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jeudi 21 avril 2016

la chanteuse

Elle chante.
Elle est chanteuse. Chanteuse professionnelle.
Elle se produit sur scène. Sur la scène des petits villages, pendant les repas des anciens, à la campagne, dans les soirées d'après vide-grenier. Elle fait aussi les thés dansants...
Sa gloire, elle la tire de participations anciennes à une émission d'après-midi depuis longtemps déprogrammée. Une émission que seuls les inactifs pouvaient regarder, il y a 30 ans.
Son répertoire est leur reflet. Ses chansons ont selon les uns le parfum de lavande des grands-mères endormies ou l'odeur de naphte d'un passé embaumé. Elle invite à des danses dont les dictionnaires parfois se souviennent.
Elle rit et semble s'amuser. Un accessoire dérisoire, boa vert, cape étriquée rose fourrée de petits nœuds lui donnent l'impression qu'elle est Dalida ou Régine.
Elle chante tout de la même voix de miel. Les rythmes, les ruptures s'émoussent dans une bienheureuse harmonie. On ne sent pas la différence entre Eddy Mitchell et Patachou ou Mireille. Pour Edith Piaf, elle essaie de rouler les R, pour donner une couleur locale...
Joue-t-elle un double jeu ? S'y est-elle laissé prendre ? Croit-elle encore ? Ou lutte-t-elle derrière le masque ?
Le public la regarde un peu, l'écoute moins. Les conversations se poussent de la voix pour couvrir le bruit. De temps en temps, elle monte la sono. Parler devient impossible, alors on se fait signe : « dès qu'elle a fini, on reprend ce qui nous intéressait ». Le soulagement explose plus que les applaudissements.
Elle est tragique. Risiblement tragique ? Atrocement tragique ?

Elle est chanteuse, comme les femmes qui sont danseuses parce qu'elles se produisent dans un Peep-show.