Cet article fait suite à celui publié il y a quelques jours. Il s'agit de la présentation des spectacles sur lesquels a porté la recherche.
Le
deuxième est un spectacle donné par Maxime Dejoux dans le cadre du
Festival Off d'Avignon en juillet 2009, intitulé Ta
peau ici. Il
s'agissait d'un montage de textes écrits pour la circonstance (le
spectacle avait déjà eu lieu dans une médiathèque), des
textes essentiellement poétiques, en vers libres, parfois proches de
la prose rythmée, auxquels se mêlaient des chants en français et
en d'autres langues, ainsi que de grandes psalmodies en arabe. Le
comédien avait investi une petite placette à l'arrière du Palais
des Papes. Les badauds s'arrêtaient, intrigués d'abord par la vue
de ce jeune homme accroché dans un évidement de la muraille, puis
plus tard dans le cours de la représentation par la voix et
l'investissement de l'acteur. Un comparse marchait le long de la
ruelle portant un panneau « Silence, merci, spectacle en
cours ». Les passants qui choisissaient de devenir public,
s'installaient sur des murets, des bacs à plantes, ou directement
sur le sol. Dès le deuxième jour, des tapis avaient été posés
sur le macadam, matérialisant une zone d'écoute ou de regard, mais
la majorité des gens ne l'occupait pas, préférant se garder
l'issue d'un départ rapide. Maintenir un quota de spectateurs
appartenait à la gageure. Pendant un peu plus d'une heure Maxime
Dejoux apostrophait le public, l'exhortant à la poésie et à
l'épicurisme, entre offrande du plaisir du texte et harangue. Il
descendait assez vite de son encorbellement-perchoir pour se
rapprocher du public, voire lui murmurer un texte, une phrase à
l'oreille qui échappait aux autres et que l'on ne pouvait imaginer
qu'au regard du spectateur élu. J'ai gardé ce spectacle dans mon
corpus parce qu'il appartenait au festival off et qu'à ce titre il
bénéficiait d'une estampille « théâtre », parce que
le lieu et le concept correspondait à l'objet de ma recherche et
parce qu'il apportait une preuve que ce type de représentation avait
maintenant gagné une place également dans la rue.
Le
troisième spectacle est un « les yeux bandés, l'oeil
écoute », organisé à Reims, un samedi après-midi, dans le
cadre des « Samedis de la Comédie », mis en place par
Emmanuel Demarcy-Mota et Fabrice Melquiot. Il rassemblait pour « la
cerise sur le gâteau », la récompense deux groupes de
volontaires qui avaient travaillé les uns sur la mise en jeu de
« Casimir
et Caroline »
et les autres sur la transposition d'un texte de Mallarmé au sein
d'un atelier d'écriture. Le principe de ce spectacle a été conçu
(c'est du moins ce qu'ils revendiquent) par Melquiot et Demarcy-Mota.
Les spectateurs s'installent sur des chaises alignées sur le
plateau. Les rangées sont doubles, un spectateur a des voisins à sa
droite, à gauche, mais aussi derrière lui. Quelques privilégiés
occupent les gradins (généralement les metteurs en jeu, des
journalistes ou des comédiens qui ne participent pas au spectacle).
Quand le public est assis, les comédiens l'invitent à se bander les
yeux avec un tissu noir très épais qui se trouve sur le dossier de
la chaise. Ils s'assurent rapidement que les spectateurs sont
aveugles et le spectacle commence. Réduite à l'audition, la
perception du spectateur est aiguisée, on suit le bruit des
déplacements des comédiens autant que le texte qu'ils donnent. On
s'accroche aux réactions des autres. Des « instrumentistes »
qui ne jouent pas le texte provoquent des réactions par surprise,
créant des odeurs, des sensations tactiles (eau, tissus de soie ou
branches de sapin...). Le texte se déroule sans pause, les
changements de décors, d'acte, les didascalies sont lues de façon
neutre par un comédien, alors que le reste de la pièce est
interprété, je dirais « invoqué » ou « emphoné »
puisque le mot « incarné » ne convient pas ici. Il
s'agissait d'une œuvre inachevée de Horvath. La fin de la
représentation est indiquée par un comédien. Le public est invité
à retirer le bandeau et à le reposer là où il l'avait trouvé.
Les spectateurs confrontés à la lumière plein jour du plateau sont
applaudis par les comédiens, avant que le rapport traditionnel ne se
rétablisse. La distribution est alors donnée, les comédiens
prononcent quelques mots (qui permettent de les reconnaître) et
montrent les artifices dont ils se sont servis pour les sensations.