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mercredi 19 février 2014

Critique : RE : Walden




Spectacle à la Colline, une tournée après une présentation en Avignon l'été dernier.

Une impression mitigée parce que faussée par le souvenir encore vivace de la lecture faite par Jacques Bonnaffé, il y a peu de mois.

Des choses merveilleuses : une projection panoramique d'un étang en forêt au fil des saisons, avec des images qui s'accélèrent et tournent à la folie, au subliminal. Etang qui se superpose à celui évoqué par Thoreau. Un piano qui devient autonome, joue seul et finit par se détruire au plus fort d'un moment intense. Une projection d'avatars qui assument les déplacements des comédiens demeurant statiques. Voix des comédiens sur scène (par voix amplifiée) et bulles pour faire parler les avatars. Des doutes qui naissent (est-ce l'avatar ou le comédien qui bouge) quand les deux sont si étroitement en surimpression qu'on ne peut les différencier.

Un moment très intéressant aussi : la traduction informatique du texte de Thoreau en français et les aberrations que génèrent ce type de traduction. Un texte devenu totalement absurde que les comédiens après une première surprise jouée, déclament comme s'il s'agissait d'un travail de qualité.

D'autres passages plus dérangeants, parce qu'il vient se heurter au travail de Jacques Bonnaffé. Jean,-François Peyret n'était pas dans la galerie, mais les deux artistes ont si souvent travaillé ensemble et notamment sur des lectures, qu'on peut aussi bien voir une imitation de l'un par l'autre qu'une osmose si complète qu'ils se rejoignent dans leur production.

Dès lors une comparaison se fait entre les techniques utilisées, les méthodes, les trouvailles...

Les acteurs reprennent les phrases des autres pour y ajouter ou y modifier un mot minuscule (parfois / de temps en temps, …) comme une rectification sensée apportée un nouvel éclairage ou pour au contraire rendre ridicule l'orthodoxie de certains traducteurs ? Jacques Bonnaffé reprenait des passages, pour déplacer une virgule, une respiration, pour ajouter ou enlever une intention....Le texte peut ainsi être lu plusieurs fois, chaque nouvelle lecture enrichissant ou déformant la précédente, conduisant sur une pluralité de compréhension...

Les comédiens de Jean François Peyret semble découvrir des citations dans des emballages de carambar. Thoreau est-il un auteur de blagues de mauvaise qualité, ou cela est-il destiné à souligner le décalage entre une pensée profonde et l'usage qui en est fait. Les comédiens mâchent à la fois le texte et les confiseries qu'ils déballent. La prononciation s'altère autant que le propos. Intéressant.

Mais combien plus riche la proposition faite par Jacques Bonnaffé. Les papiers chiffonnés comme ressuscités après un premier abandon et retrouvant la force de l'écriture, ou les phrases écrites sur des morceaux de cartes routières, pour un auteur qui a abandonné la route et qui demande plusieurs fois dans le livre où se trouve tel ou tel endroit. Une carte... chiffonnée, comme son renoncement à un monde trop balisé....

Je en parlerai pas du rapport au public, il y a là trop concepts mis en jeu de chaque côté.

On ne peut pas comparer deux approches aussi différentes et aussi cousines de l'oeuvre de Thoreau. Le tort principal pour moi est d'être allé voir les deux spectacles dans un intervalle aussi court.


vendredi 10 janvier 2014

l'âme des termites est flamande


Voilà des années que je rêvais de voir un spectacle de Josse de Pauw. Je ne vais qu'exceptionnellement au théâtre pour voir un comédien. Souvent c'est le metteur en scène ou l'auteur de la pièce qui guident mon choix. L'occasion était donc trop belle de voir ce spectacle qui finissait sa tournée à Reims où j'ai une amie.

Je ne vous ferai pas l'injure de vous demander si connaissez Josse de Pauw. C'est un metteur en scène et comédien belge.

