oui, maintenant c'est vrai. Ils sont arrivés à Paris. Au Rond-Point !
J'ai déjà écrit plusieurs articles sur ce spectacle :
un de mars 2014  et un autre de juin 2014  (à consulter dans les archives du blog)
Les critiques connus de magazines qui le sont encore plus vont découvrir et donner leur avis...
Relisez les miens qui datent un peu, mais sont toujours d'actualité.
Allez voir surtout.



samedi 7 juin 2014

recoudre le théâtre


Je voudrais revenir sur l'aspect "décousu" qui dérange certains spectateurs des “36 nulles de salon”.

Je ne parlerai pas de décousu mais de recousu. Je vole l'expression à Jean-Pierre Sarrazac, qui j'en suis certaine, me le pardonnera. Cet immense penseur du théâtre contemporain et cet homme extraordinaire de simplicité et de gentillesse aime à comparer l'auteur de théâtre et le rhapsode antique. Il remonte dans cette comparaison à l'étymologie du mot grec : celui qui coud. L'auteur de théâtre est celui qui coud des textes, en laissant apparaître les coutures.

Cette image vaut surtout pour les auteurs de théâtre contemporain, post-moderne pour qui le schéma narratif prôné par Aristote, il y a plus de 2000 ans, s'avère impuissant, inadapté. Le théâtre contemporain s'arroge la prérogative de se libérer de toute forme narrative classique et de se chercher des nouveaux moyens pour rendre compte d'un monde nouveau.

Une des formes qu'il exploite depuis maintenant plus de 150 ans est la juxtaposition ou la superpositions de morceaux, de tronçons d'histoires. On a parlé de "tranches de vie". On peut remonter pour un essai de datation, au “chemin de Damas” de Stringberg.

On a aussi parlé de "théâtre de l'intime" , de théâtre du "tragique du quotidien".

Les auteurs des années 70 et 80 ont raffolé de cette forme qui consiste à focaliser le regard du spectateur sur des situations particulières où les personnages sont le plus riches. Dans mes pièces préférées de cette époque, figurent celles de Michel Vinaver, de Xavier Kroetz...

Il a pu s'agir de tableaux qui se succédaient, dans une forme encore proche de la fable. Mais aujourd'hui on a souvent abandonné le trame narrative elle-même, laissant place à des bribes de renseignements avec lequel le spectateur est libre de reconstituer une histoire ou non Et parmi les auteurs d'aujourd'hui qui pratiquent cette technique de décomposition - recomposition, de mélange de parcelles d'histoire recousues, je citerai Mouawad, Lagarce, Crimp, Minyana, Belbel, Foss et tant d'autres. Il faudrait parler de “Mère et Fils” de Joel Jouanneau, de “Ma Solange comment t'écrire mon désastre, Alex Roux” de Noëlle Renaude, de “L'instrument à pression” de David Lescot. Il faudrait citer tant de noms d'auteurs et tant de titres d'oeuvres que mon texte deviendrait encore plus fastidieux.

La trame dramatique, ce qu'autrefois on appelait "l'histoire" a disparu. L'unité de la pièce vient désormais de la récurrence de personnages, de phrases ou de situation.

Le télévision a vite vu le parti qu'elle pouvait tirer de cette forme. Si Jean Michel Ribbes nous a régalés avec “Palace”, que dire des actuels "Parents, mode d'emploi " "scènes de ménage'" ou "nos chers voisins" qui se disputent l'antenne à heure régulière. La forme est devenue caricaturale. La tranche de vie se limite à la mise en place d'un jeu de mot ou d'une saillie, suivie d'un commentaire mimique. Une porte ouverte à tous les clichés, les gags usés et connus. La réalisation technique demande un minimum de moyens et donc de coût. La rapidité d'enregistrement permet de concentrer les jours de tournage et de limiter les frais liés aux intermittents qu'on précarise davantage. Le public adore ces petites formes qui ont l'avantage de le distraire sans trop l'impliquer et qui correspondent à son besoin de rapidité, son habitude de zapper. On peut rire à bon compte et sans trop perdre de temps.

