Spectateurs et acteurs se
partagent donc dans les spectacles de mon corpus l'espace dans une
proximité générée souvent par la petite taille des jauges. Quand
les espaces et les distances s'avèrent plus vastes qu'une salle de
1000 places, il s'opère une relativisation à l'échelle du site ou
de la manifestation : la placette d'Avignon (le festival et la
proximité du Palais des Papes).
Les
spectateurs habitués à l'intimité du salon où trône une
télévision, véhicule le plus habituel de la forme spectaculaire,
peuvent aussi trouver dans la proximité qu'offrent des salles de
petite taille, une sensation de sécurité qu'ils ne connaissent pas
toujours dans les grands amphithéâtres. Paradoxalement, la
sensation va être analogue, dans le bal
littéraire,
qui accueille plus de spectateurs qu'un théâtre, parce que les
individus sont confinés dans un espace clos, protégés par les
guérites abritant les différents stands et parce que la mesure se
prend par rapport à la place Saint-Sulpice et au-delà par rapport à
la ville entière, présente dans le texte dit par les auteurs. L'
huis-clos sécurise les interprètes et le public.
De la même manière, si la
cinquantaine de spectateurs des « yeux bandés »
s'installent dans une salle accueillant habituellement quelques 300
individus, ils sont regroupés sur le plateau derrière le rideau
ouvert mais qu'on aperçoit encore nettement sur les côtés. Les
chaises confortables, à l'assise en velours, remplacent les
fauteuils des gradins.
Cette
modification du rapport à l'espace a détourné la
dernière partie des Poètes
du tango
en représentation de type dramatique. Les spectateurs serrés et
debout des premières parties, sont arrivés dans une espace très
imposant par la taille, trop vaste pour être vraiment partagé, avec
une zone éclairée artistiquement. Au ralentissement de l'arrivée
dans la salle de bal, a succédé un repli, puis un retrait sur une
zone plus neutre (celle sur les amas de décombres) qui a nettement
séparé interprètes et spectateurs, malgré quelques tentatives
téméraires.
Diderot,
dans le Paradoxe
du comédien,
évoque l'anecdote d'une jeune femme qui joue avec succès pour des
amis invités chez elle, mais qui essuie un échec cuisant sur une
scène, échec corroboré par ses amis qui la jugent également
médiocre. Diderot apporte la réponse suivante à cet illogisme :
« à son rez de chaussée vous étiez terre à terre avec elle
... elle était vis à vis de vous.., tout était en proportion avec
l'auditoire et l'espace. »1
L'expérience se déroulait alors « dans un salon où le
spectateur est presque au niveau de l'acteur ».
1Denis
DIDEROT, Le paradoxe sur le comédien, Paris,
Gallimard, Folio, 1994, p. 99