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jeudi 3 novembre 2016

le public du conte (rumination)

J'ai à nouveau assisté à une contée il y a quelques jours. Beaucoup de contes et de conteurs/conteuses que j'avais déjà entendus. Le public était très disparate : les parents et les grands-parents amènent leurs enfants, petits-enfants et restent (le prétexte est très gros, mais il semble qu'il y ait encore chez certaines personnes une « honte » à venir écouter des contes).
Terminons sur cette « honte », (j'ai connu cela à Lyon où une dame charmante de l'office de tourisme m'expliquait que je ne pouvais pas en tant qu'adulte assister à un spectacle de Guignol... ). Le conte a été faussement associé à l'image de la petite enfance. J'ai à mon répertoire quelques contes qui ne s'adressent pas à toutes les oreilles (contes grivois ou contes d'horreur).
Revenons maintenant à la contée, avec une question déjà soulevée dans un précédent article : un aède d'aujourd'hui : le conte peut-il être considéré comme une « performance du texte » ?
Il me semble que la réponse est négative.
J'ai le sentiment que les spectateurs ne viennent pas écouter un texte (qu'il connaisse d'ailleurs souvent où dont ils tirent vite les ficelles), mais qu'il viennent écouter un conteur (c'est à dire l'instrument par lequel le conte est leur est transmis). Ils sont un peu comme ces mélomanes qui viennent écouter un concerto qu'ils ont déjà entendu des dizaines de fois, mais qui n'ont jamais entendu les vibrations qu'un autre interprète peut faire naître, vibrations de l'interprétation mais aussi vibrations du récepteur qu'ils forment. Le contenu importe moins que le contenant.
Il s'établit par conséquent une relation entre le conteur et l'auditeur une relation particulière, individuelle, mais multiple, et aussi variée qu'il y a de spectateurs présents. La mélopée, la force des images nourrit cette relation et en fait un temps d'exception.
Les enfants n'hésitent pas à s'approprier le conteur et l'histoire en intervenant par des gestes, des prises de parole. Les adultes ont plus de mal à devenir actifs du conte qui leur est offert. Ils sont plus passifs, plus en attente. Ils peuvent réagir, mais encouragés et rassurés du fait qu'ils ne modifieront pas trop leur état d'auditeur. Leur voyage est intérieur et isolé, dans leur imaginaire profond, dans le fondement de leur rapport au monde. Ils sont en osmose avec le récit, pas avec la conteur. A la limite on est plus en présence de spectateurs «de cinéma » qu'en présence de spectateurs « de théâtre ». Il y a individuation. Un phénomène à la fois physique et intellectuel qui s'accompagne d'un empathie totale avec le conteur.
J'ai, l'autre jour, en tant qu'être humain, fait une incursion dans le conte que je donnais, j'ai senti un agacement du public que je dérangeais ; Je n'avais pas le droit à une existence autre que celle de « proférant du récit ».

Dans la performance, le public attend davantage une égalité donneur/receveur face au texte, ou tout au moins un partage.