Je voudrais revenir sur les 3 derniers
« inclassables » que j'ai vus ? Auxquels j'ai
participé ? En tant que spectateur ?
Dès le départ, je me sens en
désaccord avec les mots que je suis contrainte d'employer.
Rappelons donc les trois shows (le mot
anglais va provisoirement me faciliter la tâche) :
- Vous pouvez aller relire les articles
correspondant dans les archives.
La nouvelle carte
de Julie Rothhahn
Vortex de
Phia Menard
Le stéréoscope des solitaires
Ingrid van Wantoch
J'associe
chaque show avec son créateur parce que dans les 3 cas, il n'y a pas
de texte préexistant (sauf dans Le stéréoscope, mais
si loin). Celle qui
porte, il s'agit dans tous les cas d'une femme, celle qui porte donc
la responsabilité complète est la metteur en scène -créatrice.
Je ne poserai pas
de question sur la théâtralité des formes représentées, cela
nous mènerait trop loin, Pas plus que celle de la dramaticité,
puisqu'on ne peut pas vraiment parler de drame.
Je voudrais plutôt
me concentrer sur ma « fonction », mon « statut »
de spectateur dans les 3 représentations. Quel que soit le
spectacle, mon statut de spectateur est plus ou moins malmené et
exige de me redéfinir, individuellement et dans mon appartenance à
une collectivité.
En effet, une des
particularités reconnues du théâtre, et du spectacle vivant d'une
manière plus générale, est de fédérer une communauté de
regardants, par opposition au cinéma où le spectateur se fait
happer par l'écran et vit en empathie avec les personnages. Au
théâtre, on a toujours le double-jeu du faire sembler d'y croire.
(je vous renvoie notamment aux travaux de Marie-Madeleine
Mervant-Roux). Dans les 3 cas, je n'ai pas eu l'impression de faire
partie d'une communauté.
Même s'il faut
établir une gradation dans cette sensation.
Dans Vortex, les
rituels d'installation étaient maintenus. Nous attendions dans la
salle (mais devant le rideau), les conversations traditionnelles
s'étaient mises en place. Nous sommes entrés au moment choisi par
Phia Menard. Son travail très proche de la performance suppose un
minutage précis pour ne pas la mettre en risque vital. Ensuite, la
forme circulaire de l'espace de jeu concentre les regards tout en
laissant la possibilité de voir les autres. Je sens les émotions de
mes voisins. L'aspect performatif du spectacle m'oblige à
m'investir. La présence des autres est une garantie et une
protection. Je ne suis pas voyeur parce que j'appartiens à une
communauté convoquée.
La nouvelle
carte de Julie Rothhahn respectait la mise en place des rituels.
Ils étaient faussés au moment où, la brume qui recouvrait l'arène
du cirque s'élevait, laissant apparaître des îlots à découvrir.
Je l'ai déjà expliqué dans le précédent article, le voyage vers
ces îlots était individuel et personnel. Mais il y avait contacts
et échanges, avec les serveurs, avec les autres
dégustateurs-voyageurs. Le chemin était commun, l'exploration
intime.
Le stéréoscope des solitaires
était la seule construction qui reposait sur un texte. Ce fut aussi
la seule qui me donna l'impression d'être à l'abandon. Les rituels
étaient cassés dès le début. L'entrée dans le labyrinthe se
faisait au compte-goutte. Très vite les groupes de 2 ou trois se
trouvaient égarés dans les différents cheminements. Quel était
mon rôle de spectateur ?
Devais-je
essayer d'entrer en jeu avec les personnages présents (comédiens
sous des masques) ? Devais-je modifier l'installation ?
Devais-je seulement déambuler ? Regarder ? Mais quoi ?
Devais-jre m'emparer des textes et les lire à haute voix ?
(cela était proposé dans la lecture de Thoreau – voir article
dans les archives -novembre 2013) Les autres spectateurs croisés ne
me renvoyaient qu'un désarroi semblable au mien. Est-ce mon désarroi
et mon égarement que les autres devaient regarder ? D'où ?
Il aurait fallu jouir du don d'ubiquité pour des gradins se voir
déambuler dans l'arène... Devais-je me montrer voyeur en regardant
dans toutes les petites fenêtres créées dans les boîtes ?
Cela devenait vite lassant.. La création de cet espace utopiste
prévoyait-il la venue d'étrangers ? C'est peut-être là la
plus grosse erreur de Ingrid Van Wantoch : avoir négligé le
partage avec le public.
Où
faut-il imaginer un théâtre poussé à l'extrême où le metteur en
scène serait à la fois, l'auteur, l'acteur et le seul spectateur ?
Cela a déjà été pressenti....