On peut trouver le prétexte et l'argument de «l'âme des termites» sur de nombreux sites et cela n'est pas ce qui va focaliser ma réflexion. Disons qu'un entomologiste, passionné par les termites, a fait de ces insectes l'objet unique de ses recherches. Ce qu'il en dit progressivement laisse transparaître sa vie et les moments trop lourds pour être tus, une histoire d'amitié tragique, une histoire d'amour qui l'encombre et le détruit, une appartenance à un peuple qui se déchire et cultive une haine que dément la réalité quotidienne, l'obligation de se confronter à un univers plus cruel que la termitière.

Il paraît qu'à l'origine, il y aurait un texte de Maeterlinck et une communication scientifique...

Je ne m'occuperai que de la théâtralité, la dramaticité du spectacle.

Josse de Pauw est seul en scène avec deux musiciens qui semblent improviser une musique entre jazz et contemporain... Sur la gauche les musiciens, en diagonale une longue table comme les bureaux démesurés des amphis de fac. Dans le fond un écran qui affichera du texte et des images, des vidéos... A l'avant-scène droit, derrière le bureau, Josse de Pauw.

La pièce commence comme un cours magistral. Et les spectateurs se trouvent directement inscrits dans le dispositif scénique. Il n'y a pas de quatrième mur. Josse de Pauw est un professeur face à ses étudiants qu'il admoneste éventuellement, qu'ils raillent légèrement. C'est un prof débonnaire qui entretient une sympathie visible avec ses élèves.

Josse de Pauw est flamand et le spectacle est en néerlandais. L'écran va à la fois servir à afficher la traduction pour les Français que nous sommes, mais il sera aussi le power point de support du cours. Le professeur reprenant parfois les mots en français comme pour s'assurer que tous suivent bien, où soulignant la subtilité d'une expression en flamand ou en flamand. Il joue avec l'écran de traduction, le regardant, semblant le télécommander comme un vidéo projecteur de conférence. De Pauw sait que le public néerlandophone est trop peu nombreux pour lui assurer un succès notable. Il garde pourtant sa langue et joue sur le décalage linguistique avec le public. Sans cesse, les prétextes surgiront qui feront cohabiter les deux langues , traduction , besoin de se faire comprendre ou paroles rapportées...

Petit à petit, le personnage se fissure, les termites laissent place à des considérations ou des souvenirs personnels, la rivalité de deux universités l'une francophone et l'autre flamande et l'interdiction tacite à deux chercheurs de partager, mais une amitié qui s'entretient malgré tout. Le conférencier quitte sa veste, remonte ses manches. Et le public est piégé, comme quand on a lié une vague conversation dans un café avec un buveur, qui s'avine au fur à mesure de la soirée et désinhibé devient de plus en plus indécent dans ses confidences. On reste là entre compassion et sentiment d'impudeur. Dans le cas des termites, il n'y a plus d'adresse directe au public, mais ce public a été tant installé comme personnage silencieux de la pièce qu'on ne peut l'oublier. Si le spectateur en tant qu'individu ne sent pas directement concerné, il se sait en tant que membre de la communauté spectatrice deuxième interlocuteur de ce faux monologue. La musique l'accompagne dans ce sens. C'est très fort et l'on n'en sort pas indemne.



Et puis une réflexion sur cette place du néerlandais. Je suis souvent en Belgique pour des raisons familiales, professionnelles et touristiques. Comme tous les Wallons, je pense qu'il est anormal qu'une moitié d'une pays ne parle pas comme nous. Il y a la chicorée du Nord et la chicorée du Sud comme dirait Jacques Darras (dans Moi, j'aime la Belgique), qui sont chicorées égales. Mais bien sûr une des deux chicorées est beaucoup plus égale que l'autre... Je suis outrée que dans les villes flamandes on ne pratique pas le double affichage, mais que le double affichage n'existe pas en francophonie me semble normal. J'entends de mes collèges anversoises qu'elles s'adaptent... Ce spectacle m'a aussi conduite dans une remise en question : j'ai été bouleversée par un texte en flamand. Et je me suis souvenue de la chaleur des amis flamands autour de la bière fraîche les fins d'après-midi apatrides.

