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mercredi 15 juin 2016

le Verbe au théâtre (fin)

Cette parole, ce verbe représentent également une forme d'offrande. Le texte oralisé par l 'interprète se donne aux auditeurs. Par cette médiation, il accède au public par une moyen détourné plus efficace. L'oralisation le rend présent, lui donne une existence sensible.
« [le texte] produit en moi le meilleur plaisir s'il parvient à se faire écouter indirectement. »1
Je ne dis pas qu'il est en attente de ce passage par la voix et qu'il n'existerait pas sinon, mais sa profération assure une transmission qui ressort à la fois du don et de l'acte sacré. Deux citations de Valère Novarina, extraites d'ouvrages différents corroborent cette hypothèse : « la parole ne se communique pas comme une matière marchande, comme une denrée, comme de l'argent, elle se transforme, elle parle et elle donne. »2 et
« L'acteur offre le langage à chair ouverte »3
La parole est d'autant plus offrande dans les spectacles adramatiques qu'elle est livrée dans une spontanéité et un manque de recherche (parfois très étudié), dans un naturel qui l'enrichit de ses faiblesses et de ses imperfections. La parole est la voix de la confidence, de l'aveu, du secret partagé. La parole arbore un statut de vérité, dans ce don du texte (même si depuis toujours elle a pu plus facilement mentir que les images).

La parole et le verbe, pourtant représentatifs par excellence du lyrique et de l'épique, se révèlent les porteurs de la théâtralité, les éléments qui vont conférer paradoxalement le statut de théâtre à ces formes non dramatiques à l'origine, comme semblent le confirmer Geneviève Jolly et Muriel Plana « Qu'elle soit, ou non, écrite ou conçue pour (ou sur) la scène, [la parole que fait entendre l'acteur] détient déjà une théâtralité. »4
« Si la langue n'est plus le lieu du jeu et de sa mise en danger, à quoi bon le théâtre? »5 constate Serge Rezvani.
S'il y a communication, communion théâtrale, on sait combien la notion est usée, elle naît de la parole, du verbe et par conséquent de son support, le texte proféré.
Denis Guenoun imaginait trois issues possibles à la crise du drame : la restauration du drame, la langue devenue centrale (« exposer une théâtralité nue, somptueuse et ruinée, de la langue »6) et la multiplication des « dramaticules ». Les spectacles adramatiques fondés sur le texte et la parole, dans le succès qu'ils rencontrent auprès de leur public, semblent le confirmer.

 1Roland BARTHES, Le plaisir du texte , (s.l.), Editions du Seuil, 1973, p.23
2Valère NOVARINA, Devant la parole, Paris, POL, 1999, p. 27
3Valère NOVARINA, « lire à 300 yeux, réponses à 13 questions de Jean-Marie Thomasseau » in Théâtre, le retour du texte ? Littératures n° 118, p. 9
4 Geneviève JOLLY, Muriel PLANA, « théâtralité » in Poétique du drame moderne et contemporain, Paris, Etudes Théâtrales n° 22, 2001, p. 125 
5Serge REZVANI, Théâtre: dernier refuge de l'imprévisible poétique. Arles, Actes Sud papiers, 2000, p. 115

6 Denis GUENOUN,,Actions et acteurs, raisons du drame sur scène, Paris, Belin, coll. L'extrême contemporain, 2005, p. 28)