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lundi 22 août 2016

un théâtre des soliloques ? (2)

Dans les spectacles a-dramatiques, l'assemblage de textes disparates (le montage rhapsodique) ne crée pas la place pour un dialogue entre les personnages, dont le spectateur serait le témoin ignoré, placé de l'autre côté du mur abattu. Le principe du dialogue interpersonnel que Szondi1, et à sa suite Jean-Pierre Sarrazac, pose comme base du dialogue du drame ne peut être maintenu dans un contexte qui privilégie les paroles solitaires, ou les monodrames que peuvent constituer les poèmes et les chansons.
La double énonciation du texte devient bancale par l'absence du destinataire fictif, l'autre personnage du drame. Le seul dialogue à pouvoir s'établir s'installe entre le parleur et l'écouteur, c'est-à-dire entre l'acteur et le spectateur. Le parleur s'adresse à un partenaire fictif, nommé ou non, qui ne peut se réaliser que dans la présence corporelle du spectateur.
On peut constater que trois des spectacles de mon corpus reposent sur une parole solitaire Ta peau ici, Le Juke Box, Les poètes du tango, parce que composés de poésies, de chansons dont l’interprétation n'est confiée qu'à un comédien. S'il y a dialogue, ce ne peut être qu'entre les textes par un système d'écho ou de répons.
Face au jeu frontal du Bal littéraire, le spectateur éprouvait cette même sensation d'être le destinataire de la parole, qui en rebondissant sur lui, à la manière d'une balle de tennis, trouvait son vrai destinataire : le personnage du texte lu quelques mètres plus loin sur l'estrade.
L'absence de véritable dialogue, on sait qu'il connaît lui aussi une crise majeure dans le théâtre contemporain, contribue à assimiler les spectacles a-dramatiques de la parole au genre épique ou au genre lyrique et faire surgir dans notre esprit le souvenir des formes de spectacles primaires, des origines, celles des conteurs et des aèdes. Cette absence de dialogue grève l'illusion, la rend presque impossible. «Quand son interlocuteur (du personnage) n'est plus un autre personnage, mais le lecteur ou le spectateur, sans médiatisation du discours, l'illusion perd de sa force. »2


1 Peter SZONDI, Théorie du drame moderne, (s.l.) Circé (2006) (1ère édition 1956)

2Jean-Pierre Ryngaert, Julie Simon, Le personnage théâtral , p.86