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mercredi 4 mai 2016

Bovary Tiago Rodrigues (critique)

Bovary. Pas Madame, non, Bovary tout seul.
Comprendre que nous n'allons pas avoir vraiment l'histoire de cette pauvre Emma, héroïne légendaire, entrée sulfureusement dans notre culture et nos références littéraires, il y a un peu plus de 150 ans. Non le propos est le livre et sa lecture.
On se souvient des Cloches de Bâle (pour les plus anciens ou pour les historiens du fait théâtral) d'Antoine Vitez : une lecture du roman d'Aragon dans une mise en espace, avec un prétexte. Non, encore une impasse où nous conduit notre culture, dont Tiago Rodrigues prend plaisir à se jouer.
La pièce écrite par Tiago Rodrigues s'attache à une lecture-analyse du livre, une exégèse, placée théoriquement au moment du procès fait à Flaubert, une analyse anachronique qui s'appuie sur le monde contemporain et les apports de Freud à la psychanalyse.
Madame Bovary , livre moral ou immoral ? Deux avocats ( interprétés par Ruth Vega-Fernandez et David Geselson) en débattent devant un Gustave Flaubert quasi dépassé par les événements, tiraillé entre leurs deux lectures contradictoires.Flaubert, obligé de sa justifier et ne pouvant le faire qu'en apportant matière à l'accusation. Les deux avocats argumentent à partir de citations, de scènes reconstituées (comme dans une enquête policière). Ils utilisent comme des acteurs de leur propre fable, comme des marionnettes à leur usage les personnages d'Emma et de Charles Bovary. Un autre protagoniste intervient-il ? Aussitôt,  l'un des des deux avocats, selon que le personnage sert ou non son argumentation, le prend en charge, sans distinction de sexe ou d'âge. Emma et Charles sont des pions que chacun avance à tour de rôle.
Flaubert commente, non par des intervention directes, mais à travers des échanges épistolaire dont le public est l'unique destinataire.
Les spectateurs assument un double rôle, reconnu par l'éclairage de la salle pendant une grande partie de la représentation : il est le partenaire incarné du dialogue de Flaubert et le jury que les deux avocats Pinard et Sénard interpellent dans leur plaidoyer.
Dans ce système chaque comédien trouve sa part, son moment de gloire, son temps de performance.

La langue, elle, est moderne, comme la construction, même si elle suit la linéarité du roman. Tout se trame autour de l’accélération, du raccourci, du second degré, des commentaires, de l'ironie, des reprises, des échos, du burlesque. On rit souvent...

Le livre est omniprésent : citations et allusions à un livre matériel mais jamais produit sur le plateau (mais dont personne dans le public ne peut nier l'existence). Le plateau est d'ailleurs couvert de feuilles, actes du procès ? Manuscrit incriminé ? L'autre élément du décor, les paravents, tables , sellettes, s'adaptent aux différentes scènes tout en faisant allusion à l'investigation (naturaliste?)

C'est original, à la fois simple et soutenu, agréable, drôle, sérieux et iconoclaste, documenté, bien joué.
Emma (Alma Palacios) rappelle dans sa fragilié la blondeur d'Isabelle Huppert. Charles ( Grégoire Monsaingeon) est troublant de naïveté et de ferveur amoureuse.
Il faut se dépêcher de voir cela au Théâtre de la Bastille, ou espérer que la tournée déjà programmée, passera pas trop loin.

Je n'aurais qu'un regret. Si Jacques Bonnaffé nous offre un Flaubert très intéressant, drôle et accablé de tracasseries ou un Léon troublant, il me semble sous-employé, limité par un texte qui ne lui permet pas d'utiliser la palette de couleurs qu'on lui connaît. Tiago Rodrigues n'a-t-il vu en lui que le lecteur de France Culure, un garant de la littérature patrimoniale. C'est un peu étonnant, quand la pièce semble issue d'une écriture de plateau.