Et une vague envie a refait surface, qui avait déjà point un après-midi d'août à Gent (Gand) et si j'apprenais le flamand ?



Goedendag aan iedereen en mijn vriendschappen


mercredi 1 janvier 2014

empreintes : une performance des spectateurs


Une représentation étrange au Manège. L'ancien centre d'équitation a l'habitude de programmer des spectacles atypiques, c'est dans cette catégorie qu'il faut ranger « empreintes ». Spectacle d'avant les fêtes et consacré au chocolat. Une installation alimentaire ou une démonstration de design alimentaire.

Nous arrivons par la porte latérale, directement sur le plateau. Des pans de plastiques semblables à celles qui séparent les piscines intérieures et extérieures dans les centres aquatiques entre lesquels il faut se faufiler. L'entrée est une effraction. Le site est protégé, peut-être dangereux. Immédiatement, des personnages en tenue blanche fluorescent filtrent le passage dans une atmosphère noire. Il faut quitter les manteaux ou doudounes, prendre une pochette qui contient des gants et une charlotte avec visière. Une voix numérisée et impersonnelle enjoint de s'équiper avant d'entrer dans la salle de l'expérience. La pochette contient également une carte illisible dans la semi-obscurité et une cuillère en plastique. On parvient enfin derrière un nouveau mur noir (tentures ou décor en carton pâte ? ) dans la salle proprement dite. Le rideau de fer est descendu et dans le sens inhabituel de la scène un dispositif : un tapis roulant que parsèment des pastilles blanches. Quelques chaises placées de part et d'autre invitent le public à une installation bifrontale. Il n'y aura pas assez de chaises pour tout le monde. Nous décidons de rester debout pour laisser les tabourets à des personnes âgées, relativement nombreuses, ce choix s'avérera judicieux.

Pendant l'entrée des spectateurs, des faisceaux lumineux circulent sur le tapis et viennent se fixer sur les pastilles qu'ils transforment en étoiles d'une galaxie à l'envers.

Une fois le public en place, quatre « comédiens » revêtus de combinaisons type centrale atomique en décontamination se tiennent debout à chaque extrémité de la table. Les effets lumineux se poursuivent pour éclairer chaque pastille (elles sont plusieurs centaines). La voix numérisée égrène des mots étranges qui renvoient à un monde de manipulation de laboratoire futuriste. Les étapes de la transformation plasturgique se succèdent. Il s'agit en réalité de projections vidéo sur les pastilles, parfois réalistes, parfois étonnantes (des rayures ou des carreaux). A la fin de chaque étape, les spectateurs deviennent des personnages de cette immense mécaniques. Ils ont invités à agir sur les éléments qui ont reçu les vidéos pour en tester la qualité, et comme il s'agit de chocolat blanc, il faut le manger. Il y a alors une vague bousculade autour de la table, un peu de convivialité parfois, les spectateurs des premiers rangs tendent aux autres les produits à analyser gustativement. Puis le tapis roulant redémarre, emportant vers une caisse les restes non dévorés. Les comédiens de l'extrémité replacent alors de nouveaux produits à transformer. On déguste ainsi après les projections des pastilles de chocolat blanc, de la crème de chocolat blanc, des coques de chocolat blanc. Survient alors une catastrophe industrielle avec fumée, sirène et odeur inquiétante. Tout le monde est invité à passer dans la zone de décontamination derrière des rideaux. On traverse à nouveau des pendrillons de plastique et l'on se retrouve devant un étalage de verre de liquide fluorescent dans lequel un comédien verse des granulés qui produisent une effervescence. Du citrate de bétaine ...Quel bonheur après cette ingurgitation de chocolat. Le processus de décontamination terminé, on regagne le tapis roulant ou la phase définitive du produit est installée : des moulages de demi-fruits en chocolat blanc rempli de crèmes (la fiche cartonnée explique la composition de chaque fruit : ganache de chocolat noir, crème basilic, pignon de pin, sablé... par exemple. IL faut maintenant à chaque spectateur achever le travail de décoration à l'aide de bombes ou de poudre de colorants alimentaires, puis l'empaquetage. Certains repartent avec la praline dans une petite boîte qui porte le logo du spectacle, d'autres remis en appétit par la boisson dévorent sur le plateau...

