La vie
obscure est un livre qui n'a été tiré qu'à un petit nombre
d'exemplaires, autant vous dire qu'il faut vous dépêcher si vous
voulez profiter de sa lecture.
Cet ouvrage
me semble un des plus intéressants de ces dernières années, par
son écriture et par son contenu.
Joseph
Danan, son auteur, est homme de théâtre, penseur du théâtre
contemporain, dramaturge.. Il est aussi poète et a écrit pour le
roman.
Il
s'intéresse beaucoup à la place du texte au théâtre, à la
modification du drame dans le spectacle d'aujourd'hui, voire à sa
disparition au profit d'une autre proposition. Il s'est interrogé
récemment dans un ouvrage intitulé Entre théâtre et
performance : la question du texte sur la suprématie prise
par l'agir ou l'être là.
Il a publié
presque en même temps 2 ouvrages : Le
théâtre des Papas (une
pièce de théâtre destinée aux enfants ) et La
vie obscure
qui est déclaré « roman » .
On
suit durant une grande partie de sa vie un personnage, dont on ne
sait à la fois rien et tout. Rien parce qu'il n'a pas de véritable
identité (comme nombre de personnages du théâtre contemporain). On
pourrait presque le croire s'il avait été conçu il y a quelques
décennies comme un personnage du « nouveau roman ». Et
tout parce que les moindres détails de sa vie quotidienne, de sa
psychologie, de son statut social sont évoqués, travaillés,
repris, reconstruits. On ne sait rien de lui mais sa psychologie est
aussi fouillée qu'après une longue analyse auprès d'un thérapeute.
Obscur
par son nom, le personnage l'est aussi par sa vie, faite de
reculades, d'hésitations, de prises de résolutions tardives, de
semi-succès, de réussites à micro-échelle, et en même temps
d'acharnement, d'entêtement, d'obstination face à l'écriture d'un
roman, sa seule raison de vivre : Le
vie obscure. Une
existence diaphane que nous découvrons par « tranches de
vie », n'oublions pas que Joseph Danan est spécialiste de
théâtre.
« Il »,
le personnage de La vie obscure, est le double de quantité de
gens croisés dans les milieux de l'écriture (de théâtre ou
romanesque), de gens qu'on reconnaît indubitablement...
Joseph
Danan en profite pour établir un regard tantôt attendri, tantôt
très ironique, voire sarcastique sur cet anti-héros qu'il a dû
côtoyé ou avec lequel il a peut-être parfois eu quelque
similitude, sans que le personnage soit un double autobiographique.
Ce
qui double l'intérêt de cet ouvrage est l'écriture qui renvoie la
période proustienne à la catégorie « jeu de collégien ».
Commencer la lecture vous conduit à une plongée en apnée. Très
vite, l’œil, le regard, l'oreille se perdent dans les longues
phrases qui constituent le roman et pour lesquelles le Français n'a
pas l'habitude de l'allemand ou des langues anciennes. Prodiges de
grammaire et de complexité, elles ne se livrent aux lecteurs
qu'après une lutte acharnée. Lutte acharnée mais lutte amoureuse
où l'esprit finit pas triompher. On s'accoutume vite à ces
circonvolutions, digressions, retours en arrière, ou projections et
c'est avec plaisir qu'on se lance face à la vague, impatient de la
déferlante qui laissera par intermittences la lecture dans une forme
de doute.
Si
j'ai un temps repensé au « nouveau roman » face à La
vie obscure,
je crois aujourd'hui que ce « roman » est la plus belle
performance de texte écrite pour le théâtre depuis Ma
Solange comment te dire mon désastre Alex Roux, de
Noëlle Renaude.