Je poursuis la publication d'un travail de recherche autour des spectacles " a-dramatiques", c'est à dire ceux qui reposent sur un texte non issu de la tradition théâtrale, ou non adapté pour le théâtre sous la forme d'une "pièce"... il peut s'agir de lectures, de montages poétiques,... (voir les articles parus précédemment) ... Je m'interroge sur le côté rhapsodique de ces spectacles ou leur parenté avec les "revues" du début du XXème siècle.
Le chapitre que je vais aborder
maintenant débouche de la question que je me suis posée sur le
rapport que pouvaient entretenir les spectacles a-dramatiques avec la
crise de la fable, crise majeure du théâtre actuel, crise qui
correspond à celle de la représentation. De même que le public
n'attend plus une mimesis stricte du monde, il n'attend plus une
histoire racontée selon les principes d'autrefois.
Le cinéma et sa forme
quotidienne, le film de télévision, ont vaincu sur ce plan le
théâtre, même si la crise est antérieure à son apparition ; on
sait que le théâtre de Strindberg et les « drames stations »
ont porté une des premières attaques à la fable, attaques que les
auteurs ultérieurs ont réitérées.
Le
principe des spectacles adramatiques ne consiste pas en la création
d'une unité entière, construite comme le bel animal de la Poétique
d'Aristote, avec un début, un milieu, une fin, avec un schéma
narratif dont les éléments s'enchaînent selon une modalité de
cause à effet. L'apparence qu'ils adoptent repose sur le montage
rhapsodique dont parle Jean-Pierre Sarrazac dans nombre de ses ouvrages1.
Il s'agit pour les interprètes et les créateurs de provoquer des
situations propres à permettre la parole, à la justifier. Les
textes ou extraits s'agencent dans une logique qui précède le
spectacle (composition par l'interprète qui offre une forme déjà
élaborée) ou selon une forme aléatoire que commandent les
interventions du public. Le plaisir naîtra de la rencontre de ces
textes, de leur compatibilité ou des chocs que produit leur
juxtaposition ou leur enchâssement.
Comme,
de façon plus écrite, chez Valère Novarina ou parfois chez Michel
Vinaver, ce théâtre oral « qui libère la scène de la
traditionnelle logique du sens, pour en faire un espace d'incarnation
ludique »2
nous renvoie vers le jeu pur du texte et de la parole, sans souci
d'une logique narratrice.
Chaque
« scène », chaque partie existe pour elle-même et pour
ce qu'elle est, sans lien d'enchaînement logique avec ce qui suit ou
qui précède. On peut éventuellement trouver des réminiscences ou
des échos (dans le Bal
littéraire notamment),
mais s'il existe une continuité d'un texte à l'autre, elle tient de
la personnalité de l'interprète ou de l'auteur chez qui l'on pioche
les extraits.
Depuis
Srindberg, le théâtre se conçoit plus comme succession de
tableaux, fragments d'une vie qui se recompose dans le déroulement
de la pièce. Le
juke box,
le bal
littéraire,
les
poètes du tango
adoptent une démarche créatrice similaire. La représentation,
plutôt que fable continue, met en lumière des temps qui valent
(pour les auteurs et les interprètes) l'intérêt de ce gros plan
que suscite leur épiphanie à un moment de la représentation. Ce
montage peut s'apparenter aussi au principe de la « revue »
telle qu'elle fut imaginée par Erwin Piscator.
1On
pourra se reporter entre autre à Jean-Pierre SARRAZAC, L'avenir
du drame, Lausanne,
edition de L'Aire, 1981, p. 24 - 47
2
RYNGAERT, Jean-Pierre, SIMON, Julie, Le
personnage théâtral, décomposition, recomposition,
Montreuil-sous-Bois, Editions théâtrales, 2006,
p. 106