Le propos est amusant, original et créatif. Ce qui m'intéresse le plus dans cette performance, c'est le statut du public. Il est l’élément moteur et le principal acteur de cette soirée. Il est celui qui a le plus de déplacements et le plus d'impact sur la table. Les objets qu'il ne mange pas sont conduits par le déroulement du tapis vers un gouffre où ils disparaissent irrémédiablement. Il est le seul dans la partie éclairée du plateau. Il est réduit à des yeux, des papilles et un estomac (qui peut d'ailleurs être trop chargé). Il prend en charge une partie de la performance, puisque les comédiens ne sont que les fournisseurs du tapis roulant, anonymes dans leur combinaison, silencieux, aussi blanc que le chocolat. Il est le seul à être humainement reconnaissable donc. La charlotte et les gants ne couvrent d'une minuscule partie des corps. Pourtant, je suis incapable de reconnaître les gens avec qui j'ai partagé cette expérience. L'individualisme, voire l’égoïsme, ont atteint un paroxysme à la fin. Chacun se précipitant sur le fruit à emporter, ou même le dévorant sur place pour être sûr de ne pas être lésé... L'originalité de cette performance aura été pour moi le rôle dévolu au public et l'image qu'elle en a fait surgir....






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jeudi 28 novembre 2013

Martin Crimp : play house et la ville


Je suis allée dernièrement en province pour voir d affilé deux pièces de Martin Crimp. C4est un auteur encore peu joué en France. Je l'ai découvert au cours de Jean Pierre Ryngaert. Ce professeur passionnant et enthousiaste avait parlé de Crimp et nous avait faits lire des extraits. J'ai été un peu déçue par la première pièce qui ressemblait trop à du théâtre de boulevard, avec de grands cris et des rires forcés. La deuxième, le lendemain, m'a paru plus intéressante. Est-ce que la mise en scène était plus travaillée ou est-ce que le texte était plus original ? Je ne sais pas. Mais, mais comme ce qu'avait expliqué Jean Pierre Ryngaert dans ses cours à propos de la décomposition du personnage ou la perte de valeur d'information du dialogue, on sentait bien que les personnages n'en étaient pas vraiment et qu'ils semblaient douter de leur histoire et que finalement ils n'existaient pas vraiment. En plus, c'était très bien joué. Une bonne représentation qui prouve qu'on peut voir du bon théâtre ailleurs qu'à Paris.



Une nouvelle pour ceux qui veulent réagir aux textes : vous pouvez maintenant ajouter des commentaires.

dimanche 24 novembre 2013

Lecture de Henry David Thoreau par Jacques Bonnaffé


Une lecture, encore une. Je l'avais dit : c'est mon cheval de bataille.

Dans une galerie d'art, au milieu de photographies. Des extraits de l'écrivain américain Henry David Thoreau. (Son texte le plus célèbre Walden sera adapté et mis en scène cet hiver par Jean-François Peyret au Théâtre de la Colline - il a déjà été joué en  Avignon cet été - Dépêchez-vous : très peu de représentations à Paris).

Mais revenons à la lecture.

Des invités qui ont mangé sur place, façon vernissage, rejoints par quelques spectateurs lambda, entrée libre sur réservation.

