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lundi 23 février 2015

Le stéréoscope des solitaires - critique


Après plusieurs mois sans représentations provocatrices de réflexions (à part un Guignol à Lyon- joli moment obtenu malgré l'employée de l'office de tourisme qui refusait de me renseigner parce que j'étais une adulte et qu'il est impensable qu'un adulte assiste à un spectacle pour enfant...)

Après un temps de vide donc, me voici avec plusieurs choses (je ne sais pas si le mot « pièce de théâtre » convient) à commenter.

Le bouleversant Vortex de Phia Ménard … (voir article)

Et aujourd'hui Le stéréoscope des solitaires de Juan Rodolfo Wilcock, dans une mise en scène de Ingrid von Wantoch Rekowski .

La représentation a lieu dans un espace réduit, comme Vortex (la comparaison s'arrête là). Tout se concentre sur la piste d'un cirque historique, 4 musiciens sont installés à 4 points cardinaux dans les gradins.

On rentre par groupes de 6 personnes, pour faciliter la fluidité. Je ne pense pas que nous dépassions la soixantaine de spectateurs.

Je suis tentée de mettre entre guillemets tous les mots que j'emploie.

Y a-t-il spectacle ? Y a-t-il installation ? Y a-t-il des acteurs ? Des danseurs ? Y a-t-il des spectateurs ? Seuls les musiciens ont une existence repérée et repérable, même s'ils adoptent des gestes de robots très stéréotypés et pauvres de signification.

Réglons tout de suite ce qui concerne la musique : il s'agit d'une composition contemporaine très crissante et qui tire parti des grincements pour les cordes, de la rupture soudaine pour les cuivres. Intéressante. (dans un autre contexte)

Et revenons à notre cheminement de spectateur (?). On entre directement dans un amoncellement de cartons blancs qui a dû demander un travail colossal. Une piste se crée, très étroite entre les piles ; elle guide et égare dans un espace chaotique. Des objets, rares, sont placés ici ou là. On ne saurait dire s'il s'agit de récup (il existe des créations merveilleuses issues de ce principe de modification d'objets abandonnés) ou si ce sont de vrais objets laissés à l'abandon à moitié cassés et vaguement rafistolés.. On les retrouve parfois à l'intérieur des cartons par un jeu d'ouvertures rectangulaires, aléatoires et variables.Ce sont souvent les mêmes (une cuillère aplatie, un tortillon de métal, une râpe à fromage). Quelques uns sont éclairés. On reste dans des tons allant du marron au noir, passant par le gris. Monde de l'étrange ? Pour dire que les personnages sont brisés ? La métaphore serait trop banale et trop facile. Quelques autres objets relatifs au temps, encore métaphore usée et plaquée...

Au hasard d'un angle on découvre un comédien affublé d'un masque magnifique. Il est figé, statue dont on sent qu'elle va s'animer. Il y a un pingouin, une chèvre, un rat, une grenouille, un renard d'une grande beauté. Face d'animal et corps d'humain au costume déterminé (long manteau, pull et sac à dos..) On pense à Grandville ou à des personnages de Benno Besson, Porras ou Arias... Mais vite le souvenir s'interrompt. Il y a aussi un autre personnage, sans masque, dans une combinaison fluide blanche. A la sortie, elle sera dans les conversations « le caniche », alors que les autres seront « celui qui avait un masque de.... » Une inversion ? Le seul à avoir une apparence humaine est un animal et ceux qui sont travestis sont sentis humains cachés par un masque.

Que faire avec eux ? Font-ils partie de l'installation ? Faut-il s'attendre à une amorce de jeu ? Une complicité ou une opposition. Ils sont simplement là, se déplaçant dans le labyrinthe ? Nous faut-il les découvrir ou les éviter comme dans pacman ? (le même lieu avait servi pour les terres sensorielles de Julie Rothhahn où la rencontre était voulue et programmée). On s'évite aussi entre spectateurs...

Le texte, limité à une douzaine de nouvelles, est présent sous forme de photocopies au format A5 en pile sur des cartons ou cloués sur les mêmes cartons. C'est au spectateur de les lire (en silence merci, il y a de la musique), bousculé, encombrant un passage, interdisant la circulation des autres. La lumière est parcimonieuse, la police est petite. Il est peu agréable de lire. Je retombe toujours sur les 4 mêmes textes, intéressants, mais avais-je besoin de toute cette installation pour en savourer la finesse, le surréalisme ?

Lasse, je me replie sur les gradins déjà partiellement occupés. Vu de plus haut les cartons donnent l'impression d'une ville. Des variations de lumière y simulent l'écoulement des jours (Voilà pourquoi la lumière me manquait quand je voulais lire...). Assez vite, il n'y a plus dans le labyrinthe que les comédiens masqués et le caniche. Brusquement je me dis que cela pourrait créer du jeu, avoir une existence. Et si …

Ma réflexion est interrompue par ma voisine qui me demande « vous croyez qu'on peut partir ? » Déjà entendu pour John Foss. Nous nous levons. Arrêt, comme la statue du commandeur, la metteur en scène se tient devant la seule issue possible. Nous nous rasseyons le plus naturellement possible. Elle descend et va déambuler quelques minutes avec les comédiens puis remonte sur les gradins et s'assoit. La musique s'interrompt. Silence

Silence et nouvelle fixité dans le labyrinthe. Silence en bas et silence dans les gradins, un silence qui dure dans la gêne, la culpabilité d'avoir voulu échapper ? D'être assis au lieu de s'égarer dans le micro-labyrinthe ?

Un applaudissement, seul, unique, qui ne trouve pas d'écho. C'est Ingrid von Wantoch Rekowski qui applaudit, un siège me sépare d'elle. Un autre applaudissement de l'autre côté, puis d'autres, de soulagement.

C'est fini ? Cela a-t-il commencé ?