Un article pour parler d'une
performance, qui comme toutes les performances, ne se reproduira pas.
Un rencontre sous forme de concert-dessiné entre le clarinettiste
Louis Sclavis et l'illustrateur, auteur Fabrice Le Hénanff, dans le
cadre de War on screen.
Fabrice Le Henanff est, entre autres,
l'auteur de Petites histoires de la Grande Guerre.
Louis Sclavis est
un jazzman mondialement connu, que beaucoup ont eu la chance de
découvrir lors d'une résidence.
Le lieu :
l'auditorium d'une médiathèque de ville moyenne. Très petite scène
toute en largeur. Jauge réduite, il y a là moins de 100
places...qui ne sont pas toutes occupées. Dehors la nuit d'automne
et la pluie rappellent que malgré ce que l'on dit aux informations
météorologiques, l 'été est terminé.
Le principe est
donné en préface : ¼ d'heure de dessin accompagné de
musique, puis discussion générale, retour à la performance pour ¼
d'heure et nouvel échange... Ainsi sur le temps se répartit
équitablement... Tout explorera : le durée initialement
prévue, la répartition, l'alternance …. Pour le plaisir de tous,
je crois...
Sur la partie
jardin du plateau une grande table surmontée d'une caméra qui
diffuse immédiatement sur un écran central le travail de Fabrice Le
Henanff, sur la partie cour, une chaise et une table basse sur
laquelle repose une clarinette basse.
Le principe est
simple, le dessinateur met en couleurs une planche qu'il a déjà
préparée au niveau des contours (il n'y a qu'une heure 30 pour
réaliser le tableau), pendant ce temps le musicien improvise en
exploitant ce qu'il a intégré de l’œuvre pendant l'après-midi.
Il faut jouer de
synesthésie pour tout intégrer et beaucoup oscillent d'une version
à l'autre.
La musique varie
entre des improvisations dont Louis Sclavis maîtrise seul les
techniques et des airs connus, chanson d'amour ou standards...
Parfois, les sons du travail de dessin viennent s'y mêler :
brosse, traits de crayon, passage d'un buvard, d'un mouchoir.... Le
dessinateur adapte aussi parfois son rythme à celui de la musique.
Le premier temps
d'échange permet au dessinateur de donner les clefs de sa
technique : pose des ombres, utilisation d'encres, glaçage puis
superposition... Le musicien parle de son écoute : il travaille
comme avec un danseur, interprétant autant les mouvements et les
rythmes du dessinateur que les sensations glanées dans le tableau.
Au fur et à mesure
de l'évolution du carton, la musique se fait plus narrative, plus
expressive. Les spectateurs rentrent dans le dessin. Ils vivent
l'explosion qui se produit dans le lointain des personnages. Ils se
prennent avec le musicien à imaginer leurs sentiments, à imaginer
ce qu'ils entendent ou ce qu'ils se disent. Ils occupent la plus
grande place de l'image et monopolisent les regards et l'intérêt.
Nouvel échange
plus technique que le précédent, aussi bien en peinture qu'en
musique..., sur les sources d'inspiration ou les recherches
antérieures. Nous avons vécu quelque chose assez proche du théâtre
d'objets...
Puis le dessinateur
passe à des personnages plus en retrait, dans le quotidien de la
tranchée. L'écoute est grave, le musicien lui-même se tait. Il y a
une empathie générale avec ses personnages qu'on devine à peine,
des silhouettes traitées tout d'un trait d'encre. Le temps se
démesure, la scène de guerre de tranchée a envie tout l'auditorium
et fait entrer tout le public dans l'image.
Le dessinateur
s'interrompt, visiblement fatigué, ou trop ému. Il s'excuse. Le
musicien vient à son secours, quelques derniers accents de la
clarinette comme un coda. De toute façon, il y a déjà longtemps
que nous devrions être partis... On se lève pour aller voir de
près... Les conversations reprennent à bâtons rompus, le concert
texte n'est pas vraiment terminé.