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vendredi 12 février 2016

recherche le théâtre du texte (1)

Je publie aujourd'hui et avec son accord, les extraits d'une recherche d'une étudiante de master à la Sorbonne Nouvelle sur différentes formes de performance du texte. Il s'agit d'un travail très long, que je vous communiquerai tout au long de l'année, je pense, à période plus ou moins régulière. 



J'ai choisi pour bâtir ma réflexion et pour alimenter d'exemples ce mémoire de master cinq spectacles, très différents les uns des autres. Ils s'échelonnent sur une dizaine d'années et se sont déroulés dans des conditions très disparates. Il serait facile de croire, si l'on voulait les comparer dans leur simple présentation, à une dispersion et un éparpillement. Je vais m'efforcer dans le développement de ce mémoire de démontrer combien ils sont parents et combien ils tendent tous dans une direction qui est la recherche ou l'exploitation d'une nouvelle théâtralité.
On remarquera que trois d'entre eux ont eu lieu à Reims, dans le cadre du Centre Dramatique Nationale « La Comédie de Reims » et qu'un quatrième, bien qu'ayant eu lieu à Paris, était animé par plusieurs membres du collectif artistique formé à Reims pour la création de ce type de spectacle.
Le passage de Christian Schiaretti et la résidence, à sa demande, du poète Jean Pierre Siméon à Reims semblent avoir créé dans la ville un besoin de ces formes atypiques, qui après avoir surpris, ont trouvé un public, avant de s'expatrier heureusement vers d'autres théâtres.
J'ai pris l'option de ne pas traiter de la lecture publique. D'une part parce que le thème a déjà été abordé dans d'assez nombreuses publications (un numéro de Théâtre(s) en Bretagne lui est exclusivement consacré) ; d'autre part, parce que les lectures se sont largement vulgarisées ces dernières années, devenant un phénomène de mode, reconnu officiellement comme un acte théâtral (je n'en citerai comme preuve que la lecture des Liaisons dangereuses de Chaderlos de Laclos - dans l'adaptation de Samuel Becket Quartet - par Jeanne Moreau et Samy Frey en Avignon en 2007, la lecture faite par Olivier Cadiot dans la cour d'honneur du Palais des Papes en 2010 d'un de ses textes joué parallèlement dans le festival In (un mage en été), ou encore le travail plus ancien de Antoine Vitez sur les Cloches de Bâle de Louis Aragon, Catherine. Des festivals entiers de littérature ou de théâtre accordent une part belle aux lectures, plus ou moins théâtralisées, « Paris en toutes lettres » par exemple ; enfin, parce que la « lecture » a aujourd'hui pris tant de formes différentes et touche un public si diversifié dans des conditions si hétérogènes qu'elle mériterait une étude spécifique, alliant littérature, histoire et sémiologie, remontant par exemple aux dimanches que lui consacrait Jacques Copeau au Vieux Colombier.
Venons en donc aux cinq représentation qui constitueront mon corpus.
Le premier spectacle choisi, intitulé, Les poètes du tango, marquait un des temps forts du festival « Reims à scène ouverte » de 2006. Sa mise en scène et en espace déjà très élaborée indiquait que Emmanuel Demarcy-Mota y voyait un spectacle digne de porter sa signature : jeux de lumières dans les clairs-obscurs, dominante de camaïeu de gris et de noir, lumières traitées en faisceaux... Malgré le respect du temps de montage limité, règle du jeu de ces rencontres autour de la poésie et de la langue, on voyait nettement que le travail avait fait l'objet d'une attention toute particulière. Je ne veux pourtant retenir de cette représentation que ce qui lui échappait finalement. Je laisserai de côté les alcôves ménagées où les comédiens récitaient leur texte, les chansons et les danses réalisées dans la grande salle finale, pour ne parler que des conditions strictes du spectacle.

Fin d'après-midi d'hiver, dans la nuit qui tombe, nous attendions sous la neige et dans le vent qu'un autocar du service municipal vienne nous prendre devant la porte du CDN. La vérification des billets avait lieu sur le parvis. L'attente et le froid déliaient les langues et soudaient les groupes d'anciens combattants des spectacles précédents. Nous nous sommes engouffrés finalement dans deux bus. Les véhicules ont parcouru un long trajet, dont nous ne pouvions rien deviner à cause de la buée et de la nuit. Les virages se succédaient malmenant les gens trop serrés. Nous sommes arrivés devant ce qui semblait un entrepôt en ruines. Pas de toit pour nous abriter et des murs écroulés qui ne nous protégeaient guère de la bise. Nous nous sommes dirigés vers des voix et des lumières aperçues un peu plus loin. Le public se déplaçait d'un point à un autre au fur et à mesure de la progression du spectacle. Nous étions transis. Soudain, une odeur de cannelle, d'orange et de vin. Dans la salle suivante, nous nous sommes précipités sur cette source de chaleur à prendre en soi, et nous avons siroté notre boisson pendant que les acteurs continuaient leur texte. Enfin nous sommes arrivés dans une salle digne d'un film sur la fin des temps : des tables et des chaises grises ou couvertes de linges blancs, des tissus blancs aussi sur les tas de gravats amoncelés sur les côtés, gradins de fortune. Un accordéon jouait. Les chants ont succédé aux récitations, certains acteurs dansaient, bientôt suivis par les plus téméraires des spectateurs (le tango ne s'improvise pas) pour un bal improbable alliant poésie et rythmes latins. Les autocars qui nous attendaient à la sortie nous ont ramenés très rapidement au CDN, beaucoup plus vite qu'à aller, ne se perdant plus dans des détours superflus.