J'ai à nouveau assisté
à une contée il y a quelques jours. Beaucoup de contes et de
conteurs/conteuses que j'avais déjà entendus. Le public était très
disparate : les parents et les grands-parents amènent leurs
enfants, petits-enfants et restent (le prétexte est très gros, mais
il semble qu'il y ait encore chez certaines personnes une « honte »
à venir écouter des contes).
Terminons sur cette
« honte », (j'ai connu cela à Lyon où une dame
charmante de l'office de tourisme m'expliquait que je ne pouvais pas
en tant qu'adulte assister à un spectacle de Guignol... ). Le conte
a été faussement associé à l'image de la petite enfance. J'ai à
mon répertoire quelques contes qui ne s'adressent pas à toutes les
oreilles (contes grivois ou contes d'horreur).
Revenons maintenant à la
contée, avec une question déjà soulevée dans un précédent
article : un aède d'aujourd'hui : le conte peut-il être
considéré comme une « performance du texte » ?
Il me semble que la
réponse est négative.
J'ai le sentiment que les
spectateurs ne viennent pas écouter un texte (qu'il connaisse
d'ailleurs souvent où dont ils tirent vite les ficelles), mais qu'il
viennent écouter un conteur (c'est à dire l'instrument par lequel
le conte est leur est transmis). Ils sont un peu comme ces mélomanes
qui viennent écouter un concerto qu'ils ont déjà entendu des
dizaines de fois, mais qui n'ont jamais entendu les vibrations qu'un
autre interprète peut faire naître, vibrations de l'interprétation
mais aussi vibrations du récepteur qu'ils forment. Le contenu
importe moins que le contenant.
Il s'établit par
conséquent une relation entre le conteur et l'auditeur une relation
particulière, individuelle, mais multiple, et aussi variée qu'il y
a de spectateurs présents. La mélopée, la force des images nourrit
cette relation et en fait un temps d'exception.
Les enfants n'hésitent
pas à s'approprier le conteur et l'histoire en intervenant par des
gestes, des prises de parole. Les adultes ont plus de mal à devenir
actifs du conte qui leur est offert. Ils sont plus passifs, plus en
attente. Ils peuvent réagir, mais encouragés et rassurés du fait
qu'ils ne modifieront pas trop leur état d'auditeur. Leur voyage est
intérieur et isolé, dans leur imaginaire profond, dans le fondement
de leur rapport au monde. Ils sont en osmose avec le récit, pas
avec la conteur. A la limite on est plus en présence de spectateurs
«de cinéma » qu'en présence de spectateurs « de
théâtre ». Il y a individuation. Un phénomène à la fois
physique et intellectuel qui s'accompagne d'un empathie totale avec
le conteur.
J'ai, l'autre jour, en
tant qu'être humain, fait une incursion dans le conte que je
donnais, j'ai senti un agacement du public que je dérangeais ;
Je n'avais pas le droit à une existence autre que celle de
« proférant du récit ».
Dans la performance, le
public attend davantage une égalité donneur/receveur face au texte,
ou tout au moins un partage.