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lundi 2 mars 2015

quel spectateur

Je voudrais revenir sur les 3 derniers « inclassables » que j'ai vus ? Auxquels j'ai participé ? En tant que spectateur ?
Dès le départ, je me sens en désaccord avec les mots que je suis contrainte d'employer.
Rappelons donc les trois shows (le mot anglais va provisoirement me faciliter la tâche) :
- Vous pouvez aller relire les articles correspondant dans les archives.
La nouvelle carte de Julie Rothhahn
Vortex de Phia Menard
Le stéréoscope des solitaires Ingrid van Wantoch
J'associe chaque show avec son créateur parce que dans les 3 cas, il n'y a pas de texte préexistant (sauf dans Le stéréoscope, mais si loin). Celle qui porte, il s'agit dans tous les cas d'une femme, celle qui porte donc la responsabilité complète est la metteur en scène -créatrice.
Je ne poserai pas de question sur la théâtralité des formes représentées, cela nous mènerait trop loin, Pas plus que celle de la dramaticité, puisqu'on ne peut pas vraiment parler de drame.
Je voudrais plutôt me concentrer sur ma « fonction », mon « statut » de spectateur dans les 3 représentations. Quel que soit le spectacle, mon statut de spectateur est plus ou moins malmené et exige de me redéfinir, individuellement et dans mon appartenance à une collectivité.
En effet, une des particularités reconnues du théâtre, et du spectacle vivant d'une manière plus générale, est de fédérer une communauté de regardants, par opposition au cinéma où le spectateur se fait happer par l'écran et vit en empathie avec les personnages. Au théâtre, on a toujours le double-jeu du faire sembler d'y croire. (je vous renvoie notamment aux travaux de Marie-Madeleine Mervant-Roux). Dans les 3 cas, je n'ai pas eu l'impression de faire partie d'une communauté.
Même s'il faut établir une gradation dans cette sensation.
Dans Vortex, les rituels d'installation étaient maintenus. Nous attendions dans la salle (mais devant le rideau), les conversations traditionnelles s'étaient mises en place. Nous sommes entrés au moment choisi par Phia Menard. Son travail très proche de la performance suppose un minutage précis pour ne pas la mettre en risque vital. Ensuite, la forme circulaire de l'espace de jeu concentre les regards tout en laissant la possibilité de voir les autres. Je sens les émotions de mes voisins. L'aspect performatif du spectacle m'oblige à m'investir. La présence des autres est une garantie et une protection. Je ne suis pas voyeur parce que j'appartiens à une communauté convoquée.
La nouvelle carte de Julie Rothhahn respectait la mise en place des rituels. Ils étaient faussés au moment où, la brume qui recouvrait l'arène du cirque s'élevait, laissant apparaître des îlots à découvrir. Je l'ai déjà expliqué dans le précédent article, le voyage vers ces îlots était individuel et personnel. Mais il y avait contacts et échanges, avec les serveurs, avec les autres dégustateurs-voyageurs. Le chemin était commun, l'exploration intime.
Le stéréoscope des solitaires était la seule construction qui reposait sur un texte. Ce fut aussi la seule qui me donna l'impression d'être à l'abandon. Les rituels étaient cassés dès le début. L'entrée dans le labyrinthe se faisait au compte-goutte. Très vite les groupes de 2 ou trois se trouvaient égarés dans les différents cheminements. Quel était mon rôle de spectateur ?
Devais-je essayer d'entrer en jeu avec les personnages présents (comédiens sous des masques) ? Devais-je modifier l'installation ? Devais-je seulement déambuler ? Regarder ? Mais quoi ? Devais-jre m'emparer des textes et les lire à haute voix ? (cela était proposé dans la lecture de Thoreau – voir article dans les archives -novembre 2013) Les autres spectateurs croisés ne me renvoyaient qu'un désarroi semblable au mien. Est-ce mon désarroi et mon égarement que les autres devaient regarder ? D'où ? Il aurait fallu jouir du don d'ubiquité pour des gradins se voir déambuler dans l'arène... Devais-je me montrer voyeur en regardant dans toutes les petites fenêtres créées dans les boîtes ? Cela devenait vite lassant.. La création de cet espace utopiste prévoyait-il la venue d'étrangers ? C'est peut-être là la plus grosse erreur de Ingrid Van Wantoch : avoir négligé le partage avec le public.

Où faut-il imaginer un théâtre poussé à l'extrême où le metteur en scène serait à la fois, l'auteur, l'acteur et le seul spectateur ? Cela a déjà été pressenti....