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lundi 6 juin 2016

le Verbe au théâtre 2

(suite de l'article commencé le vendredi 3 juin)

Qu'est-ce que la voix, dans cette optique ? « Par une illusion constitutive pour la culture européenne, la voix semble surgie directement de l'âme. »1 déclare Hans-Thies Lehmann. La voix, c'est la manifestation du Dieu, de l'oracle, c'est le support de la sentence du juge au tribunal. Elle porte en elle une part de magie parce qu'elle s'appuie sur le souffle, l'  « anima » du latin, symbole de vie et d'âme. La voix est l'expression de l'âme et parce qu'elle s'appuie sur la respiration, elle nous donne l'impression de nous mettre en contact avec la part la plus intime du l'interprète, sans médiatisation.
« Voilà donc ce qu'ils viennent faire au théâtre : voir le passage du texte dans des corps. Curieuse idée. »2 , s'étonne Denis Guénoun, qui découvre dans le spectacle un « moment où, par l'oreille aussi, se fait l'épreuve de l'apparaître-là d'un corps- d'un souffle, d'une voix. »3
« Nous tenons qu'au théâtre, c'est la langue qui doit faire spectacle, principalement. »4 ajoute-t-il encore. « La langue fait spectacle, c'est à dire qu'elle se donne à voir et à entendre et qu'elle se donne à imaginer (qu'elle permet l'élaboration d'images mentales d'une indéniables subtilité) ». La langue devient le premier et peut-être le seul vrai personnage de la représentation .
« L'événement du théâtre, c'est premièrement l'avènement de la langue comme objet. »5 proclame Jean-Pierre Siméon. « Le plus exceptionnel de la langue au théâtre, c'est sans doute en effet, que, pour un coup, on la voit. »6
Homme de théâtre et poète se rejoignent sur cet avènement de la langue comme phénomène théâtral, étayés dans leur réflexion par une citation de Hans-Thies Lehmann, à nouveau :
« Si les aspects de la langue et du corps « collés » autrefois dans le théâtre se scindent, si l'interprétation d'un rôle et l'adresse au public sont traités en réalités autonomes, si l'espace sonore se distingue de l'espace de jeu, alors s'offrent de nouvelles chances de représentation à partir de l'autonomisation des niveaux particuliers. »7
Souvent comme le remarque cet auteur8, ces formes de spectacles s'orientent donc vers une « monologie », qui refuse la double communication, base du théâtre dramatique (acteur-acteur et acteur-public) pour se réduire à une forme de confidence, à sens unique, de l'acteur au public. Mais la parole d'un dieu n'est pas non plus dialogue.
Ce verbe et cette voix sont pourtant très éloignées des formes théâtralisées réclamées par le symbolisme, les rêves de Maeterlinck d'un acteur sans corps réduit à une voix, que reprennent des metteurs en scène contemporains comme Denis Marleau ou Claude Régy.



1Hans-Thies LEHMANN, Le Théâtre postdramatique, Paris, L'arche, 2002, p.240
2Denis Guenoun, L'exhibition des mots et autres idées du théâtre et de la philosophie, Paris, Circé/poche, 1998, p. 34
3Denis Guenoun, L'exhibition des mots et autres idées du théâtre et de la philosophie, Paris, Circé/poche, 1998, p. 39
4Jean-Pierre SIMEON, Quel théâtre pour aujourd'hui ? Petite contribution au débat sur les travers du théâtre contemporain., Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2007, p. 59
5Jean-Pierre SIMEON, Quel théâtre pour aujourd'hui ? Petite contribution au débat sur les travers du théâtre contemporain., Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2007, p. 59
6Jean-Pierre SIMEON, Quel théâtre pour aujourd'hui ? Petite contribution au débat sur les travers du théâtre contemporain., Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2007, p. 60
7Hans-Thies LEHMANN, Le Théâtre postdramatique, Paris, L'arche, 2002, p. 74

8Hans-Thies LEHMANN, Le Théâtre postdramatique, Paris, L'arche, 2002, p.201