Cette parole, ce verbe
représentent également une forme d'offrande. Le texte oralisé par
l 'interprète se donne aux auditeurs. Par cette médiation, il
accède au public par une moyen détourné plus efficace.
L'oralisation le rend présent, lui donne une existence sensible.
« [le
texte] produit en moi le meilleur plaisir s'il parvient à se faire
écouter indirectement. »1
Je
ne dis pas qu'il est en attente de ce passage par la voix et qu'il
n'existerait pas sinon, mais sa profération assure une transmission
qui ressort à la fois du don et de l'acte sacré. Deux citations de
Valère Novarina, extraites d'ouvrages différents corroborent cette
hypothèse : « la parole ne se communique pas comme une
matière marchande, comme une denrée, comme de l'argent, elle se
transforme, elle parle et elle donne. »2
et
« L'acteur
offre le langage à chair ouverte »3
La parole est d'autant plus
offrande dans les spectacles adramatiques qu'elle est livrée dans
une spontanéité et un manque de recherche (parfois très étudié),
dans un naturel qui l'enrichit de ses faiblesses et de ses
imperfections. La parole est la voix de la confidence, de l'aveu, du
secret partagé. La parole arbore un statut de vérité, dans ce don
du texte (même si depuis toujours elle a pu plus facilement mentir
que les images).
La
parole et le verbe, pourtant représentatifs par excellence du
lyrique et de l'épique, se révèlent les porteurs de la
théâtralité, les éléments qui vont conférer paradoxalement le
statut de théâtre à ces formes non dramatiques à l'origine, comme
semblent le confirmer Geneviève Jolly et Muriel Plana « Qu'elle
soit, ou non, écrite ou conçue pour (ou sur) la scène, [la parole
que fait entendre l'acteur] détient déjà une théâtralité. »4
« Si
la langue n'est plus le lieu du jeu et de sa mise en danger, à quoi
bon le théâtre? »5
constate
Serge Rezvani.
S'il y a communication, communion
théâtrale, on sait combien la notion est usée, elle naît de la
parole, du verbe et par conséquent de son support, le texte proféré.
Denis
Guenoun imaginait trois issues possibles à la crise du drame : la
restauration du drame, la langue devenue centrale (« exposer
une théâtralité nue, somptueuse et ruinée, de la langue »6)
et la multiplication des « dramaticules ». Les spectacles
adramatiques fondés sur le texte et la parole, dans le succès
qu'ils rencontrent auprès de leur public, semblent le confirmer.
1Roland BARTHES, Le plaisir du texte , (s.l.), Editions du Seuil, 1973, p.23
2Valère
NOVARINA, Devant la parole,
Paris, POL, 1999, p. 27
3Valère
NOVARINA, « lire à 300 yeux, réponses à 13 questions de
Jean-Marie Thomasseau » in Théâtre, le retour du texte ?
Littératures n° 118, p. 9
4
Geneviève JOLLY, Muriel PLANA, « théâtralité » in
Poétique
du drame moderne et contemporain, Paris,
Etudes Théâtrales n° 22, 2001, p. 125
5Serge
REZVANI, Théâtre:
dernier refuge de l'imprévisible poétique. Arles,
Actes Sud papiers, 2000, p. 115
6
Denis GUENOUN,,Actions
et acteurs, raisons du drame sur scène,
Paris, Belin, coll. L'extrême contemporain, 2005, p. 28)