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vendredi 2 octobre 2015

La vie obscure

La vie obscure est un livre qui n'a été tiré qu'à un petit nombre d'exemplaires, autant vous dire qu'il faut vous dépêcher si vous voulez profiter de sa lecture.
Cet ouvrage me semble un des plus intéressants de ces dernières années, par son écriture et par son contenu.
Joseph Danan, son auteur, est homme de théâtre, penseur du théâtre contemporain, dramaturge.. Il est aussi poète et a écrit pour le roman.
Il s'intéresse beaucoup à la place du texte au théâtre, à la modification du drame dans le spectacle d'aujourd'hui, voire à sa disparition au profit d'une autre proposition. Il s'est interrogé récemment dans un ouvrage intitulé Entre théâtre et performance : la question du texte sur la suprématie prise par l'agir ou l'être là.
Il a publié presque en même temps 2 ouvrages : Le théâtre des Papas (une pièce de théâtre destinée aux enfants ) et La vie obscure qui est déclaré « roman » .
On suit durant une grande partie de sa vie un personnage, dont on ne sait à la fois rien et tout. Rien parce qu'il n'a pas de véritable identité (comme nombre de personnages du théâtre contemporain). On pourrait presque le croire s'il avait été conçu il y a quelques décennies comme un personnage du « nouveau roman ». Et tout parce que les moindres détails de sa vie quotidienne, de sa psychologie, de son statut social sont évoqués, travaillés, repris, reconstruits. On ne sait rien de lui mais sa psychologie est aussi fouillée qu'après une longue analyse auprès d'un thérapeute.
Obscur par son nom, le personnage l'est aussi par sa vie, faite de reculades, d'hésitations, de prises de résolutions tardives, de semi-succès, de réussites à micro-échelle, et en même temps d'acharnement, d'entêtement, d'obstination face à l'écriture d'un roman, sa seule raison de vivre : Le vie obscure. Une existence diaphane que nous découvrons par « tranches de vie », n'oublions pas que Joseph Danan est spécialiste de théâtre.
« Il », le personnage de La vie obscure, est le double de quantité de gens croisés dans les milieux de l'écriture (de théâtre ou romanesque), de gens qu'on reconnaît indubitablement...
Joseph Danan en profite pour établir un regard tantôt attendri, tantôt très ironique, voire sarcastique sur cet anti-héros qu'il a dû côtoyé ou avec lequel il a peut-être parfois eu quelque similitude, sans que le personnage soit un double autobiographique.
Ce qui double l'intérêt de cet ouvrage est l'écriture qui renvoie la période proustienne à la catégorie « jeu de collégien ». Commencer la lecture vous conduit à une plongée en apnée. Très vite, l’œil, le regard, l'oreille se perdent dans les longues phrases qui constituent le roman et pour lesquelles le Français n'a pas l'habitude de l'allemand ou des langues anciennes. Prodiges de grammaire et de complexité, elles ne se livrent aux lecteurs qu'après une lutte acharnée. Lutte acharnée mais lutte amoureuse où l'esprit finit pas triompher. On s'accoutume vite à ces circonvolutions, digressions, retours en arrière, ou projections et c'est avec plaisir qu'on se lance face à la vague, impatient de la déferlante qui laissera par intermittences la lecture dans une forme de doute.

Si j'ai un temps repensé au « nouveau roman » face à La vie obscure, je crois aujourd'hui que ce « roman » est la plus belle performance de texte écrite pour le théâtre depuis Ma Solange comment te dire mon désastre Alex Roux, de Noëlle Renaude.