J'ai été bien injuste
dans le précédent article sur le public du festival IN. Mais la
caricature était à peine forcée. J'ai vraiment rencontré (et je
ne suis pas la seule, d'autres « tracteurs » pourront
vous dire la même chose) les personnes que je décris dans
l'article. Certains disaient : « j'évite les zones du IN.
Il n'y a pas de discussion possible. »
Que dire du IN ? Si
ce n'est que les places en sont vendues très longtemps à l'avance
à des associations d'amis des Centres Dramatiques Nationaux et
autres Scènes Nationales. Elles sont chères (elles se basent sur
les tarifs des salles parisiennes), sauf si vous bénéficiez de
réductions liées à des abonnements à l'année aux théâtres
évoqués plus haut. Les gradins du IN accueillent donc en très
grande majorité une élite culturelle, une élite bourgeoise ou
financière, ainsi qu'une élite politique, venues autant pour le
prestige que pour le théâtre.
Si les salles ont des
jauges raisonnables qui permettent de profiter de la représentation,
la Cour d'honneur est arrivée à une saturation de l'espace. Là où
Vilar avait imaginé quelques centaines de places dans un rapport de
proximité, on accueille aujourd'hui 2000 personnes. Ceux qui se
trouvent au 27ème rang, ne voient plus que des fourmis sur scène et
imaginent le comédien plus qu'ils ne le distinguent. Un système
très complexe rapporte le son dans des haut-parleurs qui se trouvent
au sol devant les sièges des gradins. Chacun a son propre accès au
son, avec un léger différé semble-t-il pour les derniers rangs,
mais à cette distance, on ne peut pas voir les visages. L'écoute
est donc merveilleuse. Pour le reste, il faut surtout imaginer.
Je crois que c'est dans
ce sens qu'il faut prendre la mise en scène faite cet été par Ivo
Van Hove des Damnés. Il a
installé en fond de scène des écrans géants où étaient projetés
en direct des gros plans sur les acteurs, permettant à tous de
suivre heureusement le spectacle. Le lendemain, les critiques
allaient bon train : « Pour regarder cela, autant être
devant la télévision ! ». C'était oublié que dans les
grandes machineries, opéras ou comédies musicales données à Bercy
ou au Grand Stade, on a recours à ce système. Mais je l'ai déjà
dit « il ne faut pas confondre Avignon et théâtre
populaire ».
Je
ne dirai rien non plus sur le « proximité de l'acteur ».
Théâtre
de la démesure dans les lieux, Avignon attend aussi la démesure
dans la durée des spectacles. On se souvient du Soulier de
satin qui se terminait dans les
premiers feux de l'aurore et où l'on trouvait les viennoiseries en
sortant de la Cour, ou de la Trilogie
de Mouawad qui durait à peu près aussi longtemps et pour laquelle
on avait prévu une pelouse et des couvertures pour que les
spectateurs puissent dormir dans l'enceinte du Palais des Papes avant
de retrouver l'énergie pour poursuivre leur rôle de public
attentif.
Je
vous dispense de toutes les conférences et débats organisés en
parallèle passionnants, mais au combien hermétiques pour le commun
des mortels. On comprend dès lors pourquoi la foule erre dans les
rues à la recherche de la magie tant proclamée. Elle est la sœur
de celle qui erre sur les avenues de Cannes sans accéder aux salles
ou de celles qui regarde les restaurants et les boîtes branchées de
la Côte d'Azur. On comprend aussi pourquoi elle trouve sa propre
fête théâtrale dans les spectacles de rue, les parades et les
théâtres de la Rue de la République.