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dimanche 8 janvier 2017

Avignon le IN

J'ai été bien injuste dans le précédent article sur le public du festival IN. Mais la caricature était à peine forcée. J'ai vraiment rencontré (et je ne suis pas la seule, d'autres « tracteurs » pourront vous dire la même chose) les personnes que je décris dans l'article. Certains disaient : « j'évite les zones du IN. Il n'y a pas de discussion possible. »
Que dire du IN ? Si ce n'est que les places en sont vendues très longtemps à l'avance à des associations d'amis des Centres Dramatiques Nationaux et autres Scènes Nationales. Elles sont chères (elles se basent sur les tarifs des salles parisiennes), sauf si vous bénéficiez de réductions liées à des abonnements à l'année aux théâtres évoqués plus haut. Les gradins du IN accueillent donc en très grande majorité une élite culturelle, une élite bourgeoise ou financière, ainsi qu'une élite politique, venues autant pour le prestige que pour le théâtre.
Si les salles ont des jauges raisonnables qui permettent de profiter de la représentation, la Cour d'honneur est arrivée à une saturation de l'espace. Là où Vilar avait imaginé quelques centaines de places dans un rapport de proximité, on accueille aujourd'hui 2000 personnes. Ceux qui se trouvent au 27ème rang, ne voient plus que des fourmis sur scène et imaginent le comédien plus qu'ils ne le distinguent. Un système très complexe rapporte le son dans des haut-parleurs qui se trouvent au sol devant les sièges des gradins. Chacun a son propre accès au son, avec un léger différé semble-t-il pour les derniers rangs, mais à cette distance, on ne peut pas voir les visages. L'écoute est donc merveilleuse. Pour le reste, il faut surtout imaginer.
Je crois que c'est dans ce sens qu'il faut prendre la mise en scène faite cet été par Ivo Van Hove des Damnés. Il a installé en fond de scène des écrans géants où étaient projetés en direct des gros plans sur les acteurs, permettant à tous de suivre heureusement le spectacle. Le lendemain, les critiques allaient bon train : « Pour regarder cela, autant être devant la télévision ! ». C'était oublié que dans les grandes machineries, opéras ou comédies musicales données à Bercy ou au Grand Stade, on a recours à ce système. Mais je l'ai déjà dit «  il ne faut pas confondre Avignon et théâtre populaire ».
Je ne dirai rien non plus sur le « proximité de l'acteur ».
Théâtre de la démesure dans les lieux, Avignon attend aussi la démesure dans la durée des spectacles. On se souvient du Soulier de satin qui se terminait dans les premiers feux de l'aurore et où l'on trouvait les viennoiseries en sortant de la Cour, ou de la Trilogie de Mouawad qui durait à peu près aussi longtemps et pour laquelle on avait prévu une pelouse et des couvertures pour que les spectateurs puissent dormir dans l'enceinte du Palais des Papes avant de retrouver l'énergie pour poursuivre leur rôle de public attentif.
Je vous dispense de toutes les conférences et débats organisés en parallèle passionnants, mais au combien hermétiques pour le commun des mortels. On comprend dès lors pourquoi la foule erre dans les rues à la recherche de la magie tant proclamée. Elle est la sœur de celle qui erre sur les avenues de Cannes sans accéder aux salles ou de celles qui regarde les restaurants et les boîtes branchées de la Côte d'Azur. On comprend aussi pourquoi elle trouve sa propre fête théâtrale dans les spectacles de rue, les parades et les théâtres de la Rue de la République.