Dans
les spectacles a-dramatiques, l'assemblage
de textes disparates (le montage rhapsodique) ne crée pas la place
pour un dialogue entre les personnages, dont le spectateur serait le
témoin ignoré, placé de l'autre côté du mur abattu. Le
principe du dialogue interpersonnel que Szondi1,
et à sa suite Jean-Pierre Sarrazac, pose comme base du dialogue du
drame ne peut être maintenu dans un contexte qui privilégie les
paroles solitaires, ou les monodrames que peuvent constituer les
poèmes et les chansons.
La
double énonciation du texte devient bancale par l'absence du
destinataire fictif, l'autre personnage du drame. Le seul dialogue à
pouvoir s'établir s'installe entre le parleur et l'écouteur,
c'est-à-dire entre l'acteur et le spectateur. Le parleur s'adresse à
un partenaire fictif, nommé ou non, qui ne peut se réaliser que
dans la présence corporelle du spectateur.
On
peut constater que trois des spectacles de mon corpus reposent sur
une parole solitaire
Ta peau ici, Le Juke Box, Les poètes du tango,
parce que composés de poésies, de chansons dont l’interprétation
n'est confiée qu'à un comédien. S'il y a dialogue, ce ne peut être
qu'entre les textes par un système d'écho ou de répons.
Face
au jeu frontal du Bal
littéraire, le
spectateur éprouvait cette même sensation d'être le destinataire
de la parole, qui en rebondissant sur lui, à la manière d'une balle
de tennis, trouvait son vrai destinataire : le personnage du texte
lu quelques mètres plus loin sur l'estrade.
L'absence
de véritable dialogue, on sait qu'il connaît lui aussi une crise
majeure dans le théâtre contemporain, contribue à assimiler les
spectacles a-dramatiques de la parole au genre épique ou au genre
lyrique et faire surgir dans notre esprit le souvenir des formes de
spectacles primaires, des origines, celles des conteurs et des aèdes.
Cette absence de dialogue grève l'illusion, la rend presque
impossible. «Quand
son interlocuteur (du personnage) n'est plus un autre personnage,
mais le lecteur ou le spectateur, sans médiatisation du discours,
l'illusion perd de sa force. »2
2Jean-Pierre
Ryngaert, Julie Simon, Le personnage théâtral , p.86