Comment vous parler de ce
que j'ai vu ? Un spectacle ? Un rêve éveillé ? Des
acteurs ? Des marionnettes ? Une plongée dans l'irréel.
C'est d'ailleurs le nom de la performance que propose la compagnie
Créature. LES IRREELS.
Rien ne peut mieux
convenir et comprenez la vanité et l'impuissance des mots pour
donner une idée de ce que j'ai vécu à leur rencontre.
Au niveau aussi de la
relation aux spectateurs, il y a beaucoup à dire.
Essayons une description
méthodique, une partie du chemin sera déjà parcouru.
Il y a 15 « cabanes »
de foire, formant un cercle autour duquel le public est invité à
tourner dans le sens qu'il veut, en respectant l'ordre ou en sautant
de stations. Cela paraît simple.
Chaque cabane représente
un univers particulier (matière, couleur, organisation). Cela
commence à se compliquer. Tout y est respecté : il y a une
foule d'ustensiles dans le monde de la cuisine. Des albums de photos
de toutes les époques, du linge à étendre, une lessiveuse, des
filets de pêche... Il faudrait des heures pour retrouver et
assimiler les moindres détails si importants de chaque univers.
Dans chacun de ces
univers un personnage (parfois deux), entre humain et animal. Si
humain dans son attitude et sa gestuelle, si animal dans son masque.
Si hybride qu'on ne peut que se tromper. Une poule a une crête en
fleurs, des plumes en tulle, un cheval à une crinière en dentelle,
un lion un pelage en loden, quant à la biche elle porte crinoline de
velours comme les personnages de Grandville. Leur nom est déjà tout
un programme : la dorloteuse d'enfance, la lessiveuse de
malheurs, le pêcheur d'espoir, la berceuse de secrets.
Que se passe-t-il alors ?
Rien. Que font-ils ? Rien. Que disent-ils ? Rien. C'est une
de ces ménageries qui s'installent parfois sur les parkings des
centres commerciaux. Et pourtant c'est le spectacle le plus
troublant, le plus bouleversant que j'aie vu depuis des années. Le
spectacle n'est pas extérieur, mais en nous. Chaque personnage a une
mini marionnette ou un objet auquel il donne vie et grâce auquel il
communique un peu avec les badauds.
Le trajet c'est le public
qui le fait. Par une petite pancarte, on connaît les fonctions des
personnages. Un texte d'une grande poésie, simple comme toute grande
poésie, « il rêve, il invente les amis imaginaires qui
peuplent son esprit, avant qu'ils rejoignent les humains pour les
accompagner ».
Nous regardons les
personnages évoluer avec la part de secret, de désirs inavoués, de
regrets bien tapis. Les regarder c'est regarder à l'intérieur de
nous, avec bienveillance et impudeur. Leur masque est figé, il ne
nous renvoie rien, mais ils reçoivent les émotions qui naissent en
nous, accentuent une pose, esquissent un geste plus personnel pour
dire « oui, nous existons, ici et maintenant ». Quand on
quitte une cabane, qu'il faut fermer les yeux ou affronter ceux des
autres spectateurs, un échange parfois s'ébauche, pauvre et banal
« c'est beau », parce que l'aventure et la représentation
ont lieu au plus intime de chacun.
Je vais bientôt reprendre mes ruminations sur l'écran dans les spectacles de lecture ou de poésie. Le comédien avec lequel je travaille régulièrement prépare un nouveau spectacle (première vendredi...) Il paraît que la mise en scène repose sur la notion d'écran.. Juste quelques photos. Je ne veux pas savoir avant...