Il y a dans un coin de la pièce un micro (qui servira à peine)

Un comédien qui s'agite un peu avant l'heure prévue. Transport de sacs en kraft débordant de papiers chiffonnés, d'anciennes photocopies ou de cartes routières réutilisées, de livres, de bouteilles et de canettes, d'étoiles en bois (accrochées à deux planches grises maculées de blanc). Un paquet de photocopies qui ont gardé les traces noires autour des pages qu'elles reproduisent.

Il ressort , on n'entend plus que sa voix qui chante dans le couloir, soutenue par un enregistrement (dont on ignore la forme)

Le comédien entre finalement en portant un plateau où s'entremêlent crayons et papiers froissés dans un équilibre plus qu'instable.

 
La lecture s'organise. « Je n'ai pas fait finalement de montage. » Les monceaux de papiers froissés seraient donc les ébauches inabouties de cet essai. « J'ai travaillé, mais je n'ai pas su choisir. » La barre se trouve placée haut. Les textes qui seront lus seront donc un distillat , une quintessence de l'oeuvre de Thoreau, ceux qui surgiront des meilleurs passages entre lesquels le comédien n'a pas fait son choix. Une biographie rapide de l'auteur entre deux refrains bourdonnés ou chantés, des sons imitant la nature. Serveur plus que lecteur, il invite des spectateurs à prélever sur le plateau, dans les sacs, jette quelques boulettes au hasard. Il en défroisse quelques unes, en lit certaines, comme si les textes apparaissaient aléatoirement. Vrai ou faux ? Quelle est la part exacte du hasard ? Sommes-nous vraiment dans la prise de risque que suppose ce type de performance ? Tout semble avoir été si minutieusement préparé. Les textes ont été souvent recopiés d'une main studieuse. Ils sont donc connus, pourtant, la voix semble les lire pour la première fois. Elle hésite parfois, revient. L'acteur se surprend à découvrir un sens qu'il ignorait, relit la phrase avec une intention nouvelle, une analyse plus minutieuse et plus ouverte de la phrase. « Nous construisons ensemble ce moment » semble-t-elle nous dire. Et tout le monde joue sincèrement le doute, avec cet abandon de celui qui sait que le théâtre n'est que théâtre et qu'il le croit vrai pour cette raison.

Le comédien demande au public de lire en voisinage ou à haute voix. Il devient auditeur de son propre spectacle.

Une spectatrice du premier rang a été déclarée dépositaire, garante d'un témoignage de Stevenson qui va servir de fil conducteur à la lecture, le comédien y revient régulièrement. « Si vous voyez quelque chose d'intéressant que je n'ai pas souligné, n'hésitez pas à le lire à haute voix ». Sommes-nous dans l'ironie, l'auto-dérision, la sincérité ? Tout se confond. Une seule chose submerge la complicité, la communion qui règne dans la salle, et dont le texte n'est que la catalyseur.

La fin de le lecture posée clairement par le comédien laisse les spectateurs en manque, mais résignés, parce que le moment passé ensemble a été si intense qu'il serait presque indécent de le prolonger. Quelques chanceux partent avec un autographe ambigu (Thoreau /le comédien) glané dans les distributions.



Deux citations de Thoreau retenues dans cette lecture pour mon point final et vous donner le regret de cette performance :

« Il n'y a qu'un remède à l'amour : aimer davantage. » Là, je souscris totalement. Mais peut-on jamais guérir d'aimer quelqu'un ?