Il est évident que l'on ne peut pas attendre la même chose dans une représentation théâtrale, et la rhapsodie y est rarement source de grosse rigolade. L'humour n'est pas absent, mais il est rarement l'objectif premier de l'écriture. Même si l'on peut établir une comparaison latente avec les “Diablogues” de Roland Dubillard, autre auteur très attiré par l'exploitation de l'absurde. (lire éventuellement aussi : “où boivent les vaches”)

Le choix de Cabanis n'a rien donc de bien original. Il pousse sa recherche formelle en inscrivant chaque nulle dans une durée limitée, dans un nombre de répiques fixe et choisit de marquer ses coutures par une répétition "Dis Mario". Nous sommes dans un domaine mathématiques et géométrique : celui de la logique et de l'échiquier. Tout est ordonné (avec abscisse et ordonnée). Les “nulles” commencent toutes comme une recherche scientifique, une question qui pour les personnages tient de la question existentielle. “Dis-moi Mario”. Cette question vitale pour eux est si saugrenue et si invraisemblable qu'elle nous force à réagir (comique ou ironie – selon qu'on voit les personnages dans leur enfermement ou dans un monde ouvert). La résolution ou le refus de donner une solution marque la fin de la nulle de façon, je l'ai dit, mathématique et géométrique.

Quant à Jacques Bonnaffé qui assure la mise en scène, il fallait se douter que c'était cette contrainte de la forme qui l'intéresserait autant que le contenu. Et dans le contenu, il a privilégié visiblement la présence constante de l'absurde, la vanité des dialogues qui ne font plus avancer l'action (la fable a disparu). Il y a loin dernière tout cela, peut-être sans qu'il en soit pleinement conscient, le travail qu'il a mené sur les textes de Joseph Danan à la Ferme du Buisson il y a quelques années, son travail sur Ludovic Janvier (grand ami de Beckett), son travail sur Pierre Michon (et notamment “le Corps du Roi”, “les vies minuscules”) et ses collaborations avec Jean François Peyret.

Je trouve comme beaucoup de personnes qu'on ne peut pas regarder les “36 nulles de salon” sans éprouver un certain dérangement. Peut-être en raison de ce que le texte et les situations me disent de moi, de mes rappports avec ceux dont je partage la vie, de mon rapport avec l'image que je me projetais de moi, "quand j'avais vingt ans, crédule à mon génie, je croyais pauvre esprit qu'au monde je manquais... ami, le résultat, tu le vois : -un laquais". L'échec des personnages est peut-être mon échec et leur impossibiité au bonheur, mon incapacité à être heureuse. Nous sommes bien dans le théâtre du "Tragique du quotidien". On peut le regarder en face avec un sourire ou avec une vague angoisse... ou préférer la fuite pascalienne.




Dans cette réalisation Jacques Bonnaffé est totalement fidèle à sa devise “élitaire et pomme de terre”. Ceux qui acceptent ce paradoxe ne peuvent pas être déçus. D'autant que le jeu est exceptionnel par rapport à un texte si atypique.


On pourra lire deux autres articles sur le même sujet : critique 36 nulles de salon et critique 36 nulles de salon suite

vendredi 6 juin 2014

critique : 36 nulles de salon suite


Voici un nouvel avis qui fait suite et vient enrichir le précédent article critique, publié en mars, sur les “36 nulles de salon” de Daniel Cabanis.

Je suis allée voir la pièce une nouvelle fois, me demandant si les commentaires faits sur le blog étaient justifiés et si je m'étais trompée sur la qualité de ce que j'avais vu et entendu.

La pièce a été remaniée. Il y a eu des suppressions, des déplacements. Les “coutures” sont moins visibles, les séquences s'enchaînent beaucoup plus rapidement, parfois sans que la transition apparaisse. La durée a donc considérablement diminué. Les personnages ont été dirigé subtilement vers un aspect clownesque (accessoires). La mise en scène de certaines scènes a été modifiée (instauration d'un jeu au départ ou déplacement des comédiens sur l'avant-scène – “les soirées du mardi” ). Le plateau est plus grand et la structure laisse davantage de place au jeu. Cette structure continue à être modifiée après ce qui était “la phase d'aboutissement” dans la version précédente.




Dans la salle ce soir à Tours, le public a ri, applaudi. On sentait une belle complicité, non pas avec les personnages, mais avec les comédiens. Il n'y avait aucun doute sur la qualité du plaisir théâtral partagé. Le public n'avait pas vraisemblablement été prévenu comme M. Leguen que 95 % des critiques étaient mauvaises, il se fiait à son propre jugement et passait une soirée agréable, dans l'esprit de la devise de Jacques Bonnaffé : “élitaire et pomme de terre”.
Une remarque  sur la notion de comique et de tragique schématisée dans un commentaire de l'article précédent. Il s'agit d'un exemple pédagogique créé par un de mes professeurs de philosophie pour aider les élèves à appréhender la notion d'ironie, dans la pensée de Kierkegaard et par extension la notion d'ironie tragique. Des gens s'agitent autour d'un feu, il n'y a rien autour d'eux, leur agitation est dérisoire et décalée, c'est comique, mais s'ils se trouvent dans une pièce close, il s'agitent vainement puisqu'ils sont condamnés, c'est ironique. On pourrait rire comme dans l'autre situation, mais notre connaissance d'un élément qu'ils n'ont pas (la claustration) nous conduit vers le tragique et inhibe le rire. 

