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samedi 31 janvier 2015

le marcheur

je vais participer au Printemps des Poètes de différentes façons cette année. Insurrection poétique ! Ce sera pour moi l'occasion de brosser quelques portraits de gens croisés. Remarque : oui, ils existent...Gens croisés dont la situation ou l'attitude me parurent choquantes... Une façon pour moi de les fustiger en prose poétique ...




Il a entrepris le chemin, comme il a entrepris il y a déjà longtemps d'être patron. Patron d'une entreprise de …. Patron, c'est le plus important pour lui. Il aurait pu choisir mille autres domaines. Il lui fallait surtout avoir des gens sous ses ordres. Aujourd'hui, il a entrepris le chemin. Pas Saint-Jacques, trop long et trop encombré de pèlerins. Non , un petit chemin de quinze jours entre montagne et mer. Il s'est donné huit jours. Il ne peut pas partir plus longtemps, son entreprise l'attend. Sa femme aussi. Laquelle des deux est la moins impatiente de son retour ? Cette question il ne se la pose pas. Il est indispensable et le sait, il voudrait vous en convaincre. Certains ne peuvent s'empêcher d'imaginer le bonheur de sa femme préparant ses bagages. « Surtout profite, mon chéri. » Elle, on ne la voit pas, elle n'est jamais dans ces paroles. Quand il vous double, il vous parle perspective et rentabilité. Son chemin aussi doit être rentable, alors il ne se ménage pas. Il fait deux étapes en une, claironne « hier, j'ai dormi à …. ».Vous y étiez deux jours auparavant. Il souffle et court. Quand il arrive à une étape, il fait venir en taxi un kiné qui se trouve à 100 km pour un massage, remise en forme.... Il part à l'aube et ne s'arrête qu'à la nuit. Il dort où il peut, à la dure. Il est là pour montrer qu'il a du cran. C'est un battant, sur le chemin comme en affaires, comme dans la vie. Pas de place pour les avortons. Le monde appartient à ceux de sa trempe. Il ne se mêle guère aux autres marcheurs. Il n'a pas le temps de s'arrêter pour partager avec eux, les fruits, le pain, le saucisson, une fatigue commune, un mot gentil, une promesse de se retrouver le soir au gîte. Il n'a pas le temps de cueillir une framboise, une myrtille, de s'arrêter sur une crête, de tremper les pieds dans la maigre rivière. Il fait le chemin, en moins de temps que les autres. Il avale les montées et les descentes avec la même voracité, sans se laisser distraire par les paysages ou les rencontres. Cet hiver, dans les réceptions, il parlera à un auditoire admiratif de SON chemin et de son record. Et quand il évoquera avec suffisance l'inclinaison des sentiers qui gravissent les cols, plus intimement, une autre montée se fera qu'il sera seul à sentir, qu'il saluera d'un sourire supérieur et qui sera sa vraie récompense.