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lundi 1 octobre 2018

la voyageuse (critique)


Me voici à devoir parler de la troisième soirée à laquelle j'ai assisté au festival Paroles de conteurs de l'Ile de Vassivière.
C'est aussi celui qui me pose le plus de problèmes et qui m'a le plus dérangée pendant sa représentation. J'ai, à plusieurs moments, éprouvé l'envie de partir, de m'échapper.

Une femme seule parle du cruel dilemme qui l'écartèle : poursuivre une carrière d'écrivain qui s'annonce bien ou s'occuper davantage de sa jeune enfant, qu'elle a surnommée «  Cappuccino ».
Elle évoque en parallèle les événements de sa vie professionnelle qui l'appelle régulièrement partout dans le monde et ses retours brefs, irréguliers dans son petit appartement où elle retrouve sa fille. L'enfant qui est en école primaire s'intéresse à sa mère peut-être plus que la mère ne s'intéresse à la fille, toujours entre deux écritures, deux lectures. Il y a pourtant de l'amour entre les deux et le souvenir de l'amour que portait la mère à sa propre mère également écrivain. Le spectacle est une illustration fidèle et bien observée de la difficulté, voire l'impossibilité, des femmes à assumer à part égale leur carrière et leur vie familiale. On ne demande pas aux hommes de le faire, ou quand ils y sont contraints, on les montre dans un film «fort », qui « dérange » , pour bien faire comprendre les sacrifices que cela suppose et l'on s'apitoie sur le « pauvre père ». Ici aussi la femme doit se sacrifier pour la vie de sa fille.
La comédienne assume à elle seuls tous les personnages : hommes, femme et enfant, s'adressant tantôt au public dans un schéma narratif de type « conte », tantôt en jouant (théâtralement) simultanément les différents protagonistes de la scène. C'est admirablement bien fait, une mise en scène précise et juste, un jeu étudié et subtil.
D'où vient alors mon malaise ? Mon impossibilité d’applaudir ? Mon refus d'empathie ?
On comprend très vite que Michèle Nguyen parle d'elle, avec une barrière artistique si mince qu'elle ne résiste pas. La souffrance de la comédienne est plus forte que la souffrance du personnage. On imagine le nombre de séances chez le psychologue qui ont permis aux mots d'être prononcés, aux sentiments d'être assumés.
Que me demande-t-on en tant que spectateur ? Un rôle neutre d'écoutant ? Un prise de position (Oh la pauvre, quelle grandeur ! Quelle générosité ! ) ? où est le conte ? (ce genre de représentation s'apparente aux « récits de vie ») Il ne peut s'agir d'une performance : trop travaillé, trop théâtralisé... Le texte n'est pas essentiel. L'important est la douleur et le déchirement, la mise en croix.
On pleure beaucoup sur scène et dans la salle. Parce que l'émotion est palpable et communicative. Et les dernières paroles sont « vous m'avez manqué », réunissant le réel et ce qui est sur le plateau.

Nous sommes sous un chapiteau pendant un festival, on applaudit. Que feriez-vous si à la terrasse d'un café une femme venait vous raconter les tourments qui l'agitent et la culpabilité qui la déchire ?
Que dire de ce spectacle ? Si ce n'est que je n'y vois ni théâtre, ni conte, ni performance.