J'ai retenu cet exemple, parce que m'interressant déjà au théâtre à l'époque, j'ai su que je tenais là une des clefs de la mise en scène et de la direction d'acteurs.
Je vous parlerai dans un article à venir de l'aspect décousu que l'on reproche au texte... et qui me semble plutôt être le contraire.
à suivre








vendredi 28 mars 2014

Critique : 36 nulles de salon


J'attendais avec impatience les 36 nulles de salon de Daniel Cabanis. J'avais entendu le texte lors d'une lecture au Rond-Point, il y a presque 2 ans. La distribution a été conservée : Olivier Saladin et Jacques Bonnaffé. Étrangement je reconnais, dans une autre ordre, les textes entendus (ils sont normalement 36 – mais impossible de les compter, tant on est pris dans leur enchaînement). Je retrouve les phrases au moment où les comédiens les échangent. (Dire que je suis incapable de retenir un texte et que je me souviens du moment exact où la phrase a été prononcée au Rond-Point, il y a 2 ans). Il ne va pas être facile dans ces conditions de demeurer dans l'objectivité.

Je suis en Terra cognita et cela me dispense de la découverte. La galéjade, la craque qu'était la première lecture a pris du corps, de l'épaisseur. Nous étions à la limite des brèves de comptoir, nous voici dans un huis clos, drôle et acide. La présence à la toute fin de textes autour de questions plus existentielles renvoient alors au monde de Beckett... Nous assistons à une fin de partie de vie des deux frères. Et le Godot qu'ils attendent s'appelle officiellement la mort.

Une répartition différente des voix permet aux deux jumeaux de se différencier et de former des personnages à part entière, des personnages plus complexes. Des jumeaux, Mario et Mario ? Ou un dédoublement comme le triste enfant vêtu de noir qui vient visiter Musset une nuit de décembre ? Deux personnages qui dans leur petitesse et la fierté qu'ils en tirent, se permettent de rire des autres, de façon parfois très cruelle, à la limite de l'épigramme, forçant le spectateur à rire de leur cruauté. Ils leur arrivent aussi -malgré eux ? - de faire des jeux de mots ou des associations très fines.

Sur le plan de la mise en scène, une alternance se fait entre les temps de jeu et les temps d'action qui donnent au texte une place différente, et rythment le spectacle. Le jeu se fait autour d'une intention et la scène vire parfois à l'exploitation au second degré d'un stéréotype (le film policier., un couple regardant un film..). L'action consiste à intervenir sur la scénographie. Le plateau gris est occupé par une structure de bandes élastiques tendues que les comédiens/les personnages construisent et déconstruisent systématiquement, quand elle ne le fait pas d'elle-même. La structure devient œuvre d'art, tonnelle au soleil, prison, labyrinthe, cage, animal, univers onirique, instrument de musique, voisin... On comprend très vite que c'est « le grand oeuvre » que  les deux frères cherchent à réaliser pour parvenir enfin à exister. La lumière souligne ses métamorphoses.

Comme toujours dans les mises en scène de Jacques Bonnaffé, la musique et la danse ne sont jamais loin. Comme souvent aussi, les personnages prennent à certains moment le pouvoir sur le texte pour se commenter ou commenter leur action de personnage, associant le public.

La jauge est moyenne. En rapprochant le spectateur de la scène, elle renforce l'impression d'enfermement des personnages sur eux-mêmes. Les moments d'affection comme ceux de haine s'amplifient et prennent les spectateurs à témoin moins qu'ils ne cherchent à les gagner à la cause de l'un ou de l'autre des 2 Mario. La sympathie passe d'un jumeau à l'autre au fil des scènes.

L'interprétation est très riche. Le texte offre à chacun des deux comédiens une superbe palette à explorer et à exploiter. Le risque aurait été grand de caricaturer (ce qui se produisait un peu pendant la lecture au Rond-Point). Il y a dans cette version scénique de la retenue et des nuances fouillées, plus chez Jacques Bonnaffé* que chez Olivier Saladin.

Pour parodier Orwell, je dirai que tous les Mario sont égaux, mais que l'un est plus égal que l'autre.


 voir les autres articles dans les archives (notamment en septembre, octobre et novembre)
Cet article a été enrichi de deux autres publiés en mai et en juin
 - critique de 36 nulles de salon suite
 - recoudre le théâtre




Vous hésitez : Si vous aimez les Diablogues de DUBILLARD, foncez, vous passerez un excellent moment. Si vous aimez le théâtre de l'absurde, foncez. Si vous êtes prêts à vous laisser aller, foncez....