La Comédie de Reims
organise actuellement un festival « guerre et paix ». La
ville de Reims est en tête numériquement et artistiquement des
manifestations liées à la commémoration de la Grande Guerre... Les
spectateurs y frôlent l'overdose : « Heureusement, on
n'en a que pour 4 ans... »
Ce week-end, j'y suis
allée pour assister à un débat formidable d'inepties. Il y avait
pourtant là un universitaire connu et reconnu....
Le débat s'intitulait
« l'art et la guerre ». Mais au vu des invités, il était
clair que ce serait plutôt « le théâtre et la guerre ».
J'ai souvent eu l'occasion de dire à quel point je regrettais
l'inculture (l'illettrisme serait sans doute un peu exagéré) de bon
nombre d'acteurs et de metteurs en scène. Quand ils interviennent
pour une interview, cette carence passe inaperçue, mais quand ils
participent à un débat …. autorisez-moi un silence de bienséance.
Nous avons pu ainsi
découvrir que la Grande Guerre était celle de Bosnie, que la seule
guerre actuelle se déroulait dans et à proximité des stades de
football, que la choralité était née du besoin de représenter la
guerre.
M. Lagarde a expliqué le
dilemme où il se trouvait à cause des attentats puisqu'il montait
une pièce qu'il avait commandée sur le terrorisme et que les
circonstances la rendaient injouable.
Je sais que les metteurs
en scène se croient démiurges, je les imagine plus utopistes, mais
ceux qui étaient présents sur le plateau étaient visiblement
persuadés que le monde naissait de leur œuvre programmée au
festival.
L'originalité de
« représenter » la guerre ? Eschyle Les
Perses : faire parler dans
un théâtre athénien les vaincus d'une bataille toute proche, les
montrer dans l'attente de l'issue d'un combat dont les spectateurs
connaissait la réalité, en faire une tragédie, pleine de
lamentations... Cela était fort et puissant.
Et
tous ceux qui ont traité la guerre dès la Révolution française et
les guerres napoléoniennes : Grabbe par exemple. Le théâtre
de la guerre n'est pas né au XX ème siècle. Que dire d'Homère ?
Ne faisait-il pas entrer la guerre dans les palais attiques, dans la
forme minimale que prenait le théâtre de l'époque ? Et les
gestes dans les châteaux médiévaux : Chanson de Roland ou
Geste de Raoul de Cambrai … La première parole non utilitaire a
peut-être été le récit d'un combat, d'une victoire....
Peut-on
parler de théâtre de la guerre sans évoquer Hanoch Levin, Le
Groupov, Hotel Modern...
Le
terrorisme ? Camus et Sartre en faisant jouer respectivement
Les justes et Les
mains sales se posaient-ils la
question de la bienséance ? N'y a-t-il plus dans le théâtre
le besoin d'urgence qu'il y avait à l'époque d'Eschyle ?
A-t-il perdu tout pouvoir de catharsis ?
Apporter
le rire dans le récit de la guerre... Mais que faire alors de la
somme théâtrale de Karl Kraus Les derniers jours de
l'humanité ? Écrit
pratiquement au jour le jour pendant la Grande Guerre, avec une
regard d'une ironie et d'insolence que n'auraient pas reniées les
plus engagés des journaux satiriques.
Quant
à la choralité, il suffit de lire les ouvrages de Jean-Pierre
Sarrazac, de Joseph Danan, de Jean-Pierre Ringaert, de Robert
Abirached et de tant d'autres, pour y voir non la solidarité des
combattants, mais une conséquence de la déliquescence du personnage
de théâtre et elle ne s'applique pas qu'au théâtre de la guerre.
M.
Banu fut autrefois mon professeur, je ne comprends pas comment il a
pu cautionner de telles aberrances, à quel prix ?
Je ne
suis pas allée voir les pièces proposées dans la suite de
l'après-midi et de la soirée. Mieux vaut perdre de l'argent que de
(à nouveau silence de bienséance)
Si
vous avez eu la chance de ne pas avoir fait des kilomètres , de ne
pas avoir assisté à ce pseudo-débat, je vous conseille, si le
sujet vous intéresse, trois excellents ouvrages de David Lescot :
Dramaturgies
de la guerre (Circé)
Une
guerre qui n'en finit pas. (Complexes eds)
Les
mises en scènes de la guerre (Nouveau Monde éditions)
Vous
pouvez aussi lire ses pièces de théâtre. C'est un auteur à ne pas
omettre....