Ma rumination sur le texte au théâtre (cf article précédent) me conduit à publier à nouveau un extrait du mémoire réalisé par une amie...
Hans-Thies
Lehmann1
note
que, si le théâtre visuel a dominé dans les années 1980, un
rapprochement au texte s'effectue au cours des années 1990. Dans le
théâtre postmoderne et postdramatique, l'importance du geste et du
mouvement avait souvent conduit à une utilisation du texte comme
matériau sonore, tournant résolument le dos au mot de Gaston Baty
« sire le mot ».
Hans-Thies
Lehmann va même plus loin, envisageant la possibilité d'une
nouvelle ère de présence du texte pour lui-même. « Un
théâtre avec des textes poétiques dans lesquels quasiment aucune
action n'est illustrée, ne définit plus seulement une « extrême »,
mais une dimension primordiale de la nouvelle réalité du théâtre ».
« Celle-ci naît d'une intention différente de celle d'être
un revenant poétisé, même raffiné, le double d'une réalité
autre . »2
Marie-Madeleine
Mervant-Roux aboutit à une constatation semblable, à partir d'une
analyse du travail de Claude Régy sur Mélancholia
: « On
a en quelque sorte affaire à un autre « texto centrisme »
à un texto centrisme de type nouveau, consistant à développer ce
qui appartient à l'écriture, ce qui en constitue le mouvement
interne, à partir d'un fragment qui le contient et le condense ».3
Plus que du texte, je serais
tentée, dans cette partie, de parler du Verbe, dans la mesure où
le vocable englobe à la fois les mots et leur prononciation. La
mise en voix importe autant que le texte lui-même dans les
spectacles adramatiques objets de mon étude, car il est difficile de
trouver une ligne commune, au niveau littéraire, aux textes qui
servent de base à mon corpus de spectacles (textes poétiques,
œuvres initialement dramatiques mais utilisées tronquées,
dialogues écrits dans l'urgence d'un pari d'écriture).
La
parole, le Verbe, revêt un caractère sacré dans nos civilisations.
Dans la mythologie égyptienne, (selon la cosmogonie memphite), Ptah,
le dieu créateur, imagina le monde par la pensée mais lui insuffla
la vie en nommant ses créatures une par une. Dans
beaucoup d'autres religions, la parole, le langage sont antérieurs à
toute forme de vie : « Au début était le Verbe ».
Dans la Genèse, Adam nomme les animaux créés par Dieu et leur
donne ainsi une existence. Il y a une fonction « poétique »,
au sens « créateur », de la langue. La parole est ce qui
fait naître pour nous les choses, qui les amène à notre
connaissance (co-naissance). Parler les choses c'est les introduire
dans notre vie, pour que nos existences deviennent concurrentes.
Valère Novarina déclare même que « Les mots précèdent les
choses ; au commencement il y a leur appel »4
Détruire l'union des hommes, c'est les condamner à ne pas se
parler, à ne plus communiquer, comme dans la Tour de Babel.
1Hans-Thies
LEHMANN, Le Théâtre postdramatique,
Paris, L'arche, 2002
2Hans-Thies
LEHMANN, Le Théâtre postdramatique,
Paris, L'arche, 2002, p. 49
3Marie-Madeleine
MERVANT-ROUX, Un dramatique post-théâtral? Des récits en quête
de scène et de cette quête considérée comme forme moderne de
l'action, in L'annuaire
Théâtral , N° 36, 4e
trimestre 2004, p. 21
4
Valère NOVARINA, Devant la parole,
Paris, POL, 1999, p. 25