Me voici avec un nouvel
article bien difficile à commencer. Je voudrais vous parler de
Jacques Bonnaffé.
J'ai souvent parlé de lui dans des critiques de
théâtre, ou des analyses de lectures, mais je voudrais aujourd'hui
évoquer son travail dans des séries télévisées et un peu aussi
au cinéma. Je l'ai déjà dit, je connais mal le cinéma :
j'assiste à trop de spectacles vivants pour pouvoir consacrer du
temps à m'enfermer dans une salle devant un simulacre de vie.
Ma rumination repose sur
3 rôles : Jules dans « Le cri » , une série de
2006, Xavier Valla dans « Le commissariat » un téléfilm
de 2009, et Monseigneur Poileaux dans la série « Ainsi
soient-ils », dernière saison diffusée actuellement sur Arte.
Si vous avez la curiosité
de regarder les photos des 3 personnages (google images), vous serez
étonnés de voir à quel point ils sont différents. On peut même
parfois se demander s'il s'agit du même comédien. Il est des
acteurs (dont je tairai le nom pour ne pas leur faire de la
publicité) qui se ressemblent toujours. Pas Jacques Bonnaffé.
Chaque personnage est une composition totale : physique et
vocale. On croirait presque qu'il fabrique une marionnette de son
corps et de son visage et que son action de comédien consiste à les
manipuler de l'intérieur.
Alors que Jacques
Bonnaffé est un maître de la parole. Il est capable de réciter des
poèmes ou des textes en prose pendant des heures, présent par sa
seule voix.
Alors que Jacques
Bonnaffé est un maître de la parole, disais-je, ses compostions
pour la télévision s'imposent par l'image qu'elles laissent dans
l'imaginaire.
Jules : un corps
appuyé contre une machine, deux mains qui se posent sur d'autres,
une démarche maladroite à la sortie de l'usine, une carriole
presque impossible à tirer, une apnée avant une attaque... tout le
tragique du personnage est résumé dans ces quelques flashs.
Valla : une
claudication en descendant de voiture, un signe de croix étriqué
dans une église, un regard au ciel face à un officier allemand.... Tout est là en trois images maîtresses et d'une justesse sidérante.
Le reste du film ou de la
série ne sert qu'à enrichir le personnage comme une métaphore
qu'on filerait à l'infini. Un rôle tragique (si la gorge ne vous
fait pas un peu souffrir quand vous regardez Jules, vous rirez à
Racine), un rôle de « traître » et d'ordure. Belle
palette déjà.
A cela s'ajoute
Monseigneur Poileaux, un personnage esquissé dans la Saison 2 de
« Ainsi soient-ils ». Un nouveau venu, homme maladroit,
pur, encore empreint de provincialisme, trouvant son autorité dans
le besoin de faire respecter les valeurs en lesquelles il croit. La
Saison 3 le découvre regrettant d'avance la place qu'il doit quitter
et dont il se croyait indigne. Dès les premières scènes, il est
tiraillé entre la tentation de l'ambition et la modeste droiture qui
le définit, mais déjà près de succomber. Monseigneur Poileaux
rêve haut, en gardant les pieds sur terre. Une évolution du
personnage qu'un jeu de physionomie annonçait : dans la saison
2, au moment de la vente du séminaire, Jacques Bonnaffé instille
dans le regard de son personnage la découverte d'un autre univers et
fait surgir l’ambiguïté qui régit Monseigneur Poileaux dans la
saison 3.Tout cela en l'alimentant d'un pouvoir humoristique qui le
rend sympathique et le désacralise. « Son excellence »
est drôle mais pas risible.
Et l'excellence du
comédien me laisse pantoise.
Allez voir aussi le
professeur de Va Savoir, l'épicier de Derrière Les Murs.... et puis
pendant que vous y êtes faites un tour par Coquillage et crustacés,
ou Vénus institut....