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mercredi 28 septembre 2016

La perte des rituels d'installation dans les performances (1)


La représentation théâtrale exige une pré-disposition du public, qui commence par une disposition géographique autant que mentale.

Venir au théâtre c'est suivre un parcours ritualisé, qui commence par l'achat du billet ou par l'abonnement. On ne va pas au théâtre, comme on va au cinéma, ou en boîte. La sortie est programmée et l'attente fait partie, dans une certaine mesure, du spectacle. Peut-être parce qu'elle est trop importante ou trop investie ( financièrement et affectivement), elle ne peut se construire à la légère. On sait le succès que connaissent les présentations de saison dans les scènes nationales, et le public qui vient chercher les programmes à peine sortis de l'imprimerie à La Foire Saint-Germain en mai, on sait aussi les files d'attente aux premiers jours des abonnements ou les courses poursuites pour que les courriers soient arrivés un peu avant les premiers acheteurs en caisse.

On reçoit son billet qu'on garde avec soin (on peut penser à ce propos à la saynette de Karl Valentin La sortie au théâtre), ou on vient le retirer en annonçant son nom au guichet « invitations places réglées ».


Tous ces rituels qui nous semblent familiers et anodins deviennent des obstacles, parfois insurmontables pour qui n'y est pas accoutumé.

Pour s'en persuader il suffit de se souvenir de paroles entendues autour de nous ou de lire quelques petits propos recueillis par Jean-Pierre Moulères : « Le théâtre, on ne peut pas y aller comme ça », «  Il faut franchir le pas, pour y aller au théâtre », « ce que j'aime au théâtre, c'est que ça fait plus sortie exceptionnelle que d'aller voir un film », « avant d'y aller, j'ai la joie d'y aller ».1
Dans le cas des spectacles que j'ai évoqués, il n'y a eu pour personne cette démarche. Le spectacle  les poètes du tango, faisait partie d'une après-midi qui comprenait plusieurs « animations » ; le bal, le spectacle de rue étaient ouverts à tous ; le juke box et les  yeux bandés  représentaient « la cerise sur le gâteau » d'un temps passé ensemble autour d'un spectacle (L'Européenne et Casimir et Caroline), écriture, jeu ... Il n'était demandé aucun billet pour accéder au lieu de représentation, parfois même on arrivait en même temps que les comédiens, en achevant avec eux une conversation commencée autour d'un autre projet.






1Moi, j'ai rien d'intéressant à dire, petits propos sur le théâtre par ceux qui n'y vont presque pas, dirigé et mis en forme par Jean-Pierre Moulères, Nantes, l'Atalante, 2003

2Bernard DORT, « La pratique du spectateur I » in Cahiers de la Comédie française n° 1, automne 1991, POL p; 116 -119