Cet article est la suite de deux autres parus précédemment. Le propos est de voir dans quelle mesure un spectacle basé uniquement sur la transmission d'un texte non narratif, non dramatique peut constituer une forme de théâtre, dans quelle mesure,il relève de la théâtralité.
Le
quatrième spectacle est un « juke-box » organisé
par David Lescot, toujours pour un « samedi de la Comédie »,
en mai 2009, en parallèle à une série de représentations de
L'Européenne.
Les parcipants s'étaient répartis pour l'après-midi en deux
groupes (comme pour le spectacle « les Yeux bandés »),
l'un avait mis en jeu quelques passages de la pièce, l'autre avait
écrit sous la conduite de David Lescot une scène de rencontre ou de
rupture avec pour contrainte un décompte syllabique. Après la pause
destinée à synchroniser les deux groupes autour d'une boisson et de
petits gâteaux locaux, chacun s'était dirigé, tasse ou verre à la
main, au milieu des conversations curieuses de ce que les autres
avaient fait, vers le « BAR de la Comédie », un lieu
légèrement en sous-sol. Fauteuils club, tables et chaises
contemporaines à déplacer selon l'instinct de l'occupant, tabourets
haut perchés devant le comptoir. Eclairage artificiel diffus et en
fond un mur courbe, aux vitres donnant sur le jardin de l'Arboretum.
David Lescot s'est installé à proximité de cette lumière
naturelle, place imposée aussi par la présence de prises
électriques pour une guitare également électrique. Les
participants ne pouvaient le voir qu'à contre-jour. Il a exposé le
principe de l'intervention qu'il allait faire. Une personne du public
lançait un mot, une idée, un stimulus. David Lescot associait le
mot à l'un des textes qu'il avait apportés, essentiellement son
répertoire d'auteur. Il situait l'extrait, puis le lisait, demandait
ensuite à l'ensemble du public s'il était satisfait de sa
« réponse » et justifiait le choix qu'il avait fait. Il
a ainsi lu des extraits de L'augmentation,
Théâtre à la campagne, L'instrument à pression, et
d'autres textes moins connus ou inédits, chanté
une des chansons de Commission
Centrale de l'Enfance, joué
un air à la trompette, mais il a résolument évité, malgré les
tentatives des quémandeurs, de donner à entendre un extrait de
L'Européenne
qui
se jouait le soir-même.
Enfin le cinquième et dernier
spectacle qui constituera mon corpus, est un « bal littéraire »
qui a été donné place Saint-Sulpice, dans le cadre de la « Foire
au Théâtre », en mai 2010. Il avait été organisé par le
collectif qui s'était formé autour de Fabrice Melquiot à la
Comédie de Reims, collectif qui a émigré au Théâtre de la Ville
« La coopérative d'écriture ». Cinq auteurs - Fabrice
Melquiot, Samuel Gallet, Rémi de Vos, Yves Nilly et Nathalie Fillion
– y participaient. Ils avaient écrit dans l'après-midi dix
passages scénarisés constituant l'introduction de dix chansons (la
plupart en anglais) destinées à faire danser les participants. Les
cinq auteurs devenus acteurs de leur texte se tenaient derrière des
micros, sur une estrade, feuille à la main, lançant les parties
chantées sur un ordinateur portable, tandis que le public se
rassemblait sur une piste de danse ménagée devant, piste de danse
qui s'avéra assez vite trop exiguë. Entre deux danses, on
s'asseyait où l'on pouvait, souvent à même le sol, et les
non-danseurs se trouvaient couverts de sacs et de manteaux dès qu'il
fallait occuper en mouvement l'aire de danse. Le texte assez
incohérent et confus mêlait les micro-événements survenus
l'après-midi (le passage de Catherine Deneuve), les lieux (le
chantier autour de l'église), le contexte (une troupe de théâtre
amateur cherchait un texte contemporain), des personnages d’événements politiques lus dans un journal (une révolte en
Thaïlande). Je n'avais pas choisi ce spectacle au départ de mes
recherches. Mais les découvertes que j'y ai faites me semblant
ouvrir des pistes autres et conforter certaines de mes spéculations,
je l'ai préféré à un spectacle de Claude Guerre à la Maison de
la Poésie (qui faisait un peu double emploi avec celui de Maxime
Dejoux).
On pourra me reprocher de ne pas
avoir consacré une partie de mes recherches aux banquets
littéraires. J'en suis tout à fait consciente. J'ai assisté, il y
a trop longtemps pour que je puisse m'y référer, à deux banquets,
inspirés du Moyen Age organisés à la Comédie de Reims et dont je
garde surtout des souvenirs gustatifs. J'ai eu l'occasion de faire un
stage sur cet exercice difficile et j'ai participé, en tant que
comédienne, à quelques banquets bien modestes, en milieu rural. Il
me semble que je suis à la fois trop concernée et trop distante
pour procéder à une analyse objective. Je crois cependant que des
ressemblances existent avec les spectacles que j'évoque dans ce
corpus. Il pourrait s'avérer intéressant de consacrer aux
« banquets littéraires » une étude spécifique.