Comme vous le voyez, je
ne suis pas en train de regarder la télévision. L'hommage au
théâtre de la Télévision Publique se fera sans moi. Pas de
Molière du spectateur assidu... Pas de ce théâtre-là.
Public vs privé …
Quand il s'agit d'aborder le théâtre de boulevard, ils sont aussi
inaptes l'un que l'autre.
Très difficile le
théâtre de boulevard. Usé. Toujours une vague histoire de
cocuage... depuis Labiche et Feydeau … (c'est oublier pour ces deux
figures emblématiques, qu'ils ont su peindre l'intimité des
familles dans des pièces qu'on oublie au profit de la grosse
artillerie). Seul Robert Lamoureux a un peu échappé à la tendance.
Peut-être est-ce aussi pourquoi on le joue si peu aujourd'hui.
Le théâtre de boulevard
qu'on nous sert abuse du cocuage, comme si on détenait dans le thème
la panacée du rire... Rire de la tromperie. C'est une invention du
XIXème qui semblait avoir trouvé là un sport
collectif...Jusqu'alors la déliquescence du couple ou l'apparition
d'un troisième personnage était source de drame :
Souvenez-vous : Hélène ravie par Pâris, à l’origine de la
guerre de Troie (devenue XIXème La belle Hélène « quand
un mari part en voyage.... »), Œdipe volant la femme de son
père, Iseut délaissant le Roi Marc pour Tristan, Guenièvre
terminant sa vie dans un monastère pour ne pas choisir entre Arthus
et Lancelot (et Lancelot acceptant les infamies pour elle), Phèdre
sacrifiant Hippolyte à Thésée.... et même ce bon vieux Hamlet
face à l'adultère de sa mère,faut-il aussi que je vous parle
d'Othello ? ... Non tout cela n'engendre guère l'hilarité.
Pourquoi faudrait-il que nous pleurions devant Trisan et Iseut et que
nous riions aux éclats devant M. X.... s'éprenant de Mme Y... ?
Le niveau de langue, me
direz-vous.... Peut-être... mais dans les adaptations de Jean
Cocteau, les personnages parlent la langue de tous les jours.
Objection refusée !
Le contexte de
représentation... là, oui peut-être avez-vous marqué un point.
Le jeu ? Nous y
sommes davantage. Quand j'étudiais le théâtre, on me parlait
souvent des 3 sphères de jeu : le jeu pour moi (le public est
le témoin d'une situation intime, voyeur) , le jeu à deux (dialogue
version 4ème mur, le public assiste à une scène – avec la
coprésence des deux entités acteurs/spectateurs), le jeu universel
(version jeu frontal, version boulevard, l'univers entier est perçu
en même temps que l'on joue, et l'on joue par rapport à l'écho
qu'on en reçoit, on joue pour éveiller cet écho, et le jeu prime
sur tout le reste - c'est le jeu du clown ou celui des acteurs
de la commedia dell'arte. )
Dans le théâtre privé
on accentue encore ce jeu universel (donc artificiel) et tout devient
gros, lourd, lassant, usé...
Dans le théâtre public,
on garde la trace des enseignements de Stanilavski et de Tolstoi
(Michel), de Brecht... et on perd ce qui pouvait éventuellement
engendrer la complicité qui menait au sourire. La tragédie revient,
appauvrie parce qu'elle s'évade du mythe.
Et si le boulevard
reposait sur la présence d'un « monstre » ? Je
crois que vous avez vraiment atteint le fond du problème. Oui, au
boulevard, on va voir avant tout un monstre. Son nom écrase
l'affiche. (qu'il soit issu du public ou du privé, c'est lui ou elle
la clé de la représentation). On vient voir Machin faire son
numéro. Comme dans les villages, on va à la salle des fêtes voir
Grosrené, le mari de la coiffeuse, et la Grande Georgette qui
distribue le courrier tout le reste de l'année, faire les comiques.
Comme autrefois au temps des baladins, dans les étables ou sur la
place du marché on allait rire aux farces des ambulants. C'est
certainement dans ces salles des fêtes, dans ces maisons communales
que le boulevard retrouve sa raison d'être et qu'il fait encore
rire, parce qu'il est moins théâtre que caricature de théâtre,
que parodie de théâtre. Parce qu'on s'y montre d'autant plus que le
public le réclame. Finalement vous aviez raison, tout cela est une
question de contexte. Le boulevard a échappé au théâtre public et
au théâtre privé, pour revenir, comme la farce autrefois, au
théâtre du peuple (je ne parle pas évidemment du « THEATRE
DU PEUPLE » de Bussang), le théâtre fait par le peuple pour
le peuple, sans autre déontologie que le plaisir d'être ensemble,
et sans autre prétexte aussi. Alors l'histoire n'est plus celle de
Tristan et Iseut, mais celle de la femme de Grosrené et du mari de
la Grande Georgette. On se venge comme on peut...
Leur histoire est-elle
moins profonde ou moins sensible ? La pièce ne le dit pas.