Me voici à devoir parler de la
troisième soirée à laquelle j'ai assisté au festival Paroles de
conteurs de l'Ile de Vassivière.
C'est aussi celui qui me pose le plus
de problèmes et qui m'a le plus dérangée pendant sa
représentation. J'ai, à plusieurs moments, éprouvé l'envie de
partir, de m'échapper.
Une femme seule parle du cruel dilemme
qui l'écartèle : poursuivre une carrière d'écrivain qui
s'annonce bien ou s'occuper davantage de sa jeune enfant, qu'elle a
surnommée « Cappuccino ».
Elle évoque en parallèle les
événements de sa vie professionnelle qui l'appelle régulièrement
partout dans le monde et ses retours brefs, irréguliers dans son
petit appartement où elle retrouve sa fille. L'enfant qui est en
école primaire s'intéresse à sa mère peut-être plus que la mère
ne s'intéresse à la fille, toujours entre deux écritures, deux
lectures. Il y a pourtant de l'amour entre les deux et le souvenir de
l'amour que portait la mère à sa propre mère également écrivain.
Le spectacle est une illustration fidèle et bien observée de la
difficulté, voire l'impossibilité, des femmes à assumer à part
égale leur carrière et leur vie familiale. On ne demande pas aux
hommes de le faire, ou quand ils y sont contraints, on les montre
dans un film «fort », qui « dérange » , pour bien
faire comprendre les sacrifices que cela suppose et l'on s'apitoie
sur le « pauvre père ». Ici aussi la femme doit se
sacrifier pour la vie de sa fille.
La comédienne assume à elle seuls
tous les personnages : hommes, femme et enfant, s'adressant
tantôt au public dans un schéma narratif de type « conte »,
tantôt en jouant (théâtralement) simultanément les différents
protagonistes de la scène. C'est admirablement bien fait, une mise
en scène précise et juste, un jeu étudié et subtil.
D'où vient alors mon malaise ?
Mon impossibilité d’applaudir ? Mon refus d'empathie ?
On comprend très vite que Michèle
Nguyen parle d'elle, avec une barrière artistique si mince qu'elle
ne résiste pas. La souffrance de la comédienne est plus forte que
la souffrance du personnage. On imagine le nombre de séances chez le
psychologue qui ont permis aux mots d'être prononcés, aux
sentiments d'être assumés.
Que me demande-t-on en tant que
spectateur ? Un rôle neutre d'écoutant ? Un prise de
position (Oh la pauvre, quelle grandeur ! Quelle générosité !
) ? où est le conte ? (ce genre de représentation
s'apparente aux « récits de vie ») Il ne peut s'agir
d'une performance : trop travaillé, trop théâtralisé... Le
texte n'est pas essentiel. L'important est la douleur et le
déchirement, la mise en croix.
On pleure beaucoup sur scène et dans
la salle. Parce que l'émotion est palpable et communicative. Et les
dernières paroles sont « vous m'avez manqué »,
réunissant le réel et ce qui est sur le plateau.
Nous sommes sous un chapiteau pendant
un festival, on applaudit. Que feriez-vous si à la terrasse d'un
café une femme venait vous raconter les tourments qui l'agitent et
la culpabilité qui la déchire ?
Que dire de ce spectacle ? Si ce
n'est que je n'y vois ni théâtre, ni conte, ni performance.