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dimanche 24 novembre 2013

Lecture de Henry David Thoreau par Jacques Bonnaffé


Une lecture, encore une. Je l'avais dit : c'est mon cheval de bataille.

Dans une galerie d'art, au milieu de photographies. Des extraits de l'écrivain américain Henry David Thoreau. (Son texte le plus célèbre Walden sera adapté et mis en scène cet hiver par Jean-François Peyret au Théâtre de la Colline - il a déjà été joué en  Avignon cet été - Dépêchez-vous : très peu de représentations à Paris).

Mais revenons à la lecture.

Des invités qui ont mangé sur place, façon vernissage, rejoints par quelques spectateurs lambda, entrée libre sur réservation.

Il y a dans un coin de la pièce un micro (qui servira à peine)

Un comédien qui s'agite un peu avant l'heure prévue. Transport de sacs en kraft débordant de papiers chiffonnés, d'anciennes photocopies ou de cartes routières réutilisées, de livres, de bouteilles et de canettes, d'étoiles en bois (accrochées à deux planches grises maculées de blanc). Un paquet de photocopies qui ont gardé les traces noires autour des pages qu'elles reproduisent.

Il ressort , on n'entend plus que sa voix qui chante dans le couloir, soutenue par un enregistrement (dont on ignore la forme)

Le comédien entre finalement en portant un plateau où s'entremêlent crayons et papiers froissés dans un équilibre plus qu'instable.

 
La lecture s'organise. « Je n'ai pas fait finalement de montage. » Les monceaux de papiers froissés seraient donc les ébauches inabouties de cet essai. « J'ai travaillé, mais je n'ai pas su choisir. » La barre se trouve placée haut. Les textes qui seront lus seront donc un distillat , une quintessence de l'oeuvre de Thoreau, ceux qui surgiront des meilleurs passages entre lesquels le comédien n'a pas fait son choix. Une biographie rapide de l'auteur entre deux refrains bourdonnés ou chantés, des sons imitant la nature. Serveur plus que lecteur, il invite des spectateurs à prélever sur le plateau, dans les sacs, jette quelques boulettes au hasard. Il en défroisse quelques unes, en lit certaines, comme si les textes apparaissaient aléatoirement. Vrai ou faux ? Quelle est la part exacte du hasard ? Sommes-nous vraiment dans la prise de risque que suppose ce type de performance ? Tout semble avoir été si minutieusement préparé. Les textes ont été souvent recopiés d'une main studieuse. Ils sont donc connus, pourtant, la voix semble les lire pour la première fois. Elle hésite parfois, revient. L'acteur se surprend à découvrir un sens qu'il ignorait, relit la phrase avec une intention nouvelle, une analyse plus minutieuse et plus ouverte de la phrase. « Nous construisons ensemble ce moment » semble-t-elle nous dire. Et tout le monde joue sincèrement le doute, avec cet abandon de celui qui sait que le théâtre n'est que théâtre et qu'il le croit vrai pour cette raison.

Le comédien demande au public de lire en voisinage ou à haute voix. Il devient auditeur de son propre spectacle.

Une spectatrice du premier rang a été déclarée dépositaire, garante d'un témoignage de Stevenson qui va servir de fil conducteur à la lecture, le comédien y revient régulièrement. « Si vous voyez quelque chose d'intéressant que je n'ai pas souligné, n'hésitez pas à le lire à haute voix ». Sommes-nous dans l'ironie, l'auto-dérision, la sincérité ? Tout se confond. Une seule chose submerge la complicité, la communion qui règne dans la salle, et dont le texte n'est que la catalyseur.

La fin de le lecture posée clairement par le comédien laisse les spectateurs en manque, mais résignés, parce que le moment passé ensemble a été si intense qu'il serait presque indécent de le prolonger. Quelques chanceux partent avec un autographe ambigu (Thoreau /le comédien) glané dans les distributions.



Deux citations de Thoreau retenues dans cette lecture pour mon point final et vous donner le regret de cette performance :

« Il n'y a qu'un remède à l'amour : aimer davantage. » Là, je souscris totalement. Mais peut-on jamais guérir d'aimer quelqu'un ?

« Ceux que nous aimons nous pouvons les haïr. Les autres nous sont indifférents ». Là, je suis plus réticente. Je serais plutôt du genre « va, je ne hais point ». Sauf peut-être, si c'est ceux que l'on aime qui exigent notre haine, et encore on peut simuler pour leur sacrifier ce dernier plaisir. Une réponse suggérée  par  Borges : « Tout existe sauf l'oubli. »