Bovary. Pas Madame, non, Bovary tout
seul.
Comprendre que nous n'allons pas avoir
vraiment l'histoire de cette pauvre Emma, héroïne légendaire,
entrée sulfureusement dans notre culture et nos références
littéraires, il y a un peu plus de 150 ans. Non le propos est le
livre et sa lecture.
On se souvient des Cloches de Bâle
(pour les plus anciens ou pour les historiens du fait théâtral)
d'Antoine Vitez : une lecture du roman d'Aragon dans une mise en
espace, avec un prétexte. Non, encore une impasse où nous conduit
notre culture, dont Tiago Rodrigues prend plaisir à se jouer.
La pièce écrite par Tiago Rodrigues
s'attache à une lecture-analyse du livre, une exégèse, placée
théoriquement au moment du procès fait à Flaubert, une analyse
anachronique qui s'appuie sur le monde contemporain et les apports de
Freud à la psychanalyse.
Madame Bovary
, livre moral ou immoral ? Deux avocats ( interprétés par Ruth
Vega-Fernandez et David Geselson) en débattent devant un Gustave
Flaubert quasi dépassé par les événements, tiraillé entre leurs
deux lectures contradictoires.Flaubert, obligé de sa justifier et ne
pouvant le faire qu'en apportant matière à l'accusation. Les deux
avocats argumentent à partir de citations, de scènes reconstituées
(comme dans une enquête policière). Ils utilisent comme des acteurs
de leur propre fable, comme des marionnettes à leur usage les
personnages d'Emma et de Charles Bovary. Un autre protagoniste
intervient-il ? Aussitôt, l'un des des deux avocats,
selon que le personnage sert ou non son argumentation, le prend en
charge, sans distinction de sexe ou d'âge. Emma et Charles sont des
pions que chacun avance à tour de rôle.
Flaubert
commente, non par des intervention directes, mais à travers des
échanges épistolaire dont le public est l'unique destinataire.
Les
spectateurs assument un double rôle, reconnu par l'éclairage de la
salle pendant une grande partie de la représentation : il est
le partenaire incarné du dialogue de Flaubert et le jury que les
deux avocats Pinard et Sénard interpellent dans leur plaidoyer.
Dans
ce système chaque comédien trouve sa part, son moment de gloire,
son temps de performance.
La
langue, elle, est moderne, comme la construction, même si elle suit
la linéarité du roman. Tout se trame autour de l’accélération,
du raccourci, du second degré, des commentaires, de l'ironie, des
reprises, des échos, du burlesque. On rit souvent...
Le
livre est omniprésent : citations et allusions à un livre
matériel mais jamais produit sur le plateau (mais dont personne dans
le public ne peut nier l'existence). Le plateau est d'ailleurs
couvert de feuilles, actes du procès ? Manuscrit incriminé ?
L'autre élément du décor, les paravents, tables , sellettes,
s'adaptent aux différentes scènes tout en faisant allusion à
l'investigation (naturaliste?)
C'est
original, à la fois simple et soutenu, agréable, drôle, sérieux
et iconoclaste, documenté, bien joué.
Emma
(Alma Palacios) rappelle dans sa fragilié la blondeur d'Isabelle
Huppert. Charles ( Grégoire
Monsaingeon) est troublant de naïveté et de ferveur amoureuse.
Il
faut se dépêcher de voir cela au Théâtre de la Bastille, ou
espérer que la tournée déjà programmée, passera pas trop loin.
Je
n'aurais qu'un regret. Si Jacques Bonnaffé nous offre un Flaubert
très intéressant, drôle et accablé de tracasseries ou un Léon
troublant, il me semble sous-employé, limité par un texte qui ne
lui permet pas d'utiliser la palette de couleurs qu'on lui connaît.
Tiago Rodrigues n'a-t-il vu en lui que le lecteur de France Culure,
un garant de la littérature patrimoniale. C'est un peu étonnant,
quand la pièce semble issue d'une écriture de plateau.