« Ceux que nous aimons nous pouvons les haïr. Les autres nous sont indifférents ». Là, je suis plus réticente. Je serais plutôt du genre « va, je ne hais point ». Sauf peut-être, si c'est ceux que l'on aime qui exigent notre haine, et encore on peut simuler pour leur sacrifier ce dernier plaisir. Une réponse suggérée  par  Borges : « Tout existe sauf l'oubli. »

mardi 29 octobre 2013

revenir à Hannibal et Jacques Bonnaffé


Hannibal ! J'éprouvais un peu de réticence à venir voir ce texte. Souvenir pesant des grandes pièces historiques lourdes et encombrées. Personnages de marbre des tragédies classiques, rigidifiés dans leurs toges de lin, même relookés façon Gauthier (le couturier, pas l'écrivain). Personnages grandiloquents et versifiant jusqu'à l'assoupissement (de Hugo ou de Rostand). J'avais oublié que le XIXè siècle avait aussi produit Lorenzaccio, et que certains auteurs tout comme Musset avaient osé la dérision et le portrait à l'acide. Voilà la surprise première de cet Hannibal de Grabbe qui brosse en prémonition un portrait de notre Europe. Il y a assurément une forme de Brecht (avec l'humour trop souvent négligé de cet auteur) dans Hannibal. Pas de grandes phrases mais des allusion à l'aigre-doux, à peine murmurées, que le spectateur perçoit parce qu'il les espérait. Et la mise en scène va dans ce sens. C'est très drôle parce que très ironique (au sens actuel) pas au sens tragique. Étonnamment cette drôlerie surprend les spectateurs qui ne savent pas que les grandes pièces ou les grands sujets n'interdisent pas le rire. Indiscutablement aussi Jacques Bonnaffé est le comédien qui profite le mieux de ce qu'offre une telle écriture. Il en joue passant d'une nuance à l'autre, laissant croire le pardon quand il condamne à mort et assumant la mort d'un frère dans une fête paillarde, sans sur-jeu, dans un naturel qui fait que le personnage (bien que très distancié) semble échapper à la caricature dans laquelle finissent par s'abîmer beaucoup d'autres. (Gisgon et Prusias surtout). Si la plupart des personnages ressemblent aux plaques peintes qui constituent le décor, Hannibal donne l'impression d'être de chair, animé d'une lucidité omnisciente et agité de sentiments contradictoires, jouant autant de la vérité que de l'auto-dérision qui le conduit consciemment dès le début à l'issue. Il y a tout le temps jeu d'Hannibal qui semble un marionnettiste ou un metteur de scène de sa propre histoire et tout le travail de Bonnaffé se développe heureusement autour de cet axe.

Hannibal-Bonnaffé diffère de celui de mes études humanistes. Je l'ai découvert à un âge où l'on rêve de héros, dans les textes de Tite Live ou de l'abbé Lhomond. Pensum de traduction où l'on choisit le premier mot sur le Gaffiot, par paresse ou par révolte.

Hannibal, lié à la mort de Jean Le Poulain (comédien dénigré, mais très grand metteur en scène et qui le premier m'a fait découvrir le théâtre contemporain et la liberté de création qu'offre la direction d'acteurs. Combien de fois à l'âge adulte, n'ai-je pas repensé à  lui dans mon travail). Je devais passer l'après-midi un oral de traduction. J'ai ouvert l'enveloppe devant le journal télévisé de 13 h. Le journaliste annonçait la mort de Le Poulain, l'enveloppe indiquait « Portrait d'Hannibal ». Mon temps de préparation était plus occupé de savoir quelle forme prendrait l'hommage au metteur en scène que la vie d' Hannibal. « Et pater in se », « et les traits de son père que l'on retrouvait en lui », déficience de notre langue face à la concision du texte latin, déficience de la télévision à montrer de Le Poulain autre chose que le guignol des pièces de boulevard. Ce fut mon dernier contact avec le vrai Hannibal, que je redoutais avec des fantasmes de pueri romani.

L'image d' Hannibal semble d'ailleurs avoir été celle-là. Il ne fait pas partie des grands preux des légendes du Moyen Age. Il faut attendre le baroque pour le voir resurgir, triomphant dans les jardins de Versailles, ou sur une toile Jouy « Le char de l'aurore » qui orna des salons d'apparat. Pourquoi réapparaît-il si tardivement, et transfiguré : devenu chef glorieux, alors que les texte romains en faisaient La Bête terrassée par l'aigle romaine, et ce bien avant que Napoléon lui demande de l'aide d'outre-tombe pour ses campagnes d'Italie... Et le voici chez Grabbe en héros politique et romantique. … Et le voici parce que Bonnaffé l'interprète chargé inconsciemment des personnages passés que le comédiens a joués.



