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vendredi 26 août 2016

l'espace commun au théâtre (2)

Spectateurs et acteurs se partagent donc dans les spectacles de mon corpus l'espace dans une proximité générée souvent par la petite taille des jauges. Quand les espaces et les distances s'avèrent plus vastes qu'une salle de 1000 places, il s'opère une relativisation à l'échelle du site ou de la manifestation : la placette d'Avignon (le festival et la proximité du Palais des Papes).
Les spectateurs habitués à l'intimité du salon où trône une télévision, véhicule le plus habituel de la forme spectaculaire, peuvent aussi trouver dans la proximité qu'offrent des salles de petite taille, une sensation de sécurité qu'ils ne connaissent pas toujours dans les grands amphithéâtres. Paradoxalement, la sensation va être analogue, dans le bal littéraire, qui accueille plus de spectateurs qu'un théâtre, parce que les individus sont confinés dans un espace clos, protégés par les guérites abritant les différents stands et parce que la mesure se prend par rapport à la place Saint-Sulpice et au-delà par rapport à la ville entière, présente dans le texte dit par les auteurs. L' huis-clos sécurise les interprètes et le public.
De la même manière, si la cinquantaine de spectateurs des « yeux bandés » s'installent dans une salle accueillant habituellement quelques 300 individus, ils sont regroupés sur le plateau derrière le rideau ouvert mais qu'on aperçoit encore nettement sur les côtés. Les chaises confortables, à l'assise en velours, remplacent les fauteuils des gradins.

Cette modification du rapport à l'espace a détourné la dernière partie des Poètes du tango en représentation de type dramatique. Les spectateurs serrés et debout des premières parties, sont arrivés dans une espace très imposant par la taille, trop vaste pour être vraiment partagé, avec une zone éclairée artistiquement. Au ralentissement de l'arrivée dans la salle de bal, a succédé un repli, puis un retrait sur une zone plus neutre (celle sur les amas de décombres) qui a nettement séparé interprètes et spectateurs, malgré quelques tentatives téméraires. 

Diderot, dans le Paradoxe du comédien, évoque l'anecdote d'une jeune femme qui joue avec succès pour des amis invités chez elle, mais qui essuie un échec cuisant sur une scène, échec corroboré par ses amis qui la jugent également médiocre. Diderot apporte la réponse suivante à cet illogisme : « à son rez de chaussée vous étiez terre à terre avec elle ... elle était vis à vis de vous.., tout était en proportion avec l'auditoire et l'espace. »1 L'expérience se déroulait alors « dans un salon où le spectateur est presque au niveau de l'acteur ».


1Denis DIDEROT, Le paradoxe sur le comédien, Paris, Gallimard, Folio, 1994, p. 99