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mercredi 10 février 2016

recherche le théâtre du texte (2)

Cet article fait suite à celui publié il  y a quelques  jours. Il s'agit de la présentation des spectacles sur lesquels a porté la recherche. 

Le deuxième est un spectacle donné par Maxime Dejoux dans le cadre du Festival Off d'Avignon en juillet 2009, intitulé Ta peau ici. Il s'agissait d'un montage de textes écrits pour la circonstance (le spectacle avait déjà eu lieu dans une médiathèque), des textes essentiellement poétiques, en vers libres, parfois proches de la prose rythmée, auxquels se mêlaient des chants en français et en d'autres langues, ainsi que de grandes psalmodies en arabe. Le comédien avait investi une petite placette à l'arrière du Palais des Papes. Les badauds s'arrêtaient, intrigués d'abord par la vue de ce jeune homme accroché dans un évidement de la muraille, puis plus tard dans le cours de la représentation par la voix et l'investissement de l'acteur. Un comparse marchait le long de la ruelle portant un panneau « Silence, merci, spectacle en cours ». Les passants qui choisissaient de devenir public, s'installaient sur des murets, des bacs à plantes, ou directement sur le sol. Dès le deuxième jour, des tapis avaient été posés sur le macadam, matérialisant une zone d'écoute ou de regard, mais la majorité des gens ne l'occupait pas, préférant se garder l'issue d'un départ rapide. Maintenir un quota de spectateurs appartenait à la gageure. Pendant un peu plus d'une heure Maxime Dejoux apostrophait le public, l'exhortant à la poésie et à l'épicurisme, entre offrande du plaisir du texte et harangue. Il descendait assez vite de son encorbellement-perchoir pour se rapprocher du public, voire lui murmurer un texte, une phrase à l'oreille qui échappait aux autres et que l'on ne pouvait imaginer qu'au regard du spectateur élu. J'ai gardé ce spectacle dans mon corpus parce qu'il appartenait au festival off et qu'à ce titre il bénéficiait d'une estampille « théâtre », parce que le lieu et le concept correspondait à l'objet de ma recherche et parce qu'il apportait une preuve que ce type de représentation avait maintenant gagné une place également dans la rue.

Le troisième spectacle est un « les yeux bandés, l'oeil écoute », organisé à Reims, un samedi après-midi, dans le cadre des « Samedis de la Comédie », mis en place par Emmanuel Demarcy-Mota et Fabrice Melquiot. Il rassemblait pour « la cerise sur le gâteau », la récompense deux groupes de volontaires qui avaient travaillé les uns sur la mise en jeu de « Casimir et Caroline » et les autres sur la transposition d'un texte de Mallarmé au sein d'un atelier d'écriture. Le principe de ce spectacle a été conçu (c'est du moins ce qu'ils revendiquent) par Melquiot et Demarcy-Mota. Les spectateurs s'installent sur des chaises alignées sur le plateau. Les rangées sont doubles, un spectateur a des voisins à sa droite, à gauche, mais aussi derrière lui. Quelques privilégiés occupent les gradins (généralement les metteurs en jeu, des journalistes ou des comédiens qui ne participent pas au spectacle). Quand le public est assis, les comédiens l'invitent à se bander les yeux avec un tissu noir très épais qui se trouve sur le dossier de la chaise. Ils s'assurent rapidement que les spectateurs sont aveugles et le spectacle commence. Réduite à l'audition, la perception du spectateur est aiguisée, on suit le bruit des déplacements des comédiens autant que le texte qu'ils donnent. On s'accroche aux réactions des autres. Des « instrumentistes » qui ne jouent pas le texte provoquent des réactions par surprise, créant des odeurs, des sensations tactiles (eau, tissus de soie ou branches de sapin...). Le texte se déroule sans pause, les changements de décors, d'acte, les didascalies sont lues de façon neutre par un comédien, alors que le reste de la pièce est interprété, je dirais « invoqué » ou « emphoné » puisque le mot « incarné » ne convient pas ici. Il s'agissait d'une œuvre inachevée de Horvath. La fin de la représentation est indiquée par un comédien. Le public est invité à retirer le bandeau et à le reposer là où il l'avait trouvé. Les spectateurs confrontés à la lumière plein jour du plateau sont applaudis par les comédiens, avant que le rapport traditionnel ne se rétablisse. La distribution est alors donnée, les comédiens prononcent quelques mots (qui permettent de les reconnaître) et montrent les artifices dont ils se sont servis pour les sensations.