Faut-il relire Tite-Live ? Faut-il lire ce qu'en pense le comédien (site de la compagnie Faisan) ?

dimanche 22 septembre 2013

Hannibal de Grabbe avec J. Bonnaffé


HANNIBAL


 
Le théâtre de Gennevilliers propose actuellement une pièce d'un auteur allemand Grabbe ; mise en scène par B. Sobel avec J . Bonnaffé dans le rôle titre : Hannibal.
Étrange pièce que cette pièce, d'un auteur allemand du début du XIXème siècle, mais qui nous surprend à peine, nous les spectateurs du début du XXIème siècle. Le théâtre de la fin du siècle dernier nous a habitués aux raccourcis, aux ellipses. Nous pensons inévitablement à Brecht ou à Piscator. Les scènes se succèdent dans des lieux et dans des temps éloignés. Pas question de ces lourdes tragédies empesées qui avaient fait la gloire du XVIIème ou des opéras de marbre inspirés de l'Antique. Le texte est moderne et semble avoir été écrit il y quelques années à peine. Pas d'histoire suivie, mais des coups de projecteur sur des temps forts. Pas la guerre ou les textes traduits pendant une scolarité humaniste, mais des scènes de la vie quotidienne, ou des scènes que l'histoire a préféré oublier, parce qu'elles révèlent trop la faiblesse humaine. Une scène d'amour pour évoquer en filigrane la guerre qui commence en Italie, une répétition d'atelane, pour confronter Hannibal à la mort d'un proche et à la fourberie des Romains...
Une succession de scènes donc où chaque comédien trouve son morceau de bravoure, son instant de gloire.
La scénographie s'articule autour d'un immense escalier qui occupe tout le plateau. Les personnages en descendent vers le public, comme si venant de l'Histoire avec un H Majuscule, ils plongeaient vers leur intime, vers leur nature profonde, dans un tréfonds où tout peut être dit.
Les différents éléments qui complètent cet escalier sont disposés et retirés à vue, parfois avec un jeu.
Les personnages représentent une jolie palette de ce que la politique et l'univers rassemblent dans tous les temps et tous les pays. La plus surprenant est le personnage d'Hannibal. Nous sommes très éloignés du foudre de guerre des textes latins, celui qui faisaient trembler d'horreur les Romaines, un Hitler de version latine, que le Moyen Age n'a pourtant pas retenu au titre des preux. Nous sommes très loin aussi du héros glorieux des jardins de Versailles ou de celui du Louvre que Girardon faisait copier à ses élèves. C'est une des particularités des pièces de Grabbe. Il prend le parti de représenter des héros dans leur faiblesse, dans leur retour à l'humanité après la gloire, dans leur existence profonde, la seule véritable, ainsi le Napoléon des 100 jours, l'Hermann de la soumission à Rome ou Hannibal déjà perdu avant d'être parvenu à Rome. Il bouleverse la chronologie pour en extraire les temps où les héros se fissurent, où ils sont atteints dans leur chair, leur sentiments, leurs doutes, leurs espoirs.
J. Bonnaffé prête son corps de danseur autant que de comédien à Hannibal, lui conférant une humanité et une félinité de fauve africain qui manque au hiératique personnage de Girardon. Il est vraisemblablement le seul comédien actuel capable de dire sur le même souffle, la même respiration, une intention (je vole le mot à Rauck) et son contraire. Il y a de l'abandon dans sa force et une reprise d'autorité dans sa faiblesse. Sa main droite dans la dernière scène a une force d'expression qui vaut à elle seule d'assister à la représentation.