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lundi 3 octobre 2016

Concert dessiné

Un article pour parler d'une performance, qui comme toutes les performances, ne se reproduira pas. Un rencontre sous forme de concert-dessiné entre le clarinettiste Louis Sclavis et l'illustrateur, auteur Fabrice Le Hénanff, dans le cadre de War on screen.
Fabrice Le Henanff est, entre autres, l'auteur de Petites histoires de la Grande Guerre.
Louis Sclavis est un jazzman mondialement connu, que beaucoup ont eu la chance de découvrir lors d'une résidence.
Le lieu : l'auditorium d'une médiathèque de ville moyenne. Très petite scène toute en largeur. Jauge réduite, il y a là moins de 100 places...qui ne sont pas toutes occupées. Dehors la nuit d'automne et la pluie rappellent que malgré ce que l'on dit aux informations météorologiques, l 'été est terminé.
Le principe est donné en préface : ¼ d'heure de dessin accompagné de musique, puis discussion générale, retour à la performance pour ¼ d'heure et nouvel échange... Ainsi sur le temps se répartit équitablement... Tout explorera : le durée initialement prévue, la répartition, l'alternance …. Pour le plaisir de tous, je crois...
Sur la partie jardin du plateau une grande table surmontée d'une caméra qui diffuse immédiatement sur un écran central le travail de Fabrice Le Henanff, sur la partie cour, une chaise et une table basse sur laquelle repose une clarinette basse.
Le principe est simple, le dessinateur met en couleurs une planche qu'il a déjà préparée au niveau des contours (il n'y a qu'une heure 30 pour réaliser le tableau), pendant ce temps le musicien improvise en exploitant ce qu'il a intégré de l’œuvre pendant l'après-midi.
Il faut jouer de synesthésie pour tout intégrer et beaucoup oscillent d'une version à l'autre.
La musique varie entre des improvisations dont Louis Sclavis maîtrise seul les techniques et des airs connus, chanson d'amour ou standards... Parfois, les sons du travail de dessin viennent s'y mêler : brosse, traits de crayon, passage d'un buvard, d'un mouchoir.... Le dessinateur adapte aussi parfois son rythme à celui de la musique.
Le premier temps d'échange permet au dessinateur de donner les clefs de sa technique : pose des ombres, utilisation d'encres, glaçage puis superposition... Le musicien parle de son écoute : il travaille comme avec un danseur, interprétant autant les mouvements et les rythmes du dessinateur que les sensations glanées dans le tableau.
Au fur et à mesure de l'évolution du carton, la musique se fait plus narrative, plus expressive. Les spectateurs rentrent dans le dessin. Ils vivent l'explosion qui se produit dans le lointain des personnages. Ils se prennent avec le musicien à imaginer leurs sentiments, à imaginer ce qu'ils entendent ou ce qu'ils se disent. Ils occupent la plus grande place de l'image et monopolisent les regards et l'intérêt.
Nouvel échange plus technique que le précédent, aussi bien en peinture qu'en musique..., sur les sources d'inspiration ou les recherches antérieures. Nous avons vécu quelque chose assez proche du théâtre d'objets...
Puis le dessinateur passe à des personnages plus en retrait, dans le quotidien de la tranchée. L'écoute est grave, le musicien lui-même se tait. Il y a une empathie générale avec ses personnages qu'on devine à peine, des silhouettes traitées tout d'un trait d'encre. Le temps se démesure, la scène de guerre de tranchée a envie tout l'auditorium et fait entrer tout le public dans l'image.

Le dessinateur s'interrompt, visiblement fatigué, ou trop ému. Il s'excuse. Le musicien vient à son secours, quelques derniers accents de la clarinette comme un coda. De toute façon, il y a déjà longtemps que nous devrions être partis... On se lève pour aller voir de près... Les conversations reprennent à bâtons rompus, le concert texte n'est pas vraiment terminé.